Le rêve hollywoodien de Jérôme Leroy
Interviews • Publié le 16/03/2010 par et

 

Comment as-tu commencé à Hollywood ?

Grâce à Berklee. Ils ont un coordinateur à Los Angeles qui s’appelle Peter Gordon et qui a une fonction essentielle : tous les compositeurs qui cherchent des assistants s’adressent à lui et il publie une newsletter toutes les six semaines où il propose les dernières offres. Tout a donc commencé comme une recherche d’emploi classique : je suis arrivé en septembre et pendant trois mois j’ai envoyé mon CV. Et finalement je suis tombé sur une offre d’un monteur musique qui s’appelle Micha Liberman et qui travaillait alors sur Night Stalker, une série TV. Comme il était aussi monteur sur la série Deadwood, il avait besoin d’aide et il m’a choisi à cause de mon site internet : il a en fait pris celui qui lui semblait le plus à l’aise sur le plan technique.

 

J’ai donc commencé à travailler avec Micha, qui était aussi à cette époque monteur musique pour John Frizzell. Il se trouve que l’assistant de John devait à ce moment-là rentrer chez lui en Allemagne pour les vacances : il s’est donc retrouvé seul et comme Micha n’avait alors pas besoin de moi, j’ai travaillé pour John pendant six semaines. Il m’a donné une orchestration à faire et il m’a envoyé trois fois à Prague pour superviser l’enregistrement de la musique.

 

Cela s’est fait presque naturellement, donc…

Oui, au final ça paraît naturel, mais à l’époque pour moi c’était incroyable ! En répondant à la première offre, je n’avais aucune idée que ça allait me mener là. John Frizzell est un compositeur qui sait exactement ce qu’il veut. Il y a beaucoup de travail et c’est un environnement assez difficile avec beaucoup de stress, mais John reconnaît la valeur des gens qui travaillent pour lui. Il m’a offert beaucoup d’opportunités et je ne pourrai jamais assez le remercier pour ça. Lorsque j’ai orchestré pour lui sur Stay Alive et First Born, je n’avais rien à ce moment-là pour prouver que je pouvais être au niveau : bien sûr, de son point de vue c’était pratique car il pouvait contrôler ce que je faisais. Mais nous avions en fait une relation mutuellement bénéficiaire car ça m’a permis de lancer ma carrière en tant qu’orchestrateur.

 

 

C’est avec lui que tu t’es retrouvé à réorchestrer des passages de Conan The Barbarian (Conan le Barbare)…

C’était un travail pour lui en effet, lorsqu’il était président d’honneur du festival de musique de film d’Ubeda, en Espagne. Basil Poledouris devait diriger Conan en concert et John s’est occupé de toute la coordination pour que cela puisse se faire, car nous avons appris que Basil était malade et qu’il n’était pas sûr de pouvoir y aller. Je me souviens être allé chez lui le rencontrer parce qu’on cherchait les paroles des chœurs, absolument introuvables car elles n’étaient pas sur les partitions qu’on possédait. Apparemment, c’est un gars en Italie qui avait écrit les paroles en latin. Nous avons discuté de ça, Basil a commencé à me montrer où les paroles devaient aller et à griffonner ce que cela devait être sur un bout de papier. Mais il était fatigué et il n’a pas eu le temps de finir. On a fait ce qu’on a pu ensuite en réécoutant le CD. C’était très compliqué, mais travailler sur Conan a été un rêve. Et je peux vous dire que Basil n’avait aucune idée que sa musique pouvait être culte à ce point-là.

 

Et ta rencontre avec William Ross ?

Avec John, je n’étais toujours que second assistant et, à terme, je savais qu’il n’y avait pas assez de travail pour deux et que je devais trouver autre chose. John a alors envoyé un mail à tous les compositeurs qu’il connaissait à Los Angeles pour dire que l’un de ses assistants cherchait du travail. J’ai reçu plusieurs offres, dont celle de William Ross.

