The Dark Knight (Hans Zimmer)

Gotham City brûle-t-elle ?

Décryptages Express • Publié le 22/05/2017 par

THE DARK KNIGHT (2008)The Dark Knight
Réalisateur : Christopher Nolan
Compositeur : Hans Zimmer
Séquence décryptée : Why So Serious? (0:00:53 – 0:06:24)
Éditeur : Warner Sunset

 

Au commencement était le feu. Un monstrueux brasier qui engloutit de son haleine infernale toute forme de vie. Mais peut-être, sachant le Joker en embuscade, quelque part dans l’ombre, que les flammes avides régurgitées d’emblée par The Dark Knight ne sont que la couronne bleue, grotesquement amplifiée, d’un brûleur à gaz sur lequel le Prince du Crime aurait sciemment « oublié » Gotham City, changée pour l’occasion en une bouilloire au supplice. Il n’est d’ailleurs pas très difficile d’imaginer son sifflement d’alarme dans la plainte stridente et inarticulée, s’étirant à n’en pas entendre la fin, qui assaille les orgueilleux buildings dont la ville est hérissée. Une fenêtre vient même d’exploser sous les arêtes tranchantes des décibels… En vérité, non : leurs visages dissimulés par des masques de clown, les coupables ont enclenché la première étape d’un hold-up aussi tordu qu’audacieux, énième preuve de l’insatiable appétit du Joker, pourtant chantre du chaos, pour les miniatures se gobergeant de leur perfection lisse.

 

A-t-on jamais vraiment cerné les fascinantes contradictions qui fondent le plus grand ennemi de Batman ? On le dit volatil, à la merci de ses redoutables sautes d’humeur et prêt à jouer la vie des autres autant que la sienne sur un vulgaire caprice… Alors qu’il passe le gros de son temps à suer sang et eau à l’élaboration d’incroyables attrapes, dont la maniaquerie, snobant les hoquets du hasard et l’à peu près, ferait verdir de jalousie une cohorte entière d’horlogers suisses ! Pour un peu, on le verrait volontiers, après une opération rondement menée, mâchouiller un cigare tout en soupirant d’aise : « J’adore quand un plan se déroule sans accroc. » Une fois n’est pas coutume, les lacunes techniques béantes de Zimmer, souvent brocardées, et son schématisme carré, deviennent ici un atout de taille. Moins pandémonium abstrait que marche résolue, le violoncelle électrique déroule sans faillir un trait rectiligne, dénué du plus infime creux accidenté, de la plus secrète des poches d’imprévu où le Joker blêmit à l’idée de voir choir ses pièges diaboliques.

 

The Dark Knight

 

N’empêche que la folie, si compartimentée soit-elle dans l’esprit du super-criminel, rôde bel et bien. Elle est là, toute puissante, charriée par l’obsessionnel legato des cordes que tenaille l’archet, en une âpre besogne de bûcheron sciant et ahanant. Les guitares furibondes, logées à la même enseigne, enfilent comme un manteau de cuir rougi et craquelé les vestiges rock de M:I-2 et Black Hawk Down (La Chute du Faucon Noir) pour fou(a)iller sans douceur, à grande dépense de lourdes éructations, la terrible psyché du Joker. Lui, indifférent à l’orage qui se déchaîne sous sa tignasse verte, s’affaire à méthodiquement abattre (dans tous les sens du terme !) les pions qu’en fin stratège, il avait disposés au préalable sur l’échiquier de verre et d’acier de Gotham. Ou comment extraire d’une invite apparente à l’anarchie les engrenages les mieux huilés… La très cartésienne personnalité de Christopher Nolan ne doit pas y être étrangère non plus. Avec ce braquage minuté au cordeau, le cinéaste répétait sans conteste ses gammes en vue du terre-à-terre Inception, film de casse on ne peut plus pragmatique et impitoyable machine à broyer les songes.

 

Le Joker et Zimmer : deux types qui, malgré le sérieux grain semblant affliger l’extrémisme hilare du premier et la mixture pulsionnelle du second, épigone du maître du riff Glenn Branca, savent pertinemment ce qu’ils font. Seuls les objectifs visés diffèrent du tout au tout. Tandis que l’un ne s’escrime qu’à réduire l’ordre établi en cendres, pour la beauté d’un geste furieusement punk (c’est « no future » à tous les étages), il ne viendrait certes pas à l’esprit de l’autre de culbuter l’empire invincible qu’il a bâti de ses propres mains. Pour preuve, le statut de classique instantané acquis par Why So Serious?, sans résistance ni froncement de sourcils. Bien que flanquée du terme « difficile », et même « conceptuelle », comme souvent lorsque Zimmer se hasarde à pimenter son habituelle cuisine, fût-ce doucettement, l’ouverture de The Dark Knight ne cherche jamais à pirater l’esthétique rentre-dedans du studio Remote Control. Une méthode qui n’a pas grand rapport avec l’apologie du chaos, mais tout à voir avec le bon vieux souci de nous faire branler du chef en cadence. En ce sens, le gros son moderne gagnait là l’un de ses précipités rêvés. This is madness ? This is Zimmer !

 

Benjamin Josse
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