cinéma : le révisionnisme esthétique

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Walden
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cinéma : le révisionnisme esthétique

Message non lu par Walden »

voici la chronique de mars 2007 de Michel Onfray dont je parlais (je vous mets le mail que je lui ai envoyé à l'époque et sa réponse, dites moi si la tartine vous inspire des choses :D )

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La Chronique Mensuelle de Michel Onfray

N° 22 - Mars 2007


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LE RÉVISIONNISME ESTHÉTIQUE



Je n’aime pas beaucoup le cinéma qui oscille entre de rares films ésotériques destinés à produire du discours – avec Godard en figure emblématique-, et le cinéma commercial qui inonde et sature la production. Ce qui peut être un art, parfois, est devenu un commerce extrêmement coûteux financé par les préachats de télévisions qui imposent leurs critères pour produire des objets nuls, autrement dit à même de tirer vers le bas le maximum de spectateurs - donc de consommateurs. Jamais le bref bon mot de Marcel Duchamp, anemic cinema, n’a permis un diagnostic aussi juste en si peu de mots…

Un vice majeur accompagne le pur devenir marchandise du cinéma : la disparition du réel, trop trivial, sous l’empire du virtuel, plus vendeur. Autrement dit : la fin de toute vérité historique. Exemple : Amadeus de Milos Forman qui, pour des générations de personnes sous informées, a transformé Mozart en génie hystérique et pétomane, puis Salieri en mauvais compositeur jaloux fomentant l’empoisonnement du rival pour lui voler son Requiem afin d’en tirer la rançon d’une gloire usurpée. Or, très vite et très tôt, Salieri, excellent musicien, reconnaît le génie de Mozart, le respecte et n’a jamais eu envie de le trucider…

J’aurais des dizaines de titres à convoquer pour illustrer le triomphe sans remous de ce révisionnisme esthétique qui pose la fiction plus vraie que le vrai, le romanesque plus intéressant que la vie, et se moque de la vérité historique pourvu qu’il y ait du spectacle : ainsi 1492 de Ridley Scott avec un Christophe Colomb humaniste, quasi lecteur de Claude Lévi-Strauss, lui qui était un ethnocidaire de sac et de corde ; Van Gogh de Pialat qui montre un Théo affectivement ambigu avec son frère qu’il vénérait au point de le suivre bien vite dans la mort ; Gladiator du même Ridley Scott, avec un Marc-Aurèle mourant étouffé par son fils, ce qui est faire peu de cas du cancer de l’estomac qui le fait souffrir longtemps et produit une pensée singulière ; Jeanne d’Arc de Luc Besson qui hystérise une héroïne convertie à la haine des Anglais à cause du viol d’une sœur qu’elle n’avait pas ; etc.

L’anémie du cinéma (français) pourrait pourtant se soigner avec des biographies scrupuleuses de gens dont les vies surpassent en romanesque ce que la réalité donne si souvent à voir : des vies de philosophes par exemple – Diogène, Epicure, Montaigne, Nietzsche…-, ce qui permettrait de réussir un mariage jamais envisagé entre la philosophie et le cinéma, la pensée et les images, la vie philosophique, la biographie et le récit filmique. Une façon inédite de sortir la philosophie de ses ghettos – et de remettre l’Histoire à l’épicentre d’une époque décérébrée…

Michel Onfray

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bonne surprise que cette chronique sur Histoire et Cinéma

je me suis en effet souvent posé la question du rapport entre cinéma, fiction et Histoire et votre chronique m'inspire les réflexions suivantes, je ne suis point Marc Ferro mais, basta, le sempiternel débat sur Fiction/Histoire, en tant que cinéphage et ancien étudiant formaté à l'école du Temps (Histoire) et de l'espace (Géo), voilà un sujet qui me titille :

Y aurait-il un impératif moral à la dramaturgie contemporaine à respecter l'Histoire (ou plutôt l'historiographie d'une époque ou d'un évènement) dès qu'il s'agit d'un mass média comme le cinéma, susceptible d'être vu par le plus grand nombre ? Y a t-il une responsabilité des auteurs ? Plus que le théâtre, l'opéra, ou la littérature ? d'aujourd'hui et de toujours ? La Guerre de Troie aura t-elle lieu ?
Les recherches historiques et la construction d'une histoire nationale sont des préoccupations relativement récentes à l'échelle de nos sociétés, qui ne se sont pas souciées pendant des siècles d'une quelconque authenticité....Paradoxalement, Mel Gibson arrive bien à faire une Passion du Christ en ce début de XXIème siècle et l'on entend du coté du Vatican que, oui, "c'est comme cela que ça s'est passé".....ha bon....

