8 Femmes (Krishna Levy)

Musique en Technicolor

Disques • Publié le 16/03/2016 par

8 Femmes8 FEMMES (2002)
Compositeur : Krishna Levy
Durée : 40:51 | 21 pistes
Éditeur : WEA

 

 

4 out of 5 stars

« I shall never forget the day Dad died » pourrait-on écrire en guise de préambule, tant les premières secondes d’écoute rendent un hommage vibrant au magnifique thème de Laura composé par David Raksin. Du temp track au devant de la scène, ce n’est qu’un tribut évident lorsque l’on se forge de réaliser un film sur les actrices. L’âge d’or hollywoodien éclate en Technicolor dans ce décor enneigé où les flocons renvoient au générique de A Time To Love And A Time To Die (Le Temps d’Aimer et le Temps de Mourir). La photo de Jeanne Lapoirie n’est d’ailleurs pas sans rappeler le chromatisme flamboyant de Russel Metty.

 

Krishna Levy rejoint donc, après Eric Neveux et Philippe Rombi, l’univers d’un cinéaste audacieux, dilettante provocateur, qui aime à marier classicisme et subversion, nostalgie et transgression. Si les partitions de Fast, Artemisia ou encore Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle…) annonçaient effectivement une direction néo-classique, Jeux d’Enfants se promenait plutôt sur les terres de Bernard Herrmann. Levy renouvelle ici l’expérience, faisant de l’écriture romantique du compositeur hollywoodien le passeport idéal pour un voyage vers l’irrésolu. Par un jeu sur des cellules mélodiques brèves et inachevées, de tierces en suspension, l’approche herrmannienne apparaît comme une perpétuelle interrogation. Point de réponse, point de répit, un devenir qui ne vient pas. Ce sentiment d’attente ainsi créé convient parfaitement à l’intrigue du film de François Ozon : huit femmes qui ne peuvent se résoudre à la vérité, une vérité qui ne peut se résoudre que dans la frustration. Pour preuve, un final qui donne à ces tergiversations féminines un climax qui n’en est pas un. Dans 8 Femmes, il n’y a que des victimes.

 

8 Femmes - 1 = 7

 

La musique de Levy appose un vernis, une patine douce-amère sur ces portraits de femmes qui convoquent Cukor, Fassbinder ou Sirk. Certes, on sent la jubilation du compositeur à mettre en musique la séquence du baiser (hitchockienne en diable, la blonde et la brune), un baiser qui donne le Vertigo. On est cependant en droit d’attendre que son propre style respire un peu plus, se dégage du poids de ses aînés auxquels il se réfère d’une manière brillante mais un brin appliquée. Il suffit d’un générique de fin pour deviner la flamme intérieure qui l’anime, ce thème plein d’émotion, automnal, presque crépusculaire, qui referme d’un claquement de doigt le rideau sur un temps révolu.

 

Mais la véritable flamme du film, ce sont ses actrices, chanteuses d’un soir. Le juke-box est en branle. Quand la fausse candeur de Ludivine Sagnier dynamite Sheila, le timbre légèrement voilé d’Isabelle Huppert donne une belle intimité à son Message Personnel. Et si Fanny Ardant s’interroge (A quoi sert de vivre libre ?) en retirant ses gants comme Gilda, le chagrin d’amour de bonbonnière de Virginie Ledoyen ou la solitude de Firmine Richard sont vite réveillés par un effronté Pile ou Face auquel Emmanuelle Béart donne toute sa belle assurance. Finalement, c’est la distinction mélancolique et résignée de Catherine Deneuve qui laisse à la sagesse de Danielle Darrieux le soin de conclure par un lapidaire car désenchanté Il n’y a pas d’amour heureux.

 

L’intérêt réside tout autant dans ces performances d’actrices que dans les arrangements de Bruno Fontaine. Armé d’une cohorte de solistes de renom (parmi lesquels on trouve Jean-Philippe Audin, Christophe Guiot, Marc Chantereau, Claude Engel ou encore Jannick Top), il évite l’écueil du démonstratif au profit d’une approche sensible et épurée, comme un cabaret en fin de soirée. Déjà à l’œuvre sur On Connait la Chanson d’Alain Resnais, Bruno Fontaine crée sur son nom comme sur le principe un pont évident entre les deux films. Si Resnais traitait les parties chantées sur le ton de l’ironie dramatique, Ozon en fait un monologue intérieur dévoilé au grand jour, une confession secrète qu’un dialogue seul n’aurait suffi à exposer. Ce que l’on ne peut dire, il faut le taire. Ozon préfère le chanter. Il ne manque peut-être qu’une voix, celle du neuvième personnage, le père disparu. Une absence que la raison fait vite oublier, sa chanson aurait certainement nuit à l’équilibre féminin. Car qu’aurait-il pu entonner, sinon peut-être Marre de ces nanas-là

 

Catherine Deneuve

 

Article initialement publié sur Traxzone le 29/05/2002.