Dadid a écrit :Une partition tout à fait banale (voire mal écrite) peut remplir correctement sa fonction de support des images sans mériter une écoute attentive. Quelques mesures d'orgue suffisent à donner un sentiment de religiosité ou à se situer géographiquement dans une église, même si les mesures en question comportent 4 pauvres notes répétées. Bien sûr, une telle musique ne transcendera pas le film, mais on peut la juger "bonne" dans le contexte du film. C'est un jugement relatif aux image...
Si je suis bien votre argumentaire, les aminches, peu importe que des musiques passe-partout et archi-balisées, comme il s'en produit chaque année des wagons entiers, glissent sur vos oreilles sans y éveiller une once d'intérêt, du moment qu'elles fassent copieusement
"boum-boum" quand éclate une violente escarmouche à l'écran,
"pouet-pouet" lorsqu'un gag est supposé nous arracher un éclat de rire, ou qu'elles dégainent toute la panoplie de violons et piano tire-larmes lors de la Grande Scène d'Emotion... Et vous savez quoi ? Même si elle n'est assurément pas la plus originale, je suis tout à fait client de cette manière simple et directe de concevoir la musique de film, dont je ne réfute en rien, contrairement à ce que vous avez tous l'air de croire mordicus, la nature par essence illustrative. Après tout, maître Jerry lui-même, qui n'était pas le dernier à déprécier son propre travail, ne s'est jamais considéré comme un artiste au sens noble du terme, mais plutôt comme un artisan mettant humblement son savoir-faire au service du cinéma.
Et puisqu'on parle du Très-Haut en personne... Nul ici n'ignore à quel point j'idolâtre le génial Californien. Parce qu'il était un extraordinaire compositeur, bien entendu, mais aussi, fait capital, parce qu'il avait réussi mieux que quiconque à comprendre, respecter et sublimer les nécessités de la musique pour l'image. C'est également grâce à lui, pour une part non négligeable, que j'ai réalisé que même les navets les plus abjects avaient autant le droit de jouir d'une partition soignée que leurs frères de pellicule plus respectables. Et c'est ainsi, de fil emmêlé en aiguille tordue, que j'en reviens (pour la énième fois, entends-je soupirer) aux décourageantes contradictions de mes compatriotes béophiles, toujours prompts à tirer à boulets rouges sur ce que l'industrie peut générer de plus stéréotypé (
"Ras-le-bol de cet ignoble papier-peint sonore", "Ils nous prennent pour des gogos à nous refourguer sans arrêt les mêmes scores", "C'est la musique de film qu'on assassine !" et j'en passe), mais d'une indifférence presque criminelle à l'égard des malheureux films qu'elle assomme sans relâche de tant et tant de clichés musicaux.
Un exemple parmi une ribambelle d'autres ? Comment voulez-vous que je ne verse pas des larmes de sang lorsque le musclé mais terne
John Rambo de Brian Tyler, qui ne compte pourtant pas que des partisans, loin s'en faut, est automatiquement adoubé par le sempiternel
"Bon, ça casse pas des briques, mais ça fonctionne dans le film et c'est bien tout ce qu'on lui demande" ? Evidemment, si toute la question réside dans le seul fait de savoir si le score ne dépareille pas avec les images, la réponse est sans conteste non : ça fait plein de bruit quand Sly éparpille du bidasse à la mitrailleuse lourde et ça verse dans un exotisme attendu pour faire couleur locale... exactement comme dans
Rambo II, tiens ! Mission accomplie, donc, pour Tyler ? Oui, sans nul doute, pour à peu près tout le monde... exception faite du vieux et irascible Van Cleef ! Le travail de l'ami Brian a beau "coller" scrupuleusement au métrage, il n'en demeure pas moins banal et fonctionnel, dénué de l'émotion subtile que Goldsmith était parvenu à insuffler jusque dans le boursouflé
Rambo III de Peter MacDonald et manquant cruellement de l'estomaquante fureur martiale de ses prédécesseurs enragés.
Est-ce que je mérite l'opprobre et le supplice de la roue parce que je me contrefous éperdument de toutes ces partitions timorées, qui se bornent à une vulgaire paraphrase musicale sans jamais chercher à apporter quelque étincelle que ce soit aux films qu'elles accompagnent ? Si pour vous, mes bons camarades, le caractère "pratique" d'un score est sa finalité ultime, ça n'est pour moi que le strict minimum en complément duquel il faudra proposer davantage. En tant que spectateur un tant soit peu exigeant, je veux, que dis-je, je réclame à cor et à cri des musiques qui réussiraient à rendre spectaculaires des gunfights filmés en dépit du bon sens, de molles empoignades du troisième âge et des poursuites en bagnole se traînant à une allure d'escargot ; des musiques qui soulèveraient un torrent d'émotion face à des séquences bêtement lacrymales, où des acteurs aussi expressifs qu'un boulon rouillé s'efforceraient avec l'énergie du désespoir de verser quelques larmes de crocodile ; des musiques qui galvaniseraient d'une tension suffocante et implacable les thrillers poussifs de cinéastes s'évertuant à déballer, en guise de suspense, les poncifs les plus grossiers. Et tout ça, croyez-moi, ce ne sont pas les innombrables fonctionnaires besogneux de la discipline qui sont en mesure de l'apporter.