Né en France en 1978, Mathieu Alvado est un compositeur, orchestrateur et chef d’orchestre réputé. Initié dès l’enfance au piano et au saxophone, il a poursuivi une formation musicale rigoureuse au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, où il a obtenu plusieurs prix en harmonie, contrepoint et fugue. Il a composé plus de 60 musiques originales pour des courts métrages et orchestré ou dirigé des musiques pour une trentaine de longs métrages, collaborant avec des compositeurs comme Pierre Adenot, Guillaume Roussel, Erwann Kermorvant ou Christophe Héral. Ses compositions ont été interprétées par des ensembles prestigieux tels que le London Symphony Orchestra et le Philharmonia Orchestra. Parmi ses projets récents, on compte la musique du jeu vidéo Empire Of The Ants (2024), inspiré du roman de Bernard Werber, et la série animée de Netflix Astérix et Obélix : Le Combat des Chefs de Alain Chabat et Fabrice Joubert.
Comment te retrouves-tu à composer pour Le Combat des Chefs ?
Je suis arrivé sur le projet avec Fabrice Joubert, le co-réalisateur de la mini-série, pour qui j’avais composé la musique du court métrage Safety qu’il avait réalisé en 2018. Quand il a été choisi pour co-réaliser la série, il a demandé à Alain Chabat s’il avait déjà quelqu’un en tête pour la musique et comme ce n’était pas le cas, il lui a parlé de moi. Alain a souhaité découvrir mon travail, et Fabrice lui a donc envoyé ma playlist SoundCloud, qui rassemble l’essentiel de mes compositions. Alain a tout écouté attentivement et a fait un retour écrit à Fabrice, dans lequel il détaillait ce que ces musiques lui évoquaient, et notamment certains morceaux qui pourraient correspondre à des scènes spécifiques de la série. Ma playlist comportait aussi des chansons, ce qui l’intéressait parce qu’ils envisageaient justement d’inclure une chanson dans chaque épisode. Ils ont finalement mis cette idée de côté et il ne reste plus que les deux séquences musicales dans cet esprit : C’est un Monde Romain et Panono.
La musique originale devait donc se faufiler entre des chansons pré-existantes ?
Quand je suis arrivé sur le projet, les chansons avaient déjà été choisies avec soin. Je pense notamment à l’arrivée d’Aplusbegalix avec Bad To The Bone, que James Cameron utilise dans Terminator 2 lorsque le T-800 arrive dans le présent. Les chansons ne sont pas posées gratuitement, elles créent souvent un effet comique. Les emplacements réservés à la musique originale étaient eux aussi déjà définis. Le spotting avait été préétabli, même si je suis arrivé relativement tôt dans le processus. On travaillait encore à partir de l’animatique (une sorte de storyboard animé), avec Alain Chabat qui enregistrait lui-même la moitié des voix, car les acteurs n’avaient pas encore été choisis. Les comédiens ont été réenregistrés progressivement, au fil des nouvelles idées qui apparaissaient constamment. Le travail s’est affiné étape par étape.
Quelle était la vision musicale d’Alain Chabat? Ce son symphonique était-il présent dès le départ ?
Alain, Fabrice, Benoît Oullion le co-scénariste et les monteurs image Florent Colignon, David Boyadjian ainsi que le monteur son, Nicolas Bouvet-Levrard, avaient placé des musiques temporaires et effectivement, le côté symphonique était très présent. Ils se sont fait plaisir en piochant parmi leurs musiques de films préférées ! La direction posée était cohérente et il fallait que je trouve mon chemin en composant des thèmes et en unifiant l’ensemble. La première étape était de trouver le thème principal de la série. Au début, ils envisageaient un thème pour Astérix, un autre pour Obélix, avec la possibilité de les combiner par moments, ce qui est une jolie idée. Mais j’ai préféré leur proposer un thème principal pour la série qui incarne Astérix, son énergie, son courage, son côté joyeux, auquel j’ai ajouté un thème centré sur l’amitié d’Astérix et Obélix. Ensuite, il fallait des thèmes pour le village, pour César, pour Metadata, pour Panoramix, pour Aplusbégalix, pour Fastanfurious et également un motif musical pour la potion magique. J’ai passé beaucoup de temps sur ces thèmes. C’était parfois un peu laborieux, car je poursuivais la recherche tant que je n’étais pas satisfait de la mélodie ou de son harmonisation. Certains sont venus assez naturellement, mais pas tous. Sans surprise, c’est le thème principal qui a été le plus long à trouver parce qu’il devait synthétiser l’aventure, l’enthousiasme et l’humour. Au final, je me suis retrouvé avec neuf thèmes que j’ai agencés en fonction des scènes, tout en gardant une homogénéité musicale.
