Fire And Ice (William Kraft)

Tygra, la glace et le feu

Décryptages Express • Publié le 08/08/2016 par

FIRE AND ICE (1983)Fire And Ice
Réalisateur : Ralph Bakshi
Compositeur : William Kraft
Séquence décryptée : Botched Rescue (0:42:07 – 0:45:10)
Éditeur : BSX Records

 

Ils peuvent tous lever leur verre à la santé de George Lucas, qui n’en imaginait sans doute pas tant en insistant pour que son petit projet de science-fiction démodée bénéficie d’une musique symphonique presque autant tombée en désuétude que le genre auquel il souhaitait rendre hommage avec son film. Ils le lui doivent bien, les Holdridge, Whitaker, Safan, Broughton, et même Horner, Conti, Silvestri ou Bernstein qui, sans lui, n’auraient sans doute jamais signé au cinéma leurs grandes œuvres orchestrales des 80’s. Parfois la seule, comme ce fut le cas pour William Kraft, compositeur et percussionniste choisi par Ralph Bakshi pour illustrer l’univers primitif de son Fire And Ice. Intuition heureuse car Kraft, sans doute ravi de pouvoir se faire entendre bien au delà du cercle des amateurs de musique contemporaine, n’en demeure pas moins fidèle à son écriture, et profite même de cette incursion dans l’heroic fantasy filmée pour proposer un précipité rassemblant sous une forme plus narrative vingt ans d’exploration musicale.

 

Bakshi, de son côté, semble avoir appris de l’échec de son Lord Of The Rings, et entreprend Fire And Ice comme son contrepied complet. S’il est aussi une adaptation d’un univers canonique de la fantasy, Fire And Ice est unique en son genre, puisque le projet est ici d’adopter non pas un univers narratif mais un univers visuel. Celui, inimitable, génial et stéréotypé de Frank Frazetta, lui-même inspiré par la littérature d’Edgar Rice Burroughs ou Robert E. Howard. Loin du foisonnement ramifié et délicat de J.R.R. Tolkien, Bakshi et Frazetta empruntent aux toiles les plus célèbres de l’illustrateur le strict nécessaire pour mener un récit heureusement ténu. Car le film tire sa force de la simplicité de son argument (le royaume du feu, vertueux et noble, contre celui de la glace, décadent et tyrannique !), ayant bien compris qu’une des forces du genre est de faire reposer sa dynamique sur l’énergie physique des personnages : ce qu’ils font, plutôt que ce qu’ils pensent ou disent.

 

Teegra

 

Avare en dialogue, ce film est aussi celui dans lequel la technique controversée de la rotoscopie tel que l’utilise Bakshi pour l’animation – consistant à faire décalquer partiellement aux animateurs les photogrammes de films d’acteurs doublant physiquement les personnages – trouve sa justification esthétique. Enchaînant de longues scènes de poursuite, prenant parfois l’allure d’un survival barbare, si Fire And Ice est si réussi, c’est aussi grâce au score parfait de William Kraft. Compositeur peu mélodique, celui-ci se plie tout de même à l’exercice du leitmotiv en structurant la narration autour d’une poignée de thèmes. Celui de la princesse Teegra, aussi rare qu’innocent et charmeur, est le contrepoint de tout l’univers musical du film. A l’instar des images, qui opposent les courbes affolantes et la volonté de paix de la princesse aux silhouettes rugueuses des hommes bêtes et des guerriers presque nus se livrant une guerre incessante. Appuyées par des cuivres destructeurs soutenus par des rythmiques sépulcrales, la musique de Kraft est la traduction idéale du graphisme inventé par Bakshi, trahissant d’ailleurs le trait toujours séducteur de Frazetta au profit d’un traitement beaucoup plus rugueux, parfois aux frontières de l’abstraction. La musique n’hésite pas non plus à repousser les développements mélodiques pour laisser s’installer des silences, des interventions de percussions, des embardées de cuivres ou de cordes imprévues.

 

Rien d’étonnant, au contraire même, pour qui est au fait de la musique écrite pour l’orchestre depuis l’après guerre. Mais dans le cadre d’un film fantastique doté d’un score symphonique, le choc des contraires électrise le spectateur, même si quinze ans auparavant, Goldsmith adopte déjà un démarche semblable pour Planet Of The Apes, qui a bien des points communs avec le dessin animé de Bakshi. A l’image du définitif The Hunt composé pour le film de Franklin Schaffner, c’est aussi dans les scènes de traque tendues que Kraft excelle. Par exemple, lorsque les héros Larn et Darkwolf se faufilent dans la brume pour éliminer un nombre invraisemblable d’adversaires. Sur un fond presque blanc, le film atteint sans doute dans cette séquence son apogée plastique. Kraft, lui, en profite pour tisser une sarabande percussive amorcée par des tintements faussement légers et répétitifs, accompagnant l’approche des deux guerriers au milieu de leurs ennemis endormis, comme s’ils cherchaient à les maintenir éveillés par le rythme de leurs pas. Puis, lorsque l’assaut est donné, les cuivres au plus grave interviennent régulièrement et brusquement, comme l’écho des coups portés par Darkwolf et Larn : ce sont toujours les tambours ou les timbales qui mènent la séquence. Une jolie citation au xylophone du thème principal vient joliment conclure la scène sur une note délicate inattendue.

 

Tout au long du film, William Kraft parvient à développer sa musique tout en conservant toujours l’idée d’un accompagnement très contrasté, sans demi-mesure : délicat jusqu’à la fragilité lorsqu’il se fait purement mélodique pour évoquer Teegra, et brutal jusqu’à flirter avec le bruit pour accompagner les exactions des hommes bêtes. Editée tardivement, la formidable bande originale de Fire And Ice s’impose comme une des grandes réussites du renouveau symphonique des années 80 et de la fantasy filmée. A l’inverse de beaucoup de compositeurs de musique de film, c’est l’œuvre pour l’image qui est la part congrue du travail de Kraft. C’est le revers de la médaille : si la brève mode lancée par Star Wars et Conan The Barbarian imposait, dans l’esprit des producteurs, au moins 80 musiciens pour accompagner dignement la plus chiche des aventures fantaisistes et héroïques ayant brièvement bourgeonné au début des eighties, elle s’épuisa tout aussi vite d’elle même lorsque les musclés en pagne se retrouvèrent sans clients. Dommage, car Kraft avait parfaitement compris le genre, et l’illustra en allant chercher d’autres modèles et avec une autre sensibilité musicale que la plupart de ses contemporains. Une absence de descendance qui rend la musique de Fire And Ice d’autant plus indispensable.

 

Pierre Braillon
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