Création et invention sont deux choses qu'on peut tout de même distinguer selon moi. Pour reprendre ta problématique, je dirai que l'invention est une création qui fait école, où en tout cas, qui "fait date", c'est à dire qui est intégrée à l'histoire de l'art.
Je vois ensuite qu'il y a chez toi une échelle de valeur qui m'est étrangère. Je ne considère pas la techno ou le Rap comme des musiques médiocres, pas plus que le Hard-Rock ou d'autres formes de musiques populaires. Je ne considère pas non plus- et je ne crois pas que cela soit ton propos- que la bonne musique soit nécessairement très cultivée ou virtuose, ou compliquée. Mais je ne crois pas que la technique est la moindre importance dans le domaine de l'art. L'outil oui, mais pas la technique. Autrement que vaudrait le Picasso dernière manière, ou le travail de Glass pour le cinéma (par grand chose répondent en cœur pas mal de gens ...) Et puis des gens comme Cage on quand même prouvé qu'il n'y avait presque pas de limite à la soustraction de technique qu'on pouvait opérer sur une structure musicale sans qu'elle perde sa nature musicale.
Le Rap a donné une place musicale unique à la voix, qu'elle n'a nulle part ailleurs que dans ce genre musical, c'est ça la grande invention du rap- même s'il y a des précurseurs, comme toujours.il y a davantage d'invention musicale, de puissance créatrice dans une seule BO iconoclaste de Lalo Schifrin que dans le corpus rap-techno tout entier réuni.
Qu'ils sont apparus à la fois à un public et à des artistes comme des formes musicale qui exprimaient le mieux leur rapport au monde et qui leur appartenaient en propre, et pas à leurs aînés.Le disco lui, ou le hard rock, le rap et la techno ont fait école. Que faut-il en conclure selon toi ?
Je ne vais pas réduire l'art à la force de l'interprétation, mais pour en revenir à Oblivion et M83, pourquoi ne pourrait-on pas être touchés (même intellectuellement) par un accord de do et de sol, ou de mi et de la enchaînés ? Le problème, la plupart du temps, dans les discussions concernant l'inventivité musicale de la musique pour l'image, c'est qu'on ne parle presque toujours que des qualités purement musicales des compositions, ce qui me parait être presque un contresens. Ce n'est que la manière dont la musique fonctionne à l'écran que l'on peut prendre la mesure des qualités d'une musique de films.
Un des exemples les plus célèbres: la scène de la douche de Psycho. Comment juger cette musique si on ne sait pas qu'elle illustre des images, montée assez nerveusement, d'un couteau,filmé en gros plan, qui ne fait jamais ce que la musique raconte: rencontrer la chair et trancher dedans. Quel sens aurait une discussion sur les qualités "musicales" de la composition de Herrmann ?
La question de "faire école" que tu poses, est passionnante, parce qu'elle pose aussi la question du génie méconnu, ou trop connu: certains artistes interdisent pratiquement qu'on les suive tant leur geste est radical et identifié à eux (ce qui est encore légèrement différent de la notion de style personnel- pour reprendre un exemple récent et connu de tous, difficile d'imaginer un suiveur à un Goldenthal, par exemple). Faire école, c'est fournir un support à la création d'autres artistes, je crois qu'inévitablement ça implique une certaine popularité du modèle, sinon l'école ne peut pas se déployer, faute de demande. Dans le cadre d'espace réservés d'une manière ou d'une autre (subventions, Fondation, Résidences d'artistes etc...) n'importe quoi peut faire école, du moment que des artistes ont envie de suivre le chemin. Comme tu dis, " il n'appartient qu'à d'autres compositeurs de prendre le relai "- Mais dans le contexte du cinéma, c'est une tout autre question: on est là face à une industrie- majoritairement, même quand elle est largement subventionné, comme chez nous- et non, il n'appartient pas qu'aux compositeurs. Là, c'est plutôt le goût du public, et celui des producteurs qui dicte les normes esthétiques, et on retombe sur le problème du plus petit dénominateur commun, catastrophique. Parce que le grand public continue d'avoir des habitudes d'écoute majoritairement formées par la musique populaire, c'est à dire basée sur des harmonies très simples, et des régularités rythmiques bien marquées. Pour pousser au bout ma vision de la musique de film, je dirais que c'est par nature un espace ou l'inventivité musicale est l'anomalie. De même que le cinéma n'est surement pas le lieu des expériences plastiques sur l'image en mouvement les plus intéressantes, ça c'est plutôt dans ce qu'on a appelé très globalement "l'art vidéo".
Soyons francs, je doute que l'utilisation du morceau de M83 dans le film de Kosinsky est quoi que ce soit de "créatif"- le morceau en lui-même évidemment n'invente rien, mais si je ne partage pas l'exaspération de Sam, c'est juste parce qu'elle est simplement l'expression d'un goût du plus grand nombre, et ça je n'ai pas d'avis là-dessus. Même si je trouve ça complètement "sans âme" comme la grande majorité des musique de film d'aujourd'hui, qui se contentent de faire le boulot, c'est à dire de refaire ce qui a eu du succès par ailleurs.
Bref, je suis globalement d'accord avec toi je crois. Le début de la digression, c'était de considérer que la musique de film est un domaine musicale incroyablement créatif comparés aux autres, ce qui me semble juste intenable, ce qui ne veut pas dire que la musique de film ne soit pas un des genres musical les plus plaisants qui soient.
Mais pour faire avance le schmilblick, ne pourrait-on ouvrir un topic et essayer de lister quelques grandes béo "créatives", purement musicalement, ou dans leur construction par rapport à l'image ?
Diable, ça mériterait même une série d'articles, ça !
P.S: et avec pas mal de remarques se rattachant à notre discussion, cette interview de Marco Beltrami.