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C'était la dernière séance...

Publié : lun. 22 juin 2020 19:54
par Lee Van Cleef
... Bon, je le concède, peut-être pas la dernière tout court, mais en tout cas la dernière pour un long, long, foutument long moment. Il y a, voyez-vous, que je me suis rendu tout à l'heure, la gorge serrée par une certaine émotion, sur la page officielle du cinéma du coin, le seul, en vérité, qui me soit accessible à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Qu'importe sa programmation, je me sentais prêt à en découdre même avec un naveton de série pour l'unique joie de carrer à nouveau mon arrière-boutique tavelée dans l'accort rembourrage d'un strapontin, au coeur de cette délicieuse pénombre où il m'est arrivé parfois de fantasmer que je lançai un shuriken par pur plaisir hédoniste, en m'en remettant au hasard. Bref, je savourais le moment tant attendu — car il est entendu, n'est-ce pas, que je n'entretiens pas l'ombre d'une parenté avec les hordes de tristes couards n'envisageant pas de remettre les pieds au cinoche avant l'année prochaine.

Horreur funeste ! Malédiction purpurine ! Le destin semblait avoir en réserve le mauvais tour de me forcer à imiter les susdits capons. Un projet d'agrandissement, tout jute mis en branle, contraint le lieu saint à garder ses vantaux hermétiquement clos jusqu'en... septembre 2021 ! Abomination impie ! Purulence fongueuse ! Je ne comte évidemment pas rester un an et demi loin des salles obscures, oh que non. Mais, au vu de la très respectable trotte qu'il me faudra effectuer chaque fois que l'envie de me faire une toile me saisira, je vais devoir me résoudre dès à présent à des choix cornéliens. Sur ces entrefaites, je cède la parole à George Abitbol.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : lun. 14 sept. 2020 19:36
par Lee Van Cleef
Nom d'un katana gainé de peau de chamois ! Je n'avais pas réalisé à quel point ça m'avait manqué avant de confier mon arrière-train verruqueux au moelleux carré matelassé pris en étau entre deux accoudoirs tout aussi soyeux. Y'a pas à dire, quel panard de s'abîmer dans la pénombre douce d'une salle de cinéma, sans aucun autre souci que de contempler cet écran cyclopéen où de merveilleuses images en mouvement s'affairent à nous conter une histoire ! A n'en pas douter, ces retrouvailles trop longtemps différées avec le lieu de culte resteront comme l'une des toiles les plus émouvantes que le vieux Van Cleef se sera jamais payées.

Toutefois, l'honnêteté, que j'ai menottée au corps (si tu crois que j'te vois pas pouffer, le chat du Cheshire !), m'astreint à dire que le film sur lequel j'avais jeté mon dévolu n'a joué dans ces ruissellements d'émotion qu'un rôle très subalterne. Non, il ne s'agissait pas de Tenet, le sauveur auto-proclamé du cinéma en péril (pas trop le temps, et l'envie encore moins, de me taper 3 heures réclames comprises devant les circonvolutions zigzagantes de la nouvelle "nolanerie"), mais d'un curieux film mongol, Öndög, baptisé chez nous dans un logorrhéique frémissement La Femme des Steppes, le Flic et l'Oeuf. La foncière originalité d'un récit qui n'aime rien tant qu'à désamorcer des attentes prémâchées et la photo superbement léchée incarnent des atouts de poids, mais l'atroce langueur d'une réalisation anémiée les flanque sans ménagement par terre. N'empêche qu'il m'a été impossible de snober l'écran, que je buvais littéralement des yeux. Une pincée de béatitude mystique pour le prix d'un ticket de cinoche ? Ca le fait.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : dim. 5 mai 2024 18:53
par Lee Van Cleef
Lee Van Cleef a écrit : lun. 22 juin 2020 19:54Un projet d'agrandissement, tout jute mis en branle, contraint le lieu saint à garder ses vantaux hermétiquement clos jusqu'en... septembre 2021 ! Abomination impie ! Purulence fongueuse !
Après une studieuse et intense séance de brainstorming, je suis certain d'avoir mis le doigt sur ce qui m'a d'emblée chiffonné en pénétrant dans le hall fraîchement rénové. Ce n'était pas cette espèce de blanc d'Espagne dont les murs sont désormais couverts, rendant d'autant plus flagrante la nudité de ceux-ci, qu'aucune affiche, aucun colifichet clinquant n'égaye plus ; il ne s'agissait pas davantage du maigre nombre de spectateurs présents, dont le silence presque superstitieux, à peine troublé par les chuchotis craintifs demandant un ticket ou un sachet de friandises, exacerbait l'impression de déambuler au sein d'un salon mortuaire ; non, le vrai truc, qui ne m'était jusqu'alors jamais arrivé en poussant les portes d'un cinéma, résidait tout bonnement dans l'absence des si caractéristiques relents de pop-corn, évidemment éradiqués tout autant par les gens venus retaper la baraque de fond en comble que par le temps écoulé depuis la précédente période d'activité des lieux — il y a quatre longues foutues années, nom d'un katana strangulé par des rubans de pellicule !