Ta partition renvoie aux grands scores Amblin, à l’ILM des années 80. Il y a quelque chose de méta qui correspond bien à l’univers de Chabat, mais c’est aussi très rassurant et très générationnel…
Oui, ils n’ont pas eu besoin de me pousser beaucoup ! Au-delà de Williams et Silvestri, je me suis inspiré de Ravel, de Debussy, de Holst, de Prokofiev, de Bartok, de tout cet héritage musical européen que les américains utilisent depuis les débuts du cinéma et qui s’intègre bien dans cet univers. D’ailleurs, quand on enregistrait, les musiciens me disaient que certains passages leur faisaient penser à des compositeurs classiques, et j’en étais ravi !
Tu devais t’inscrire dans la personnalité musicale d’Astérix tout en te démarquant de ce qu’avaient pu composer notamment Gérard Calvi, Vladimir Cosma ou Michel Colombier ?
C’est vrai que Gérard Calvi a donné une identité musicale forte à ces personnages, mais contrairement à une franchise comme James Bond, où le thème est repris de film en film, chaque compositeur qui a travaillé sur Astérix a eu la liberté de proposer « son » thème et d’apporter son style sans avoir à respecter un cahier des charges lié à la franchise. Dans Le Combat des Chefs, l’amitié entre Astérix et Obélix est au cœur du récit. Les tensions entre eux, je ne crois pas qu’on les ait déjà vues représentées comme cela auparavant, même dans la BD. Il y a des éléments qui remontent à l’enfance, comme Astérix qui parle pour Obélix parce que ce dernier est tellement introverti, tellement timide, jusqu’au moment où ça craque parce que c’est un poids pour tous les deux. Je trouve que cette dimension-là n’avait jamais été traitée et ça les rend extrêmement touchants. C’est pour ça que le thème d’amitié est devenu l’un des thèmes principaux.
La musique trouve un équilibre assez formidable entre les moments de tension, de suspension un peu dramatique, et les moments d’action, de poursuite, sans tomber dans le mickey-mousing…
Merci, mais ce n’est pas quelque chose de conscient. Dans le générique de l’épisode 5, il y a un court-métrage en 2D, Mission Potager, qui est un pur cartoon de type Merry Melodies dans l’univers d’Astérix, pour lequel j’ai fait du mickey-mousing à la Carl Stalling, et c’est épuisant parce que tout doit être extrêmement précis. Ces trois minutes de musique m’ont demandé autant de temps qu’un épisode entier de la série. Ça m’a rappelé une interview que j’avais faite de Bruce Broughton il y a une vingtaine d’années dans laquelle il décrivait son travail sur les Tiny Toons. Il m’expliquait qu’il avait réuni une équipe de compositeurs pour la série mais que plusieurs d’entre eux n’étaient tout simplement pas faits pour cet exercice très particulier. Maintenant, je comprends mieux ce qu’il voulait dire ! Dans la série, j’ai essayé de créer une musique qui souligne les actions en s’intégrant de manière cohérente dans la narration musicale sans être réduite à une succession d’effets musicaux juxtaposés. Les thèmes sont constamment réutilisés, déformés, transformés, mais bien présents. Par exemple, sur la séquence de poursuite dans le parc au cours de l’épisode 4, j’ai proposé une musique de parc d’attraction un peu délirante, une valse sur le thème d’Astérix dont le moteur rythmique est toujours là et accélère, tout en soulignant chaque action sans casser la structure.
