Les œuvres de concert de Maurice Jarre
sacrée découverte, ce retour aux sources, on ne remerciera jamais assez Lukas Kendall pour ça, et on peut décerner le césar de l'amnésie et du mépris aux Français qui ne l'ont pas édité, tout comme aux médias qui n'ont pas évoqué sa récente récompense berlinoise...
Maurice Jarre, deux fois traître pour l’Idéologie française, une première fois parce qu’il a composé de la musique pour le cinématographe, haaa que n’aurait-il du pondre plutôt des étrons sériels tombés dans l’oubli pour la secte de l’époque....Ca lui aurait assuré un poste à vie et l’estime du gotha de certains critiques parisiens et d’institutions subventionnées...Et traître encore pour avoir quitté le sol national, et n’avoir pas assez donné de partitions pour la Nouvelle Vague, autre vieille lanterne française maintenu artificiellement en vie par les déambulateurs du Ministère de la Kultur
(ok, ça c'est dit

excellent séquençage du disque qui déploie au fur et à mesure de l'écoute une palette toujours plus grande de l'orchestre et de l'expression jusqu'à la Ronde de nuit, avant d'ouvrir un second acte avec les Mobiles pour violon et orchestre
Les 3 dances me font penser de suite à Jarre le percussioniste, le goût prononcé à l'époque pour les instruments à résonance, l’adoption très tôt de la sirène des ondes Martenot. Ambiance envoûtante et austère, recherche de timbres, de ryhtmes pour évoquer un rituel mystérieux
la Passacaille en hommage à Honneger, c'est un Jarre que je ne connaissais pas comme ça, énorme travail du contrepoint, comme Honneger qui vénérait Bach, dissonances, ambiance presque angoissante. La trompette qui démarre la pièce fait effectivement de suite penser à Pacific 231. De cette passacaille à celle de WITNESS, c’est toute une époque qui défile !
La Ronde de Nuit, haaa, là on retrouve plus que jamais le Jarre des grandes fresques symphoniques (avec comme pour les 3 pièces un rythme initial qui évoque un rituel païen – pensez aux rythmes « hypnotiques » de Wojciech Kilar), avec ces accords typiques dans les vents et les cuivres qui sont sa marque de fabrique comme cette première petite fanfare qui conclue l'introduction (personne n'écrit comme Maurice Jarre et personne n'a cherché à l'imiter d'ailleurs). J'adore cette construction en augmentation (qui finalement rejoint celle de la Passacaille précédente et l’esprit de Pacific 231), plus ça va, plus l'orchestre se déploie et s'affirme à chaque épisode, séparé par une petite fanfare, avant d'atteindre l'ivresse dionysiaque (orgasmique ?

retour à une ambiance de réflexion austère avec les notes du violon solo des Mobiles...œuvre plus pointilliste, au maillage serré, exploitant les dissonances, les attaques sèches, les pizzicatos... puis les couleurs des percussions à résonance à environ 18 mn sont comme des voiles qui jouent derrière le langage d’un violon qui se détend chemin faisant et se fait plus sensuel, plus onirique
Après tout, malgré la grande différence de langage avec son ancien compère Pierre Boulez, on retrouve un goût pour un instrumentarium riche en percussions permettant le jeu et le contraste des notes brèves, des longues résonances, des timbres secs et des timbres doux, comme dans le Marteau sans Maître ou Explosante / Fixe...
La suite ancienne pour percussions et piano est à la base un exercice de concours, donc un exercice de style où l’on retrouve l’aisance du compositeur avec les percussions et une facilité avec les formes anciennes qui fait de lui l’excellent dramaturge caméléon qu’il est devenu. J’aime assez l’idée du contraste entre le langage historique invoqué et la modernité des sonorités.
Grâce à ce disque je découvre mieux le visage d’un Maurice Jarre héritier de Stravinsky, ou de Horace Victorieux d’Honneger (certainement la plus belle œuvre du compositeur suisse), attentif aux préoccupations de son époque mais sachant développer un langage unique. Tout comme Marcel Landowski un peu avant lui, l’héritage d’Honegger est pour Maurice Jarre une voie naturelle vers l’expression la plus libre, débarrassée de systèmes étouffants, et vers la palette d’émotions la plus riche qui soit. On peut regretter, peut-être un petit peu, qu’il n’ait pas poursuivi et travaillé plus encore ce langage entre deux commandes hollywoodiennes....Où son expression s’est certes adaptée à la diversité des sujets mais s’est aussi trop assagi avec le temps ? Avait-il déjà donné le meilleur de lui-même très tôt ?