Mais qu'importent ces vides olfactifs. Il ne leur faudra pas longtemps pour être comblés à nouveau, de toute manière. L'essentiel résidait dans la salle hérissée de fauteuils moelleux, n'attendant que mon postérieur osseux s'y avachisse afin de se payer goulûment une toile ! Le film des retrouvailles aura été Civil War, qu'il vaut mieux découvrir l'esprit vierge de toute perspective déjà mâchouillée par des critiques quelque peu hors-sujet. Non, nous n'avons nullement affaire au brûlot politique porté ici ou là aux nues : le script ne dit à peu près rien de l'Amérique d'hier ou d'aujourd'hui, laquelle fait office de cadre en fin de compte assez neutre (cette lutte fratricide, telle qu'elle se dévoile, aurait pu faire rage dans beaucoup d'autres pays) à un road movie questionnant sans trop d'insistance l'éthique des journalistes, et des reporters de guerre en particulier. S'il frustre légitimement en se satisfaisant d'un vol stationnaire à la surface de son ambitieux sujet, Civil War marque cependant de précieux points en conférant un vrai lustre aux pérégrinations des chevaliers du Nikon. Rod Serling lui-même eût à coup sûr récompensé de son aimable rictus cette gentille bourgade, trop paisible, trop sereine, sise dans une bulle protectrice que les affrontements ne sont pas parvenus à faire éclater, et ces sculptures en plâtre à l'effigie du Père Noël, rescapées d'une ère lointaine de festivités, sous la barbe desquelles le plomb fuse en miaulant. À la barre, Alex Garland sait donner consistance à d'épatantes atmosphères, et c'est déjà beaucoup.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : dim. 5 mai 2024 19:24
par Haricolin
Lee Van Cleef a écrit : dim. 5 mai 2024 18:53
Lee Van Cleef a écrit : lun. 22 juin 2020 19:54Un projet d'agrandissement, tout jute mis en branle, contraint le lieu saint à garder ses vantaux hermétiquement clos jusqu'en... septembre 2021 ! Abomination impie ! Purulence fongueuse !
Mais qu'importent ces vides olfactifs. Il ne leur faudra pas longtemps pour être comblés à nouveau, de toute manière. L'essentiel résidait dans la salle hérissée de fauteuils moelleux, n'attendant que mon postérieur osseux s'y avachisse afin de se payer goulûment une toile ! Le film des retrouvailles aura été Civil War, qu'il vaut mieux découvrir l'esprit vierge de toute perspective déjà mâchouillée par des critiques quelque peu hors-sujet. Non, nous n'avons nullement affaire au brûlot politique porté ici ou là aux nues : le script ne dit à peu près rien de l'Amérique d'hier ou d'aujourd'hui, laquelle fait office de cadre en fin de compte assez neutre (cette lutte fratricide, telle qu'elle se dévoile, aurait pu faire rage dans beaucoup d'autres pays) à un road movie questionnant sans trop d'insistance l'éthique des journalistes, et des reporters de guerre en particulier. S'il frustre légitimement en se satisfaisant d'un vol stationnaire à la surface de son ambitieux sujet, Civil War marque cependant de précieux points en conférant un vrai lustre aux pérégrinations des chevaliers du Nikon. Rod Serling lui-même eût à coup sûr récompensé de son aimable rictus cette gentille bourgade, trop paisible, trop sereine, sise dans une bulle protectrice que les affrontements ne sont pas parvenus à faire éclater, et ces sculptures en plâtre à l'effigie du Père Noël, rescapées d'une ère lointaine de festivités, sous la barbe desquelles le plomb fuse en miaulant. À la barre, Alex Garland sait donner consistance à d'épatantes atmosphères, et c'est déjà beaucoup.
Nous n'avons très clairement pas lu les mêmes critiques mon cher Lee ! :lol: La plupart que j'ai vu dénonce comme tu le fait si éloquemment le manque de positionnement politique du film. Mais, également à ton image, j'ai eut beaucoup de bons retours sur ce film et je l'aurais déjà vu si je n'étais pas coincé dans une infame période d'examen. Mais ça ne saurait tarder (enfin, je l'espère), car ton retour a encore plus enflammé mon envie de le voir alors que le batiment était déjà bien atteint par les flammes.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : dim. 12 mai 2024 19:18
par Lee Van Cleef
Le retour du cinoche, épisode II. Après la dystopie bourrée de flingues, place au western. Parce que je suis un aficionado de cette merveilleuse discipline saturée de soleil et de buissons d'amarante, et parce que The Dead Don't Hurt est marqué par la paisible présence de Viggo Mortensen, un acteur (et également ici réalisateur) pour qui j'ai une considérable affection. Moustachu comme pas permis, barbu aussi au gré d'un montage fragmenté qui use de cette spectaculaire pilosité à la façon d'une balise temporelle, l'ex-Aragorn compose de toute sa force tranquille un immigré dépenaillé, venu ainsi que tant d'autres chercher sa part de rêve américain. À ses côtés, l'incroyable Vicky Krieps est une compagne dévouée, mais forte tête, au point de renouer parfois, dans ses accès d'indignation, avec son accent québécois. Et durant deux bonnes heures prenant languissamment leur temps (certes un peu trop, de-ci de-là. D'aucuns resteront sur le carreau), le couple vit sa modeste vie sans importance, et pourtant si touchante. Western de chambre, comme on le dit de la musique (laquelle, dans le film, se résume essentiellement à un violoncelle cafardeux... que l'on doit aussi à Mortensen !), The Dead Don't Hurt fait l'éloge des petits riens avec une exquise pudeur, narguant la mort toujours prête à jaillir d'entre deux cactus.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : mer. 29 mai 2024 19:22
par Lee Van Cleef
Le retour du cinoche, acte III. Les séances se suivent et se ressemblent, dans des salles si désespérément vides que je serais presque tenté de me payer un ticket pour le méga-carton du moment, Un P'tit Truc en Plus, histoire de vérifier si les strapontins de ce côté-ci supportent un nombre significativement supérieur de postérieurs... C'est donc accompagné de l'impression de me trouver au sein d'une église délaissée par ses fidèles que j'ai découvert Furiosa — et quelle déception ce fut ! Oubliés, révolus, anéantis, les épaisses odeurs d'hydrocarbures, le bitume matraqué par le soleil, les chromes inondés de mille reflets, tout cet attirail aux frontières du fétichisme qui faisait jusqu'alors la chair de Mad Max. Ne se sentant probablement plus la force d'encaisser, à presque 80 ans, un tournage aussi éprouvant que celui de Fury Road (sans parler des embrouilles avec les autorités namibiennes, qui l'accusèrent à l'époque d'avoir saccagé l'environnement), George Miller donne ici les pleins pouvoirs à pléthore de fonds verts hideux, sous lesquels son brio technique demeuré pourtant intact s'asphyxie à petit feu. Une esthétique en plastoc et fer-blanc au service d'un script plus étoffé que précédemment, mais guère passionnant pour autant, avec origin story rouillée, prévisible vengeance et tout le toutim. Seules font saillie la patate nasale et la réjouissante truculence d'un Chris Hemsworth qu'on n'attendait pas si haut en couleur. C'est peu. C'est frugal.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : dim. 30 juin 2024 21:06
par Lee Van Cleef
Le retour du cinoche, volume 4. Rien de tel qu'un film de bon gros mechas japonais pour réduire au silence, ne serait-ce que 90 minutes durant, les vaticinateurs politiques jouant avec une délectation morbide les Cassandre de l'apocalypse ! Ah non, tiens, il ne s'agissait en fin de compte que d'Inside Out 2... Sauf qu'en comparaison d'un Gundam ou d'un Grendizer, c'est bonnet blanc et blanc bonnet. Dans la droite lignée du premier, cette suite rabaisse ses personnages de chair et de sang au statut de robots humanoïdes géants, dépourvus de la moindre substance, dépouillés de leur libre-arbitre, télécommandés depuis leur crâne par des pilotes de cartoon ayant tout pouvoir. Comme de bien entendu, les affres de la puberté, censés donner au récit sa substantifique moelle, ne sont qu'un banal prétexte à la coutumière course-poursuite "pixarienne", succession de saynètes aussi prévisibles qu'obligées à laquelle, néanmoins, la maestria à se pâmer du montage injecte un flux constant d'électricité. C'est bien assez pour passer un moment divertissant, mais loin d'être suffisant pour gonfler de souvenirs de ce numéro deux pusillanime notre mémoire centrale.

