je ne suis pas sorti bouleversé de ce très bon film, mais je ne serais pas avare sur ses qualités !
J'ai pensé à un mélodrame à la Douglas Sirk déformée par le miroir sans tain de Sam Mendes.
Désenchantement du couple, critique du modèle idyllique de la société américaine des années 50, celle que nos parents (pour certains d'entre nous) ont vu à la télé ou au cinéma dans les réclames dans les années 60, ces familles modèles...Monsieur avec son costard et sa clope, sa belle bagnole, son super boulot, sûr de lui, viril, conquérant, attentionné, avec sa dame repue au ménage, à la vaisselle, émerveillée par ces nouveaux outils que sont le lave-vaisselle, l’aspirateur, prête à élever une ribambelle de gamins...on connaît les images...
Le film se différencie de FAR FROM HEAVEN de Todd Haynes, qui retenait de son modèle l'iconographie, les couleurs, la musique (Elmer le retour). Alors que Sam Mendes le fait passer par une sorte de calvaire, dans sa mise en scène, sa lumière clinique, ses couleurs pâles, la musique non-sentimentale de Thomas Newman.
Les interprètes sont tout simplement prodigieux, Leo et Kate....Haaaaa....Je n’ai pu m’empêcher de penser à cette entorse que l’on fait dans ce film au couple idéal qui a fait rêver autant d’adolescent(es, surtout) dans TITANIC (Kathy Bates participant également à cette conspiration !). REVOLUTIONNARY ROAD = TITANIC 2 ? ? ?
Il est évident que, rétrospectivement, l’image du mélo spectaculaire de Cameron joue un rôle finalement très important dans l’appréciation que l'on a du film ! Les cinéastes s'amusent parfois avec les icônes populaires...Kubrick l'avait fait avec le couple Cruise-Kidman dans EYES WIDE SHUT
On a demandé à Michael Shannon de jouer une nouvelle fois le rôle d’un taré magnifique (après le superbe BUGS de Friedkin, ou dans une moindre mesure le WORLD TRADE CENTER de Stone), il est vrai qu’il y a dans le visage de Shannon quelque chose qui peut exprimer la folie....En même temps, le génie de ce personnage inoubliable, c’est le rôle de « choeur grec » qu’on lui donne, il est la voix de la Raison pure et dure, analytique (et une certaine compassion pour le personnage de Kate), sous l’apparence de la folie, alors que le couple tant admiré par le voisinage côtoie la folie et l’absurdité sous l'apparence de la normalité sociale...la transmutation des valeurs est accomplie ! Shannon, c’est un peu notre voix de spectateur
Ce n’est pas tant l’émotion qui ressort de ce film, il me semble que l’intention de Mendes est ailleurs : plutôt dans toutes les implications philosophiques que le film propose sur la pertinence du modèle bourgeois de cette famille faussement idéale, image d’Epinal de la société américaine dans ce qu’elle voulait projeter au monde, tout comme l’URSS voulait projeter l’image tout aussi fausse de la société idéale et harmonieuse
Dès le premier plan, le ton est donné : image aérienne et nocturne de la métropole, ballade des fifties...Lieu et époque (je ne me lasse pas d’admirer cette capacité du cinéma américain à exprimer en si peu de temps, et aussi simplement – image et musique – les prémices du film que l’on va voir)
Le récit ne s’attarde pas sur les deux enfants du couple, mais il s’adresse directement à nous sur le problème de la maternité non désirée, en ce sens le film est fondamentalement féministe, Kate Winslet incarne une femme rêvant d’émancipation, désirant échapper à ce rôle imposée, pré-programmée de femme au foyer aimante et soumise, de mère de famille épanouie. Sans cesse elle s’efforce de se conformer à ce modèle, mais jamais elle n’y trouve le bonheur, alors que le mâle dominant, le père de famille (le chef, référant absolu du modèle américain) est celui qui incarne la raison, l’ordre, l’équilibre, l’accomplissement par le travail...Poussé à bout, il se résoud à conseiller à son épouse....d'aller voir le psy.....bel exemple du mâle déléguant à la société le soin de "réparer" cette femme désirante qui ne répond pas au modèle dominant !
Ce modèle est sans cesse contrarié et le film nous faire ressentir la puissance dyonisiaque de liberté de Kate, aussi destructrice et folle soit-elle (en apparence), elle qui veut vivre comme une femme libre et autonome, tout simplement, qui ne veut pas jouer ce rôle atone (paradoxe pour une femme qui rêvait de devenir comédienne, de jouer des rôles en toute liberté...et qui a du sacrifier ce rêve à la conformité).
Cette folie d’aller vivre à Paris pour échapper au purgatoire, ce rêve romantique, fait aussi partie de l’imaginaire de l'époque (on pense à tous ces artistes partis étudier à Paris - avec Nadia Boulanger, amis mélomanes ! - , ou aux black-listés en exil), aujourd’hui, il serait différent, peut-être s’agirait-il d’une île des Caraïbes, ou d’une villa en Espagne...
Petit mot sur Thomas Newman : je ne sais pas ce que vaut le score sur disque, mais dans le film, on peut apprécier l’intelligence de cette approche. Le thème est exposé entièrement au générique (retardé dans le film) comme matrice musicale : piano, cordes, synthé. C’est un Thomas Newman simple et direct que j’adore, piano synthétique, quintes, registre grave, celui de WHITE OLEANDER. Ce thème est un motif répété, qui ne cherche pas à s’émanciper. Dans le film, il subit certes quelques variations de ton et d’orchestration, mais fondamentalement il n’évolue pas, ou il évolue au rythme des personnages, ce couple rêvant d’un ailleurs qui n’arrive jamais...C’est toute l’essence de la tragédie d’être le témoin conscient de personnages subissant le destin, le
fatum, sans échappatoire.
En ce sens, le compositeur n’essaie pas d’être plus malin que le film, que les personnages, il accompagne avec sa finesse et sa délicatesse coutumière le cœur de l’histoire avec ses notes et ses nappes musicales qui restent en suspens, ce thème qui imprègne le film, qui revient, ne peut décoller, qui est un peu le destin implacable du couple
Thomas Newman est une présence discrète mais indispensable à ce film, il est l'intelligence d'une certaine approche de la musique au cinéma