L'Allemagne reste effectivement un pays fort intéressant, aussi bien dans le domaine de la musique pour le concert que pour l'image, et encore plus lorsqu'un compositeur arrive à faire une excellente synthèse des deux. Je vais donc élargir mon champs d'intérêt à l'Autriche en mentionnant prioritairement le Maestro germano-autrichien
Hanns Eisler qui fut d'ailleurs une influence non négligeable pour d'autres créateurs tels que bien sûr
Hans Werner Henze, Peer Raben, Heiner Goebbels et probablement
Michaël Mantler dont il me faut découvrir la partie musico-cinématographique de son oeuvre. Je ne suis pas toujours très sensible à la "forme" symphonique germanique, parfois pompeuse et nous servant du "Wagner" mal digéré à toutes les sauces, loin s'en faut, mais chez
Hanns Eisler elle a quelque chose qui la différencie du lot, qui lui est propre, inventive, subtile, puissante et pleine de fragilité à la fois, poétique...elle se distingue sur le plan harmonique, rythmique, avec ses combinaisons instrumentales assez recherchées et aérées, etc...Je voue un culte à ses "
Orchesterwerke" par le "Deutsches Symphonie-Orchester Berlin" sous la direction de
Hans E. Zimmer, cinq suites pour orchestre que je viens de réécouter ce matin-même pour la énième fois. Voilà d'ailleurs ce qui en est dit à juste titre:
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Les oeuvres pour orchestre de Hanns Eisler présentées ici,témoignent de sa conception d'une "musique appliquée". Sous ce terme,le compositeur,depuis le milieu des années 20,comprend tout d'abord l'alliance à d'autres formes artistiques (poésie,théâtre, danse) et ensuite la nouvelle fonction en relation avec les techniques médiatiques dont l'essor est irrésistible (radio,film,disque), techniques qui permettent désormais la reproduction de masse de la musique. Parallèlement,la salle de concert perd sa place dominante dans le monde culturel musical. Bien que Eisler,à partir de 1926, comptât parmi les pionniers allemands de la musique de film,de radio et de scène,loin de lui l'idée que la musique sous forme de concerts dût ne plus avoir cours. Mais cette pratique musicale devait évoluer,du fait de la mutation du style de concert en utilisant des formes de la "musique appliquée" dans les salles de concert. Toutes les oeuvres mentionnées ci-dessus sont des exemples de la façon dont Eisler a réalisé son concept,visant à une synthèse du progrès technique et musical. Bien que tous les titres des oeuvres semblent indiquer de la musique de concert "pure",celles-ci sont pourtant des musiques de film et de scène -- de même que ses "Suites pour orchestres" écrites entre 1930 et 1934 et qui,chacune,transportèrent une musique de film en salle de concert.>> Jürgen Schebera
Donc, comme vous l'aurez compris,
Hanns Eisler occupe une position-phare dans ma perception et appréciation de la musique germanique, appliquée ou absolue. Sur le cinéma muet, deux partitions ont plus particulièrement retenu mon attention. Il s'agit tout d'abord de
Das Cabinet des Dr. Caligari de
Giuseppe Becce (1877-1973) qui emploie un effectif orchestral peu massif mais qui articule sa musique autour d'un thème fort et mystérieux. Chez lui, les combinaisons instrumentales m'évoquent déjà
Hanns Eisler et même, avec anticipation,
Peer Raben. Sinon, avec un nom pareil, on ne pense pas d'emblée à un compositeur d'Outre-Rhin. Il est évidemment de naissance italienne mais a consacré la majeure partie de son énergie créatrice pour le cinéma allemand. Il a aussi mis en musique le film muet
Wagner et bien que la partition existe en cd, je ne sais encore rien du contenu. J'éprouve à vrai dire quelques réticences...
