36.15 Code Père Noël (Jean-Félix Lalanne)

The night they fucked Christmas

Disques • Publié le 24/12/2020 par

36.15 Code Père Noël36.15 CODE PÈRE NOËL (1990)
Compositeur : Jean-Félix Lalanne
Durée : 43:43 | 16 pistes
Éditeur : CBS Records France

 

 

2.5 out of 5 stars

 

Cher Père Noël,

 

Cette année, j’ai été très sage. Juges-en plutôt : j’ai apporté à l’industrie du disque exsangue tout mon soutien pécuniaire en acquérant un maximum de galettes argentées, j’ai fui comme la peste tout ce qui ressemblait de près ou de loin aux charges « mammouthesques » de l’oncle Hans et de ses nombreux sbires, j’ai respecté les distanciations incongrument dites sociales — mieux éduqué que moi, tu meurs. En mon âme et conscience, j’estime donc avoir bien mérité une récompense… Mais attention ! Je ne veux pas trouver au pied du sapin le Santa Claus d’Henry Mancini, encore moins un Home Alone enrubanné de bleu électrique et de rose barbe à papa, ni aucune des sempiternelles confiseries que mes acolytes mélomanes s’empressent, à chaque Noël venu, de déballer en rang d’oignon. Niet ! Ce qui me ferait plaisir, et pas qu’à moitié, c’est plutôt l’album du 36.15 Code Père Noël de Jean-Félix Lalanne. Rien que le titre, onctueusement suranné, fait office d’invitation à bourlinguer au fond des âges protohistoriques… Le souvenir ému du Passage prête aussi main forte, à coup sûr l’une des sorties de route les plus hallucinatoires de la carrière d’Alain Delon, où sévissaient déjà René Manzor derrière la caméra ainsi que son redoutable frère, le susnommé Jean-Félix.

 

Bref, inutile de te faire un dessin, Père Noël : ce film, je n’en ai fait qu’une bouchée. Et le plaisir auditif escompté s’est révélé pluriel, lorsque je t’ai entendu parler avec la voix française de Robin Williams et Michael Douglas. La grande classe, ou je ne m’y connais pas ! A lui seul, ce savoureux détail a su racheter la révélation du secret, un poil trop prosaïque à mon goût, de ta barbe éternellement de neige… Or donc, tandis que tu déambulais en quête d’enfants obéissants à qui distribuer un peu d’affection (pour ne trouver au final que de sales mioches pleurnichards), des simili-pizzicati et un ersatz de flûte, pourvus gracieusement par un arsenal électronique de la meilleure veine, épandaient à satiété la magie des fêtes. Comme quoi, nul besoin de toujours céder au grelot fêlé des clochettes qu’un réflexe pavlovien couronne marraines obligées de ladite féérie. Ah, mais j’entends d’ici les langues bifides ! Persiflant que ces bêlements caractérisent la mièvrerie nunuche affectionnée par Manzor, et dont ce dernier, Noël oblige, ne nous accorde grâce d’aucun trémolo. Certes, tout est bon pour humecter l’œil papillotant : le grand-père plein de malice, mais menacé par son diabète, le chien trognon victime d’un (très) sale coup, et que son jeune propriétaire portera en terre sous une pléiade de spotlights… Le cinéaste n’a pas la main légère. Son compositeur non plus. Voilà ce qui s’appelle une symbiose artistique en bonne et due forme.

 

36.15 Code Père Noël

 