Re: C'était la dernière séance...

Publié : sam. 13 juil. 2024 15:26
par Lee Van Cleef
Le retour du cinoche, chapitre 5. Kevin Costner ou l'éloge de la patience. Quarante ans, à l'en croire, que le très ambitieux projet d'Horizon avait germé dans son esprit, pour y prendre ses aises depuis. Aujourd'hui septuagénaire, l'acteur le plus emblématique d'une certaine idée de l'Amérique, sise à équidistance des pittoresques clichés d'Épinal et des regards lucides de celui qui a vu et enduré beaucoup, peut enfin se targuer d'avoir conféré substance à son rêve. Il n'en devient que plus cruel de mesurer l'ampleur désastreuse du four essuyé par le premier volet dans les salles — d'où le report aux calendes grecques du second, dont on peut d'ores et déjà conjecturer qu'il sera bazardé en vidéo comme n'importe quel produit de confection courante. C'est pourtant bel et bien sur un écran de cinéma, et non celui, exigu, d'un bigophone dégainé entre deux stations de métro, que la découverte d'une telle fresque s'impose. Qu'importe sa structure un peu décousue, corollaire malheureux de son statut d'épisode introductif, qui lui vaut régulièrement de ressembler à une série télé de luxe ; dans la périlleuse odyssée des pionniers, où semblent s'être donné rendez-vous toutes les figures archétypales du western ainsi que nombre de ses maîtres tutélaires (John Ford est cité plus souvent qu'à son tour, y compris lors d'une délicieuse petite séquence de comédie qui voit Michael Rooker froisser son habituelle étiquette de salopard violent), Costner a injecté tout son cœur. Et c'est peu dire qu'il l'a gros comme ça.