The Charge Of The Light Brigade (Max Steiner)

Quand Max Steiner sonnait la charge…

Disques • Publié le 20/04/2009 par

The Charge Of The Light BrigadeTHE CHARGE OF THE LIGHT BRIGADE (1936)
LA CHARGE DE LA BRIGADE LÉGÈRE
Compositeur :
Max Steiner
Durée : 99:48 | 37 pistes
Éditeur : Tribute Film Classics

 

5 out of 5 stars

The Charge Of The Light Brigade (La Charge de la Brigade Légère) est en 1936 le premier travail que Max Steiner, au sortir de son contrat avec la RKO, signe pour la Warner Bros. et son directeur musical d’alors, Leo F. Forbstein. Le premier d’une longue série, doit-on s’empresser d’ajouter, puisque la partition composée pour le film de Michael Curtiz inaugure en effet une bonne trentaine d’années de contributions en faveur du célèbre studio. Le compositeur le dotera d’ailleurs d’un sigle musical resté fameux, une fanfare introduite dès 1937 dans la comédie Tovarich (Cette Nuit est notre Nuit) d’Anatole Litvak.

 

Il est bien sûr tentant de résumer les mérites de cette partition à ceux qui sont l’apanage de la fameuse séquence qui donne son titre au film. Mais à revoir celui-ci aujourd’hui, et à se replonger corps et âme dans cette musique, on ne peut qu’avouer combien ce serait réduire à sa seule finalité un mouvement orchestral de près de quatre-vingt-dix minutes, d’une éloquence qui en toute logique devrait laisser pantois, tandis qu’on cherche bien souvent en vain la raison d’être d’une présence musicale souvent abondante au sein des films actuels. Abondante, la musique dans The Charge Of The Light Brigade l’est bien sûr, envahissante dirait-on même volontiers. Mais si à l’époque elle répond en cela avant tout aux goûts de Jack Warner, elle n’en reste pas moins, et c’est là l’important, extrêmement raisonnée. «Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place» : voilà peut-être l’expression qui cerne au mieux nombre de partitions signées Max Steiner, et celle-ci en est un exemple flagrant.

 

Olivier de Havilland et Errol Flynn dans The Charge Of The Light Brigade

 

Comme souvent, le compositeur y multiplie les accroches mélodiques et leurs variations, avec comme fer de lance, brandi comme un étendard tout au long de la composition, un thème principal en deux parties : deux marches altières (l’une volontaire et tenace, traduisant la puissance, l’autre plus démonstrative et prenant valeur de musique de parade) qu’il rattache tout autant au personnage interprété par Errol Flynn qu’au régiment de lanciers auquel il appartient. Par là même, c’est toute l’armée britannique qui s’en retrouve instantanément glorifiée, et ce dès le générique, par la seule force de la musique. A bien y songer, on n’est d’ailleurs pas si loin des marches d’Edward Elgar. Il adjoint ensuite notoirement à ce thème omniprésent un motif inquiétant (pour le vil et cruel Surat Khan) ainsi qu’une jolie mélodie romantique (d’abord présentée au violon, déclinée par la suite en une très belle valse et logiquement rattachée au personnage féminin) qui à en croire James V. d’Arc, conservateur à la Brigham Young University, dans un entretien daté de 1998, constituerait même les toutes premières notes écrites par Steiner d’après le script du film alors que celui-ci n’est pas encore tourné.

 

Mais l’un des talents du compositeur, et pas le moindre, tient dans l’immuable précision avec laquelle il introduit et lie chacun des ingrédients qu’il emploie : usage appuyé de leitmotivs passant de l’intimisme le plus discret à l’emphase la plus militaire, éléments de folklore indien, valses élégantes, ambiances nocturnes, courtes citations d’œuvres existantes (marche nuptiale, hymnes)… En jouant sans cesse sur la frontière entre les domaines intra et extra-diégétiques, la conduite du discours musical, aussi disparate qu’il puisse paraître au premier abord aujourd’hui, est menée avec un raffinement de tous les instants. Il faut entendre avec quelle aisance Steiner, dramaturge hors pair à n’en point douter, assure à l’écran les transitions les plus acrobatiques avec un naturel désarmant. A ce titre, la grande scène de bal à Calcutta (une séquence qui à elle seule réunit toutes les équations, politiques autant que sentimentales, du film) est elle même un long et beau morceau d’anthologie musicale.