le cas d'Amadeus est intéressant par ailleurs car il s'agit au départ d'une pièce de théâtre à succès de Peter Shaffer qui, il est vrai, est reponsable de la mauvaise réputation de Salieri dans l'imagination populaire comme d'autres ont pu inventer ou cacher autour de Jeanne d'Arc, Saint-Louis ou Charlemagne...Mais ce travestissement de l'Histoire (et son grand H) enlève t-il du génie à l'auteur, à sa pièce ou au film de Forman ? Le spectateur est-il à ce point incapable de différencier fiction et faits historiques ? Chaque époque n'a t-elle pas généré son propre "révisionisme" sur les grands personnages qu'elle célèbre ? Qui est la véritable Jeanne d'Arc ? Celle de Dreyer, de Rivette, d'Hollywood ? Celle célébrée par les soviétiques, par Ségolène (arrgh...je m'égare...) ?
Le manuscrit de son procès (celui de Jeanne, pas de Ségolène...) a du être lu par nombre d'auteurs et ma foi, chacun y voit matière à ériger un récit qui reste le reflet de ses propres obsessions esthétiques ou dramaturgiques, rien de bien nouveau sous le soleil de la muse et ses fantômes.....le souci d'authenticité n'est-il pas vain....comme lorsque Boulez parle du renouveau de la musique baroque sur instruments anciens, n'est-il pas illusoire de s'ingénier à récréer les conditions d'une époque passée ? De jouer, d'une manière ou d'une autre, avec la machine à remonter le temps de Wells....

le mass média cinématographique, reflet des préoccupations de dramaturges plus ou moins bien intentionnés/inspirés devrait alors oublier la construction toujours artificielle du récit dramatique et obéir à la censure des sciences humaines ? Il est difficile de répondre....car le problème se présente en permanence....un bon film peut s'inspirer de faits historiques, les déformer, les adapter et rester un bon film, un mauvais film pouvant obéir à la même logique...bref, toutes les combinaisons sont possibles...

un bon film comme Les Hommes du Président par exemple se veut scrupuleux quant à la manière de conter l'Histoire immédiate, le travail méticuleux des deux journalistes du Washington Post qui ont mis fin au règne de Nixon...en évitant à tout prix ce que craignaient les vrais journalistes Woodward et Bernstein, c'est à dire le "Hollywood crap", grâce à l'intelligence et au souçi d'authenticité des auteurs du film, son producteur Robert Redford, son scénariste William Goldman, son metteur en scène Alan Pakula (émerveillement personnel en passant devant un film d'une telle qualité, sorti juste quelques années après les faits. A quand une telle audace et une telle qualité dans la monarchie républicaine française et son petit milieu parisien incestueux, où le cinéma est contrôlé à la fois par les fonctionnaires de la culture officielle et les crétins télévisuels....)

Chaque film est un cas unique me semble t-il. Le diptyque GLADIATOR ou KINGDOM OF HEAVEN de Ridley Scott joue, à des degrés différents, avec l'histoire, les faits connus, les zones d'ombre, mais ne fait PAS oeuvre d'histoire...Les scénaristes se nourrissent des ouvrages écrits sur l'époque mais une fois ce travail d'assimilation accompli doivent ensuite bâtir leur récit, le rendre captivant, leur donner une résonance contemporaine, leur but étant de s'adresser aux foules du moment...Le metteur en scène contribut à bâtir et coordonne l'ensemble, il demande souvent conseil à des spécialistes de l'époque, mais c'est à lui qu'incombe la tâche de créer son univers...avec l'aide du décorateur, du costumier, du directeur de la photo, ou plus tard dans la construction du film avec son compositeur...etc, les historiens peuvent ne pas forcément approuver tel ou tel choix, mais peuvent reconnaître la licence poétique ou dramaturgique, qui obéissent à une autre logique...voir d'ailleurs les passionnantes discussions des médiévistes autour de KINGDOM...modèle du film de fiction à résonance actuelle fortement inspiré de l'histoire

le spectateur, lui, jouit du travail accompli (magnifique pour ces deux films) et peut, à travers la fiction, s'informer sur l'époque dont le film s'inspire et faire la part entre la fiction, la dramatisation et notre connaissance actuelle des faits historiques, en sourire, approuver, désapprouver, en reconnaître la pertinence, refaire le travail des cinéastes à l'envers, cela ne diminue pas forcément la qualité du récit et cela ne change en rien les travaux des historiens...