 

Bill Ross était alors pour moi un inconnu, je ne savais pas qui il était et j’ai commencé à me renseigner. Le pire est que j’avais bien sûr dans ma discothèque le CD de Harry Potter And The Chamber Of Secrets (Harry Potter et la Chambre des Secrets) et, bien sûr, je connaissais bien les partitions d’Alan Silvestri qu’il avait orchestré. J’ai trouvé que sa carrière était intéressante et je l’ai rencontré. Je pensais alors, et je le pense toujours, qu’être orchestrateur était un bon moyen d’entrer définitivement dans le business. J’ai commencé comme cela et c’est toujours la voie que je suis à l’heure actuelle : faire le maximum d’orchestrations pour ensuite peut-être composer des musiques additionnelles.

 

Bill Ross a eu la chance d’avoir une carrière multiple. Il est l’un des plus grands orchestrateurs à Hollywood à l’heure actuelle avec Conrad Pope et Pete Anthony, et il est sans aucun doute aussi l’un des plus grands arrangeurs au monde pour ce qu’il a fait notamment avec Céline Dion ou Barbra Streisand… Et il est assez rare que quelqu’un qui soit orchestrateur pendant 15 ou 20 ans puisse devenir compositeur à part entière et travailler sur des grosses productions comme il l’a fait. Je pense qu’il est l’un des rares compositeurs à vraiment comprendre l’orchestre, il a un style à lui, et même s’il a été catalogué comme compositeur orchestral pour des productions familiales, je suis certain qu’il pourrait faire des choses formidables sur des scores plus électroniques, c’est juste qu’il n’en a pas eu l’opportunité. Pour moi, Bill a très bien mené sa carrière et j’ai trouvé très intéressant de pouvoir travailler avec lui. Moi-même c’est quelque chose qui me préoccupe beaucoup, de ne pas m’enfermer dans une seule voie.

 

En quoi consiste ton travail pour lui ?

Je suis homme à tout faire ! (rires) Le principe est simple : Bill écrit et je fais tout ce qu’il y a autour pour qu’il puisse continuer à le faire sans interruption. Il se trouve que dans la description d’origine du poste, il y avait énormément de taches administratives, vérifier que les ordinateurs marchent, tenir à jour les logiciels, se tenir informé des nouvelles parutions, assurer la maintenance du studio…

 

Mais au fur et à mesure, mes responsabilités se sont étendues : j’ai commencé à faire des maquettes à partir de ses sketches, à m’occuper de tout le réseau informatique, acheter de nouveaux matériels, assurer la coordination des projets. Je me vois plus comme le gérant du studio finalement. Mon but est vraiment que Bill ne se préoccupe de rien, je suis donc assistant au sens large. Et je fais aussi de l’orchestration s’il y a besoin, du travail de copiste, un peu de direction d’orchestre aussi… Au début, Bill m’a dit : « Il y a toujours quelque chose à faire dans le studio ». J’ai pris ça vraiment à cœur pour optimiser son travail.

 

 

Quand tu diriges ses compositions, comment travailles-tu ?

Lorsque j’ai dirigé pour Bill, il s’agissait souvent d’arrangements et c’était extrêmement simple : il y a un clic, un tempo fixe, et je connais les morceaux avant qu’ils soient envoyés puisque tout passe toujours par moi. Pour le reste, il s’agissait de morceaux que j’avais orchestrés moi-même, ce n’est donc pas très compliqué. Les sketches de Bill sont à 95% orchestrés et il aime tout contrôler. En plus, c’est un excellent chef d’orchestre.

 

Il orchestre encore pour d’autres compositeurs ?

Rarement. Il l’a fait récemment pour Alan Silvestri sur quelques séquences de A Christmas Carol (Le Drôle de Noël de Scrooge). Il a aussi arrangé la chanson finale. Mais à présent il ne fait cela que comme une faveur, ou pour des gens qu’il connaît depuis longtemps.

 

As-tu travaillé avec lui quand il a participé aux Oscars ?