 

Errol Flynn dans The Charge Of The Light Brigade

 

C’est une certitude : au-delà d’une quelconque opinion préconçue appelant à dénoncer nécessairement une inclination au pléonasme, et malgré la profusion d’effets utilisés, tout ceci a bel et bien été ciselé avec une science qui force l’admiration. Alors seulement – autre indéniable évidence – au bout de ce minutieux parcours, de cette patiente construction, le formidable élan de bravoure musicale illustrant la charge prend-il toute sa valeur, avec son orchestre lancé jusqu’à l’allure maximale, ses sonneries qui fusent en tous sens, ses citations (le Rule Britannia pour l’armée britannique, l’hymne impérial des Tsars pour les soutiens russes de Surat Khan) qui se croisent et se recroisent encore, son crescendo rythmique implacable jusqu’à l’acte héroïque final, splendide, dans la plus pure tradition hollywoodienne…

 

Qu’on soit ou non partisan de la méthodologie employée (Maurice Jaubert avait en son temps beaucoup à dire sur la «puérilité» supposée des procédés en vigueur à Hollywood), The Charge Of The Light Brigade rappelle à qui veut bien l’entendre que Max Steiner, en élevant la discipline au statut d’art cinématographique à part entière, n’a en rien usurpé son affectueux surnom de «père de la musique de film» de l’autre côté de l’Atlantique. La composition toute entière se révèle en effet comme une belle et vraie partition épique, dans le sens le plus noble (et le moins usurpé) du terme. Qu’on se le dise…  Pour témoigner au disque de ce monument, il n’y eu guère pendant des années qu’un seul et même morceau (Forward The Light Brigade), en fait une courte présentation du thème principal. On en trouve de nombreuses interprétations, dont la plus connue (et sans doute la plus mémorable) restera celle que Charles Gerhardt, à la tête du National Philharmonic Orchestra, gravera en 1973 pour la fameuse collection Classic Film Scores éditée par RCA (disponible en CD sous la référence 0136-2-RG).

 

Errol Flynn dans The Charge Of The Light Brigade

 

Tout change en 1995 lorsque le tandem John Morgan/William Stromberg, déjà, décide d’en reconstituer (essentiellement à partir de réductions approximatives pour piano, les parties orchestrées ayant disparues) moins d’une trentaine de minutes en faveur d’un enregistrement destiné au label Marco Polo (et intitulé Historical Romances, sous la référence 8.223608). A lire aujourd’hui avec quelle passion cette musique touche William Stromberg au plus profond de son être, on imagine sans peine à quel point celui-ci devait alors trépigner sur son siège faute d’avoir été le chef d’orchestre désigné pour l’enregistrement : c’est en effet à Richard Kaufman que revint cette tâche, devant l’orchestre philharmonique Brandebourg de la ville de Potsdam. Il aura donc fallu dix-huit ans de plus pour que le projet rêvé par Morgan et Stromberg voie le jour sous les meilleurs auspices. L’actuel réenregistrement, le deuxième de la série consacré à Max Steiner après l’envoûtant She (La Source du Feu), présente ainsi rien de moins que la totalité de la partition (dont plusieurs pistes absentes du montage final, ainsi que celle illustrant un court-métrage promotionnel de l’époque), une reconstitution qu’on devine titanesque effectuée essentiellement à partir des particelles retrouvées au sein des archives Steiner de la Brigham Young University.

 

Le résultat à l’écoute est une fois de plus une merveille, la prise de son, la conduite de William Stromberg et l’interprétation de l’Orchestre Symphonique de Moscou s’avérant mille fois plus incisives que celles entendues chez Marco Polo, sans parler de la tentative, entreprenante mais brouillonne, de Barry Kolman et de l’Orchestre Philharmonique de l’Etat Slovaque qui en 1998 enregistraient de leur côté une suite de près de trente-cinq minutes pour le label Centaur (CRC 2367). A noter que le passionné trouvera ici, en complément de programme, la non moins délicieuse musique que Steiner composa pour la bande-annonce de Arsenic and Old Lace (Arsenic et Vieilles Dentelles). Faire redécouvrir sous leurs meilleurs atours des partitions qui ont fait l’Histoire du Cinéma, et qui témoignent de fastes d’époques révolues desquelles il y a pourtant encore beaucoup à apprendre, même aujourd’hui, voilà l’inestimable credo du label Tribute Film Classics et de ses principaux artisans, Anna Bonn, John Morgan et William Stromberg. Cet enregistrement, comme tous ceux qu’ils nous ont offert jusqu’ici, est une aubaine.

  The Charge Of The Light Brigade

Florent Groult
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