En écoute isolée, on trouve de vraies pistes développées qui montrent la place laissée à l’expression musicale. Les deux co-réalisateurs semblaient donc réceptifs à la musique et à tes propositions ?
Oui, tout à fait. Une fois les thèmes trouvés, j’ai commencé à composer les musiques en commençant par les épisodes les plus avancés en termes d’animation. Les retours d’Alain, Fabrice et Benoît étaient tellement enthousiastes que ça m’a donné confiance et dans certains cas, ça m’a permis de m’éloigner de la musique temporaire. J’étais dans cette dynamique extrêmement positive où j’allais aux réunions en attendant avec impatience leurs commentaires qui allaient me permettre de faire une seconde version bien meilleure. Leurs demandes étaient d’ailleurs très précises, comme c’est souvent le cas dans l’animation. Chaque cadrage y est pensé depuis le storyboard : un gros plan, une contre-plongée, tout a un sens narratif. Pour un compositeur, c’est une mine d’informations, ça donne énormément d’indications sur ce que le spectateur est censé ressentir et nous permet de construire une musique qui accompagne le mouvement, voire de prendre le contre-pied, si nécessaire.
D’où vient cette prédilection pour le cinéma animation ?
Mon premier souvenir de cinéma, c’est Blanche-Neige et les Sept Nains que mes parents m’ont emmené voir lorsque j’avais 4 ou 5 ans lors d’une reprise en salles comme ça se faisait souvent à l’époque, avant l’arrivée de la cassette vidéo. J’ai encore des souvenirs très précis de cette séance et de ce que j’ai ressenti à la vision du film. Mon lien professionnel avec l’animation, lui, est né un peu par hasard. Il y a plus de vingt ans, je cherchais des courts métrages d’étudiants à mettre en musique. J’ai alors contacté toutes les écoles de cinéma… sans obtenir de réponse. Et puis un jour, j’ai vu une annonce sur la porte du département écriture du Conservatoire de Paris : une étudiante, Marion Arbona, cherchait un compositeur pour un film d’animation. Ce court-métrage a tourné dans les festivals et les écoles de cinéma d’animation et d’autres étudiants en animation m’ont contacté. Depuis, je navigue entre l’animation, le jeu vidéo, la publicité et la prise de vues réelles. Ce que j’aime dans l’animation, c’est son aspect artisanal. C’est un médium d’artisans, où l’on devient réalisateur après avoir été storyboardeur ou animateur, et où l’on peut revenir à ces métiers et garder un lien concret avec la fabrication du film. Ce lien se ressent aussi dans les relations avec les compositeurs : il y a un respect mutuel, un vrai dialogue. Fabrice a déjà travaillé et retravaillera sûrement sur des projets d’animation et j’espère qu’Alain refera de l’animation lui aussi parce que je pense que c’est un domaine qui lui correspond très bien, lui qui est à l’écoute de chacun et respectueux du travail de tous.
Alain Chabat avait-il des souhaits de jouer avec les attendus musicaux, notamment du péplum ?
Il y avait quelques références posées, notamment sur le personnage de César, avec des compositions de Miklós Rózsa en musique temporaire. Je me suis donc amusé avec certains procédés d’écriture qui évoquent la Rome Antique dans notre inconscient musico-cinématographique. Dans la séquence de la loupe par exemple, on voit la carte, on dézoome puis on voit la loupe et on entend Metadata dire « Non, toute la Gaule n’est pas occupée », il n’y avait pas de musique prévue sur cette scène. J’ai proposé cette montée aux cuivres à la fois péplum et en même temps comique.
Quel plaisir également d’entendre le London Symphony Orchestra qui fait partie aussi de ces références de la musique de films avec ce « son » que l’on aime retrouver !
