The Night Of The Hunter (Walter Schumann)

L.O.V.E. / H.A.T.E.

Décryptages Express • Publié le 18/01/2016 par

THE NIGHT OF THE HUNTER (1955)The Night Of The Hunter
Réalisateur : Charles Laughton
Compositeur : Wlater Schumann
Séquence décryptée : Leaning On The Everlasting Arms (1:20:30 – 1:22:00)
Éditeur : Bear Family

 

Le blanc et le noir. Le jour et la nuit. Le bien et le mal. L’innocence et la corruption. Le masculin et le féminin. L.O.V.E. / H.A.T.E. The Night Of The Hunter, unique film réalisé par Charles Laughton, est un kaléidoscope vertigineux de ces oppositions essentielles. Tantôt écrasante de menace, tantôt angélique et aérienne, la musique sert aussi à décliner ces contrastes radicaux. Et c’est grâce à elle, au détour d’une scène, que le film va s’enrichir d’une nuance fondamentale. Harry Powell est un psychopathe en habits de pasteur interprété par Robert Mitchum. La voix grave de l’acteur, veloutée et charmeuse lorsqu’il adresse cantiques et hymnes au tout-puissant, donne une image sonore parfaite de la beauté du mal, de sa capacité de séduction. Lorsqu’il a enfin retrouvé la trace des enfants connaissant la cachette du magot qu’il convoite, Powell est acculé et prêt à tout, même à brutaliser les habitantes de la maison où le frère et la sœur ont trouvé refuge. Avant de donner l’assaut, Powell va tout de même tenter d’obtenir ce qu’il veut par l’intimidation. Comme tous les prédateurs, il ne veut pas dépenser inutilement son énergie. Mais nous avons aussi compris, auparavant, qu’il y a aussi là une grande part de sadisme. Harry Powell prend un plaisir évident à torturer ses proies. Un plaisir auquel il ne peut résister. Sûr de lui, tel le professeur qui sait se faire redouter sans lever la voix, il vient entonner sous les fenêtres de Rachel Cooper le cantique auquel nous l’avons maintenant identifié : Leaning On The Everlasting Arms. Insensible au pouvoir de Powell, qui a pourtant séduit une des jeunes filles qu’elle a recueillie, Rachel veille sur ses protégées fusil au poing. Elle est assise à l’intérieur, dans sa chemise de nuit blanche, lui est debout dehors dans son habit noir. Laughton nous a habitués, depuis le tout début du film, à ces constructions radicalement contrastées. Pourtant, cette fois, les opposés vont se rejoindre.

 

D’abord par ce travelling reliant Mitchum et Lillian Gish. Mais c’est surtout par la musique que les valeurs installées vont basculer. Pendant quelques secondes, le regard perdu, Rachel Cooper semble troublée par le chant de Harry Powell. On s’imagine qu’elle va l’interrompre, peut-être en lui tirant dessus. C’est presque le contraire qui se passe : elle joint sa voix à la sienne. A l’unisson, ils se complètent parfaitement, sans que l’un ne cherche à l’emporter sur l’autre. Ce n’est pas une lutte musicale, mais bien une entente harmonique. Un plan d’ensemble va alors logiquement les inscrire tous les deux dans le même cadre. Traduction spatiale d’un partage aussi authentique que bref.

 

Aussi noire que soit l’âme d’Harry Powell, il y en a elle quelque chose que la pureté de Rachel Cooper peut rejoindre. Et si terrifiée qu’elle soit par la menace diabolique émanant de l’intrus, une part de Rachel Cooper se reconnait en Harry Powell et veut se joindre à lui. Powell est souvent présenté comme un faux pasteur. Mais le film est plus subtil. Nous le surprenons souvent, lorsqu’il est seul, dialoguant avec le tout-puissant alors que rien ne l’oblige à jouer son rôle. Pourtant, alors qu’ils vont s’affronter tels des principes contraires voués à une lutte éternelle, Harry Powell et Rachel Cooper se rejoignent et se confondent en adressant le même hymne à Dieu. On peut penser que pour le réalisateur, homosexuel tourmenté, paria à ses propres yeux, la scène résonne particulièrement intimement, et constitue peut-être le cœur secret de son film. Quelque chose, veut-il croire, nous relie tous, diables ou anges. La foi, ou peut-être, plus simplement, une humanité dont nul ne devrait être exclu… Pas même Harry Powell, ni Charles Laughton.

 

Pierre Braillon
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