Oui, en 2007, pour la 79ème édition. A l’origine, la production voulait que John Williams s’en occupe, et c’est lui qui a recommandé Bill, comme il l’avait fait pour le second Harry Potter. Bill a accepté, à condition d’avoir, comme John, un « grand » orchestre de 65 musiciens. Lorsqu’il s’agit de Bill Conti, l’ensemble est beaucoup plus petit, avec pas mal de synthétiseurs et de la batterie : il fait quelque chose d’un peu plus « pop ».

 

C’est vraiment un rendez-vous particulier, diffusé en direct, avec beaucoup de stress car il y a un certain prestige. Après le Superbowl, c’est l’émission de TV la plus regardée au monde, il y a donc une tradition, des règles très précises. Ils ont essayé de changer ça l’année dernière avec Michael Giacchino mais, pour nous, il s’agissait de faire un grand show à l’américaine.

 

Bill était donc directeur musical et à ce titre il devait choisir tous les morceaux interprétés, composer de la musique, notamment pour la section « In Memoriam ». Cette année-là, Ennio Morricone recevait un Oscar d’honneur : on avait donc préparé un medley de ses musiques, calé sur le film projeté, quelque chose qui durait environ sept minutes que Bill a réarrangé et réorchestré. Céline Dion y chantait. Et comme tout show, il y a les play-in et les play-off quand un présentateur arrive et sort de la scène, les ponts vers les pauses publicitaires. Il faut tout écrire et jouer en direct. Et cela inclut évidemment de jouer la musique du film concerné à chaque récompense.

 

Vous connaissez les résultats à l’avance ?

Non. On est obligé de tout répéter, toutes les musiques pour tous les films nominés. Et ça je tiens vraiment à le dire car j’ai tellement lu de bêtises sur les forums. Ce serait tellement plus simple et une économie d’argent énorme mais c’est tout le concept de la soirée : personne ne sait.

 

Dans le cas des play-in pour le gagnant donc, les musiciens ont les cinq choix devant eux, huit mesures maximum pour chaque film, avec des numéros, tandis que Bill a le casque. Il entend le gagnant et immédiatement il annonce : « Ok, 3, 3, 3 !! ». Le réalisateur, lui, est dans le camion de régie et il lance : « Cue music, now ! ». Et hop, il faut jouer ! En deux secondes, c’est prêt et c’est comme ça pour tout.

 

La pression doit être terrible !

Oui, et Bill entend non seulement la musique dans son casque mais aussi le feed du réalisateur qui lui dit quand commencer et quand arrêter. Et entre chaque pause publicitaire, c’est quinze à vingt minutes non-stop : c’est beaucoup de travail, très fatiguant. Il y a un mois de préparation pour récupérer tout le matériel musical et les répétitions se déroulent pendant une semaine : chaque star vient au moins une fois pour répéter son intervention car tout est scripté, rien n’est laissé au hasard. Toute la musique est préenregistrée, par sécurité. Le show se passe le dimanche soir, et le matin même il y a la répétition générale où on joue tout. Et puis une fois que la soirée est terminée, le lendemain il n’y a plus rien à faire ! C’est très bizarre, pas comme dans le cas d’un film où une fois qu’on a enregistré il y a encore le mixage, s’occuper de la bande originale, plein de choses à faire. Là, c’est fini, plus rien ne se passe et pendant trois ou quatre jours, on se demande : « Et maintenant ? » (rires)

 

Rares sont ceux qui ont eu l’occasion de travailler sur les Oscars : ce n’est qu’une fois par an et Bill Conti a occupé le poste pendant 20 ans…

Les mêmes producteurs reviennent souvent et ce sont eux qui choisissent qui sera directeur musical. L’année suivante, c’était un producteur qui utilise toujours Bill Conti, on a donc tout de suite su que ce serait lui et on n’avait pas besoin d’attendre la confirmation.

 

 

Olivier Desbrosses
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