La logique dramatique l'emporte souvent sur le respect scrupuleux des faits historiques, les auteurs ne faisant pas le même métier que les historiens...un spectacle cinématographique inspiré des connaissances que nous avons d'une époque ou d'évènements historiques sert de base à la construction d'un récit qui se doit d'obéir à une logique de tensions dramatiques, de contrastes, de modelage de personnages...je constate cependant le besoin de notre époque d'exiger du film historique son aspect documentaire, l'impératif d'authenticité, de didactisme, de pédagogie. Cela vient-il de la nature essentiellement visuelle et sonore du film ? On voit, on entend, donc ce que l'on voit et entend doit correspondre à une forme de vérité, d'authenticité, comme celle du journal de 20h ou des documentaires.....le langage abstrait du cinéma (mise en scène, montage, utilisation du son et de la musique) échappent tellement à la grille d'analyse du spectateur moyen, qui peut percevoir le film à un niveau équivalent de la télé réalité ou du JT...méfiance des images, absence d'éducation du regard, différence entre regarder et voir, tout comme, en musique, la différence entre écouter et entendre....mais voilà, ce qui complique les choses au cinéma c'est la multiplicité des langages, des auteurs, des techniques, c'est l'interpénétration entre télé et cinéma, documentaire et cinéma...VOL 93 de Paul Greengrass est-il "authentique" ?

.Si ce besoin d'authenticité ou de vérité est tout à fait légitime, et diversement pris en compte par les cinéastes, il n'est pas garant de la qualité du film. Le film, quant à lui, n'exerce pas un pouvoir absolu susceptible de remplacer le travail de construction et de réflexion de l'Histoire qui est également tributaire des sources disponibles et de l'état de réflexion de l'époque...

Pour ma part, je n'ai pas de réponse absolue à la question du rapport Fiction / Histoire. J'apprécie un film pour ce qu'il est en tant que film, moins en tant que véhicule d'authenticité historique, appréciant d'autre part l'Histoire comme discipline en tant que telle. Ainsi va ma schizophrénie cérébrale...l'Histoire doit être le domaine de la Raison, le cinéma peut être celui du viol de l'Histoire, si cela donne de beaux enfants...Notons tout de même que l'image que l'on donne d'une époque évolue, que l'époque des CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE de Richard Thorpe n'est plus vraiment la nôtre, que l'on peut apprécier ce bonbon acidulé tout comme on peut adorer LA PASSION BEATRICE de Bertrand Tavernier, comme quoi, la montée en puissance de l'Histoire et l'intérêt que l'on y porte peut modifier le regard que l'on porte sur le passé, la nature visuelle du cinéma imposant à des cinéastes plus rigoureux des critères de vraisemblance, voir même d'authenticité

enfin, traiter des philosophes au cinéma ? Bien sûr, pourquoi pas, il n'y a pas de mauvais sujets, que des mauvais cinéastes, encore faut-il que cela donne naissance à de bons films, tout simplement (et si le mot simplement, répété plusieurs fois, suffisait à l'éclosion de talents....)

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sa réponse :

je ne crois pas que le cinéma doive générer une extraterritorialité dans laquelle on pourrait donner au mensonge (historique) le même statut que la vérité sous couvert d'oeuvre d'art...
si l'oeuvre est importante, esthétiquement, cinématographiquement parlant, alors la morale ne compte plus ? que diriez vous d'un hitler magnifiquement rendu d'un point de vue esthétique et cinématographique dans lequel, détail del'histoire, on le présenterait comme ignorant la shoah décidée par un état major sans qu'il lui en soit rendu compte ? Beau film, grand film, superbe film, mais quand même ?
non je ne crois pas au relativisme sur le terrain de la vérité historique ni à la poistion d'esthète qui trouve plus vraie la belle fiction que la vérité historique...
bien amicalement
mo
BRAINSTORM main title (James Horner)
http://www.youtube.com/watch?v=HMj_80T6cyg
Film composer great Elmer Bernstein (Magnificent Seven, To Kill A Mockingbird) once said to me, “The dirty little secret is that we’re not musicians – we’re dramatists.”(Michael E Levine)
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Emissary
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Re: cinéma : le révisionnisme esthétique

Message non lu par Emissary »

Le vrai révisionnisme esthétique, c'est la colorisation des films en noir et blanc.
"*I* shall not be back... but something will."
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Stardreamer
Yes Man
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Re: cinéma : le révisionnisme esthétique

Message non lu par Stardreamer »

Les films décriés par Mr Onfray sont des oeuvres de fiction et sont proposés comme tels. Ils n'ont aucune prétention à représenter une vérité "historique" à quelque niveau que ce soit.

Il est possible que certains prennent ces récits de fiction pour une réalité historique, mais c'est dû au manque d'éducation pas aux cinéastes! Je ne vois pas pourquoi le cinéma devrait compenser les défaillances du système scolaire...
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