Une autre musique pour film muet m'impressionne. Elle fut composée par le compositeur franco-autrichien
Max Deutsch pour le cinéma de G.W. Pabst;
der Schatz. Parmi les oeuvres que j'ai pu écouter, celle-ci m'a vraiment comblé. On notera une influence française, une musique d'essence germanique qui subit une influence française, à l'inverse d'
Arthur Honegger. Voilà d'ailleurs ce qui en est dit:
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Pour la première du film, qui eut lieu le 26 février 1923 au PrinzeBtheater de Dresde, l'élève de Schönberg, Max Deutsch, avait écrit, en étroite collaboration avec le réalisateur G.W. Pabst, une symphonie en cinq mouvements, qui fut la première symphonie du genre composée expressément pour le cinéma. Au début des années 1980, peu avant la mort du compositeur, la partition originale fut remise au "Deutsches Filmmuseum" de Francfort, ce qui constitua une aubaine extraordinaire, car il s'agit d'une des rares musiques de film originales qui aient été conservées, et en même temps de l'une des musiques de film les plus remarquables de l'époque du cinéma muet. Lorsqu'elle fut présentée au public avec le film après sa restauration, à la fin des années 1990, elle trouva un très grand écho au niveau international. Max Deutsch, compositeur malheureusement fort méconnu, s'affranchit de manière étonnante des conventions de la musique de film. Sa "symphonie cinématographique", la première du genre, nourrissait la prétention d'être une véritable musique d'art autonome. Volker Scherliess commente dans la "Neue zeitschrift für Musik" (1984) à propos de la composition très originale de Max Deutsch: <<Comme dans l'architecture du film, la musique reste neutre durant de longs moments. Elle ne peut ni ne veut reproduire chaque détail, mais se développe la plupart du temps en toute autonomie, les images musicales étant inspirées par des moments du déroulement bien caractéristiques (...) Par endroits, la musique se lance dans la psychologie sans pour autant se perdre dans les détails; elle est unifiée par un entrelacs aéré de leitmotive attribués à une personne ou à une atmosphère particulières. Il en résulte, surtout là où plusieurs thèmes se combinent, une densité d'écriture digne de la musique symphonique autonome.>> Ainsi, par sa technique du leitmotiv, la symphonie filmée met en lumière les subtilités de l'action, comme l'explique encore Scherliess: <<la musique de Max Deutsch ne suit pas seulement le déroulement du film en l'accompagnant, mais elle le commente et rehausse le langage de l'image; elle ne se contente pas de donner un fond musical, mais elle peint elle-même, et l'orchestre (flûte, hautbois, clarinette, trompette, trombone, percussion, harmonium, piano et cordes) crée des couleurs tantôt puissantes, tantôt subtiles.>> Comme le film lui-même, la "symphonie cinématographique" est subdivisée en cinq parties selon le modèle classique. Ces cinq parties forment chacune un tout homogène. A l'époque de la composition de cette oeuvre, Max Deutsch était en contact étroit avec Ferruccio Busoni. Ce dernier s'intéressait énormément à l'évolution de la musique de film, et il participa au processus de création de la musique de "der Schatz" en donnant à Max Deutsch son point de vue lors de nombreuses et intenses discussions sur le sujet.>> Nina Goslar & Frank Strobel.
Le compositeur contemporain allemand (de la seconde moitié du vingtième siècle) le plus important d'après moi est
Hans Werner Henze.
Muriel, Un Amour de Swan, L'Amour à mort sont d'excellentes musiques de films, même si j'aime encore plus ce compositeur pour son oeuvre de concert. Il y a aussi des choses audacieuses et fascinantes de ce côté-là! Moins jubilatoire à mon oreille,
Rolf Wilhelm est cependant un compositeur que j'avais déjà découvert à l'époque du 33tours avec des titres tels que
Tonio Kröger et Doktor Faustus, puis après
Rosamunde, Die Weisse Stadt, Zahnschmerzen, Kennwort: Reiher. J'ai un petit faible, me semble-t-il pour
Rosamunde et aimerais découvrir ce qu'il a fait sur
Via Mala. Sinon, je suis déjà plus sensible et, par ce fait, connaisseur de l'approche musico-filmique de
Peer Raben, que ce soit par le biais de la petite et moyenne formation ou par le biais de l'orchestre symphonique, l'étonnant
Bismarck, musicien singulier et inclassable, définitivement associé au cinéma de Fassbinder. Puis, je n'oublierai pas
Jürgen Knieper et sa sublime musique pour
Les Ailes du Désir, entre autres,
Norbert Jürgen Schneider (
Stalingrad/Wildfeuer),
Burkhard Pesch (
Der Wunderapostel) où on trouve un style un peu angelique et onirique à la "Knieper",
Karl-Heinz Schäfer (
Polar), une partition sombre et tourmentée avec harmonica solo. J'aime beaucoup aussi le thème principal qu'il a composé pour
Extérieur, Nuit.
Dans un registre plus swinguant et plus léger, j'apprécie principalement
Peter Thomas, son
Jerry Cotton étant un must du genre à mon humble avis. J'ai aussi tenté
Martin Böttcher mais il m'intéresse déjà moins.
Dadid a écrit :Ne passons pas sur Ernst Reijseger et sa magnifique, mystérieuse et parfois aride partition pour La Grotte Des Rêves Perdus
Ce serait une erreur car cette musique est très intéressante à plusieurs égards - le violoncelle, pour ne citer que cet élément, y est magique - ainsi que
My son, my son, what have ye done du même auteur (natif des Pays-Bas). Le tout dernier extrait est exquis.