Walden a écrit :en effet, cher kfigaro, tu mets le doigt sur un phénomène typique de l'élite culturelle auto consacrée....Je constate que pour beaucoup d'intellectuels de formation littéraire, tout à fait respectables en soit, le cinéma pose problème, spectacle impure, hétérogène, synthétisant l'héritage du théâtre, du cirque, de l'opéra, etc. Sauf quand justement il se rapproche le plus possible d'une forme pauvre et austère, d' "essence littéraire". Méfiance du cinéma "spectacle", de Cecil B De Mille à Spielberg, qui reste suspect
Oui c'est exactement ça... c'est vraiment un trait absolument typique des élites littéraires françaises, juste un exemple concret ici :
http://operacritiques.free.fr/css/ (sur presque tous les articles...)
ou par exemple ici par rapport à Vladimir Cosma :
http://operacritiques.free.fr/dss/index ... nny-studio
note bien les termes assez typiques de ce dédain à peine dissimulé pour la forme musicale filmique que partagent presque tous les "humanistes" cultivés de la "vieille école" :
Lemarrec a écrit :on note une incapacité absolue à développer les thèmes (une pensée très filmique de la musique, par séquences brèves et autonomes), et de ce fait, on a l'impression d'une musique calibrée pour le disque d'extraits qui allait suivre, une suite de numéros de caractère, décousus.
Je me souviens encore de propos de Steiner, le penseur, qui voulait nous démontrer le tabou absolu, l'incapacité d'un régime démocratique à générer des Mozart...Et que finalement, seule une époque de tyrannie éclairée pouvait générer de tels génies....Pensée franchement élitiste et contre-révolutionnaire (1789 est passé par là, quel malheur...), à laquelle il m'est difficile d'adhérer.
Au début des années 60, on trouve heureusement quelques francs tireurs qui s'inscrivent totalement à contre courant de cette "déploration" humaniste ultra élitiste et un peu primaire, notamment Edgar Morin dans son excellent essai "L’esprit du temps" que tu connais sûrement ! En fait Morin explique dans cet excellent ouvrage visionnaire que ces intellectuels là tombent en fait dans une sorte de "philistinisme cultivé", finalement à peine mieux que le philistinisme des incultes fiers d'eux et de leur ignorance... Bref, ce sont là des extrêmes et aucune solution extrême n'est bonne dans l'absolu, sauf en cas d'extrême urgence ou si l'homme était réellement en "danger de mort". Un Gilles Lipovetsky est également particulièrement sceptique par rapport à ce type d'élitisme outré, et lui aussi pense que la civilisation hypermoderne (dans laquelle l'éclectisme culturel est devenue la règle) n'est en rien comparable à la "barbarie" dont on nous rebat les oreilles comme une épée de Damoclès...
il serait vain de vouloir trouver aujourd'hui le nouveau Mozart alors que le langage musical a complètement éclaté, je pense pour ma part que la diversité des talents et des individus, qui ne sont plus soumis au formalisme de l'époque, est bien plus passionnante, même chaotique, car justement aujourd'hui l'individu s'exprime selon son propre tempérament, et ne doit plus seulement se conformer à des règles préétablies.
Nous sommes entièrement d'accord !

en fait les dangers de l'ère hypermoderne sont ailleurs, et résident plus dans la confusion, le superficialité... Pointe aussi le danger récurent du cynisme banalisé (particulièrement répandu de nos jours dans les médias et dans le monde politique), mais c'est encore une autre problématique....
Je ne suis pas pour le langisme culturel et la démagogie à tout craint, mais je pense que l'importance vitale de l'héritage ne doit pas nous frigorifier.
En fait, tous ces "déplorateurs" se rejoignent presque tous sur une chose : le manque de "foi" actuel dans la culture "sacrée" et "légitime", tout ça finalement se résume quasiment à une affaire de "religion". Les "légitimismes" condamnent les "païens culturels" contemporains comme jadis le clergé condamnait les infidèles, et on retrouve quasiment la même violence verbale, les mêmes anathèmes, etc... J'ai d'ailleurs lu des choses hallucinantes dans un bouquin nommé "Ignare academy" écrit par deux jeunes profs du primaire qui proféraient page après page un mépris à peine croyable pour leurs élèves ou certains de leur collègues...
Steiner avouait lui-même être passé complètement à côté du cinéma....Je m'amuse aussi de ce côté précieux à propos de Mozart (voir le grotesque Philippe Sollers), comme si Debussy, Ravel, Bartok, Lutoslawsky, Corigliano, John Williams, disons la musique de notre temps, ne méritait pas autant d'intérêt pour l'homme cultivé.....
entièrement d'accord aussi !

moi aussi je passe mon temps à me battre contre cette conception étroite d'une culture aristocratique "incontournable" et soit disant "prioritaire" (généralement toujours la même : ultra "germanocentriste" et tellement monotone finalement : les sempiternels Mozart, Schubert, Bach et co...) alors que tant de grands noms (français, espagnols, brésiliens, même africains !) passent à la trappe ou passionnent tellement peu d'individus (mais qui sont pourtant les premiers à se jeter sur telle ou telle énième version des lieders de Schubert ou tel ou tel avatar des "variations Goldberg" jouées déjà 1000 fois)
J'ai un pire souvenir sur France Musique : lors d'une émission de comparaison des interprétations d'une symphonie de Mahler, les critiques, après plusieurs écoutes, se sont arrêtés sur deux choix : Bernstein et Boulez....Un critique explique sa préférence : "J'aime l'interprétation de Bernstein car il dirigeait la musique avec ses tripes"...l'incurable Jean-Pierre Derrien, gardien du culte boulézien, répondait alors avec un léger mépris dans la voix : "moi, je ne conçois pas la musique avec mes tripes !".....culte du cérébral....Marrant, j'aime autant mangé des tripes à la sauce de Caen que de la cervelle moi.....

! merci de l'anecdote, ça m'a bien rire !!
PS : ahh le cas Boulez, il faudrait un topic à part pour lui...