A propos, Père Noël ! En parlant du cabot… D’accord, il a déclenché les hostilités le premier, et pendant que tu t’employais à remplir ton traditionnel office, de surcroît. N’empêche que je ne t’imaginais pas si soupe au lait. A la moindre de tes apparitions, le regard torve, cadré au ras des bottes tel un banal croque-mitaine pour slasher perclus de rhumatismes, Lalanne n’hésite jamais à charger la mule. Un jeu du chat et de la souris, aux quatre coins d’une immense bicoque gothique revue et violentée par un pubard des années 80, engendre ainsi un ostinato s’étirant lascivement sur sept bonnes minutes. Son manque criant de moyens a beau contraindre Jean-Félix à recourir à des succédanés titubants, comme ici une guitare électrique d’où fusent en guise de ponctuation explosive quelques riffs du pauvre, un certain savoir-faire paraît au bout d’un moment sourdre de ce long ruban synthétique : un suspense constellé de rustines mais qui, tout bien pesé, en vaut un autre. Mieux encore, surgit ailleurs un crescendo marqué du sceau de l’épouvante, qui frise carrément l’expérimental, comme si un Stockhausen de facétieuse humeur et brandissant un bilboquet s’était acharné sur un cantique de Noël ! Bon, j’avoue, sur ce coup-là, je taquine l’hyperbole… Néanmoins, quitte à choisir entre Charybde et Scylla, on n’eût pas trouvé désagréable que la postérité capricieuse fît du gringue à ce Lalanne-là plutôt qu’à son grand frère Francis.

 

Hum, j’ai l’impression subite de manquer à tous mes devoirs. Comment va la santé, Père Noël ? C’est que ce diable de Thomas, le morveux pourri-gâté à qui tu as eu l’idée malencontreuse de rendre nuitamment visite, t’en a fait voir de toutes les couleurs. Au début du film, irrésistible fut la tentation de pouffer en le voyant se barder de cartouchières en plastoc et se barbouiller de cirage noir en lieu et place de brou de noix, dans un duplicata pour rire des préparations au combat maintes fois caricaturées qui émaillent Rambo: First Blood Part II. Le clin d’œil, qui éblouirait même un aveugle, n’a pourtant pas contaminé la musique : snobinarde comme pas permis (ou bien tout simplement réaliste, va savoir), elle ne s’encombre d’aucun hommage même velléitaire à Jerry Goldsmith et préfère touiller en cadence ses synthés, leur arrachant tant bien que mal percussions énervées et simulacre de voix chuintantes. Un tantinet excessif pour un moutard pas beaucoup plus haut que trois pommes, peut-être ? Mais avec ce Thomas, on tient de la bigrement mauvaise graine ! A l’instar de son modèle bouffi de deltoïdes et de trapèzes, il se révèle un expert ès chausse-trappes qui pousse la fourberie jusqu’à planquer une grenade artisanale à l’intérieur d’une locomotive miniature — tu l’as appris à tes dépens, Père Noël.

 

3615 Code Père Noël

 

Pour parfaire le vil camouflage, la teigne n’hésite pas à s’assurer la complicité de Jean-Félix, ce candide, afin que le train létal roule sur fond d’inoffensive ritournelle de boîte à musique. Celle-ci, au passage, détourne le Merry Christmas scandé par Bonnie Tyler, tu sais, la blondinette au timbre de rogomme, qui à l’époque dépérissait un peu au creux de la vague. Enfin, panache en berne ou non, voici clairement la plus belle prise dont un film tourné à la débrouille et à l’économie puisse encore aujourd’hui s’enorgueillir. Concernant nos oreilles, soûlées d’alexandrins pop quant à la difficulté de devenir un homme, là, ça n’est plus tout à fait la même limonade… T’en relèveras-tu jamais, ô esprit de Noël bafoué ? En plein générique de fin, l’angoissante question me taraudait avec une violence décuplée. 36.15 Code Père Noël, c’est du bonheur en barre, va surtout pas t’imaginer le contraire, hein ! Sauf que voir notre cher ramoneur tout de rouge emmitouflé mordre finalement la poussière, aux pieds de son juvénile bourreau pas mal secoué, okay, mais bel et bien vainqueur, ça m’a esquinté le moral. J’espère que ta convalescence se déroule pour le mieux, Père Noël, et que la flasque de Wild Turkey qui t’attend sur la table de ma cuisine ramènera un peu de rose à tes joues toutes rondes.

 

Vivement mon Lalanne !

 

Benjamin

 

P.-S. : Santa Claus Conquers The Martians, ça n’existe pas en CD ? La tuile… Je ne dirais pas non à un petit miracle tout droit sorti de ta hotte, tiens.

 

36.15 Code Père Noël

Benjamin Josse
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