J’ai eu la chance de travailler plusieurs fois avec le LSO et c’est un orchestre que j’adore, qui est évidemment mythique pour la musique de film puisque c’est l’orchestre de Star Wars, d’Indiana Jones et de Superman, mais aussi de Braveheart, ou plus récemment d’Avengers. J’ai parfois fait appel à eux sur des courts-métrages et à chaque fois, les musiciens se donnent à fond, quel que soit le projet, car ils jouent la réputation de l’orchestre. Un jour où j’enregistrais à Air Studios, j’ai croisé David Arnold qui m’a dit : « Au LSO, ce ne sont plus du tout les mêmes musiciens qu’il y a 40 ans, mais c’est toujours le même son ! ». Londres est réputé pour ses orchestres et ses régies et ce que je trouve extraordinaire avec le LSO, c’est qu’il y a une homogénéité spectaculaire dans le son des cordes. Ils savent harmoniser leurs timbres les uns avec les autres puisqu’ils jouent toute l’année ensemble, et de tous les répertoires. Ils peuvent passer d’une symphonie de Mahler à des œuvres de jeunes compositeurs contemporains, du jazz à la pop et ils ont une rapidité d’adaptation stupéfiante. J’aime bien les titiller en leur écrivant des partitions parfois difficiles, en essayant de repousser mes limites et les leurs, les stimuler un peu et je pense qu’ils aiment bien ça. Parfois, je me dis « sur ce passage un peu véloce, on va peut-être galérer », mais pas du tout ! Il n’y a donc pas de tension pendant l’enregistrement, ils sont réellement fabuleux. En plus, ils m’ont récemment fait le cadeau d’inclure trois de mes compositions, dont le générique de fin du Combat des Chefs, dans un programme tout entier consacré aux compositeurs français de cinéma dont ils ont enregistré les musiques.
Tu es un orchestrateur reconnu, tu diriges les sessions d’enregistrement, en plus de composer…
Je prends beaucoup de plaisir à orchestrer les musiques d’autres compositeurs, surtout quand ils sont aussi talentueux que Christophe Héral, Pierre Adenot, Erwann Kermorvant ou Guillaume Roussel, pour ne citer que ceux avec lesquels j’ai le plus travaillé. J’ai beaucoup appris et je continue à apprendre en les regardant gérer leurs projets. Au-delà de l’orchestration, j’aime les différents aspects du travail sur une musique de film, discuter de la production de la musique, de ce dont le film a besoin, toute la phase d’organisation, du budget qui va conditionner le lieu d’enregistrement et si on enregistre un orchestre entier ou quelques solistes. Ce sont autant de questions importantes qui influent sur la composition.
Sur Astérix & Obélix, Netflix m’a proposé d’embaucher une équipe d’orchestrateurs, mais je leur ai dit que je devais orchestrer moi-même parce que personne ne s’y retrouverait dans mes fichiers ! Je dois remercier autant Netflix qu’Alain et Fabrice car cela impliquait de terminer la composition un mois avant l’enregistrement pour avoir le délai suffisant pour tout orchestrer. Après, la direction lors de l’enregistrement, ce n’est que du bonheur. J’ai pu travailler une fois de plus avec Geoff Foster pour la prise de son, avec Cécile Coutelier, qui est extraordinaire à la fois dans la préparation des sessions, dans la direction artistique et dans le montage musique, Norbert Vergonjanne qui imprime et relie toutes les partitions même quand je lui livre les fichiers au dernier moment, et le mixage réalisé par Samy Cheboub. Je redécouvre la partition au moment du mix et je discute avec lui de ce que l’on peut améliorer. Pierre-Marie Dru et Laureen Arnou-Sanchez ont fait un travail remarquable sur la supervision musicale et vu la taille du projet, je ne sais pas comment j’aurais pu m’en sortir sans Pierre-Marie. L’aventure de la composition du Combat des Chefs s’est superbement bien passée ! Sur un tel projet avec un certain poids financier, je n’en reviens pas d’avoir eu autant de liberté. Et je constate ma chance car je me suis toujours vu, et je me vois encore, comme un béophile passé de l’autre côté de la platine !
Entretien réalisé en juillet 2025 par Gérard Dastugue.
Transcription : Gérard Dastugue.
Illustrations : © DR
Remerciements à Mathieu Alvado, pour sa disponibilité et sa musique !