Dana Kaproff et Paul Chihara, deux destins contrariés
Publié : lun. 17 août 2009 16:59
Le vent de liberté à nul autre pareil qui souffla sur Hollywood au début des années soixante-dix, bénéficia aussi bien aux réalisateurs qu'aux compositeurs. En dépit du poids de l'industrie discographique dans les choix artistiques, la musique de film s'est rarement montrée aussi créative et désinhibée que durant cette décennie-là, celle de toutes les audaces.
Deux des compositeurs les plus passionnants à avoir émergé dans cette effervescence furent Dana Kaproff et Paul Chihara; lesquels partagent, outre leur forte personnalité musicale, d'avoir débuté sous les auspices d'œuvres marquantes pour se trouver relégués au fil de leur carrière dans des productions de plus en plus anonymes – tout en restant prolixes. On ajoutera que le premier fut l'élève du second.
Né en 1954, Dana Kaproff est un enfant du sérail, dont le père, musicien de studio, officia notamment pour Jerry Goldsmith et Elmer Bernstein. Diplôme en poche, il se lance dans le métier. Après un passage obligé par la case télévision, Kaproff fait ses classes chez Bert I. Gordon en 1975 (Empire of the Ants). Deux ans après, son travail est reconnu à la faveur de l'intérêt que suscite le thriller de Fred Walton When A Stranger Calls – le début d'une association entre les deux hommes; l'importance de la musique dans le film est relevée. Dès ce coup d'éclat, on comprend que pour le compositeur, l'écriture pour l'image n'est pas une affaire de facilité mais une question d'exigence. On y trouve beaucoup d'application, mais aussi l'expression de vrais choix, une volonté assumée de dramatisation; la musique de Dana Kaproff ne craint pas de se faire remarquer. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans sa collaboration avec Samuel Fuller sur The Big Red One, l'œuvre d'un réalisateur légendaire, saluée et accueillie au Festival de Cannes.
Et pourtant après, retour à la case départ. Le compositeur, dont on pouvait penser que la personnalité aurait fait merveille sur grand écran enchaîne depuis près de trente années les productions télévisuelles, d'un niveau pour le moins inégal. Un sentiment de gâchis et une frustration à laquelle le musicien lui-même n'est peut-être pas insensible puisqu'il a fini par diversifier ses activités.
When a Stranger Calls
Tout le talent de Dana Kaproff dans cette extraordinaire séquence du film de Samuel Fuller:
The Big Red One
Le recours à l'électronique pour ce remake télévisuel d'un film de William Castle:
I Saw What You Did
Lorsqu'il aborde le cinéma en 1975, Paul Chihara (né en 1936) est déjà bien installé sur la scène de l'avant-garde américaine (œuvres symphoniques, chorales, musique de chambre). Ancien élève de Nadia Boulanger et Gunther Schuller, il délaisse l'enseignement pour tenter sa chance à Hollywood et se trouve aussitôt engagé par Roger Corman. Death Race 2000 - bande joyeusement iconoclaste de Paul Bartel – permet de se faire une idée assez précise de l'approche générale du compositeur. La musique de film n'est pas un choix de circonstance, mais la traduction d'un vrai désir. Paul Chihara y trouve le prolongement naturel de son écriture pour le concert, tout en la simplifiant. Il peut y fondre dans un même creuset ses différentes personnalités sans se soucier des convenances – ici la tradition classique, la musique populaire et l'expérimentation électro-acoustique – et de fait il y trouvera un sentiment d'harmonie qui rejaillira sur ses œuvres extra-cinématographiques.
Il connaîtra la consécration au début des années quatre-vingt, en travaillant lui aussi avec un réalisateur légendaire, Sydney Lumet, sur l'un de ses films les plus marquants, Prince of the City. La conclusion donne à écouter les deux sensibilités du musicien; d'abord un lancinant motif électronique qui tisse un arrière-fond monochrome auquel succède une envolée orchestrale, menée par un saxophone mélancolique, l'incarnation de la ville et des destins individuels.
Là aussi, semblait s'esquisser l'avénèment d'un compositeur de premier plan. Et pourtant..
Depuis, le musicien figure pour l'essentiel aux génériques de téléfilms de standing variable. Une évolution d'autant plus décevante que par ailleurs, il continue de recevoir des commandes prestigieuses pour lesquelles il bénéficie de l'attention des éditeurs discographiques.
Fidèle à lui-même, Paul Chihara mêle l'électronique, la guitare électrique et un usage intensif du blaster beam pour cette adaptation "kitsch" du Dr. Strange de Stan Lee.
Deux des compositeurs les plus passionnants à avoir émergé dans cette effervescence furent Dana Kaproff et Paul Chihara; lesquels partagent, outre leur forte personnalité musicale, d'avoir débuté sous les auspices d'œuvres marquantes pour se trouver relégués au fil de leur carrière dans des productions de plus en plus anonymes – tout en restant prolixes. On ajoutera que le premier fut l'élève du second.
Né en 1954, Dana Kaproff est un enfant du sérail, dont le père, musicien de studio, officia notamment pour Jerry Goldsmith et Elmer Bernstein. Diplôme en poche, il se lance dans le métier. Après un passage obligé par la case télévision, Kaproff fait ses classes chez Bert I. Gordon en 1975 (Empire of the Ants). Deux ans après, son travail est reconnu à la faveur de l'intérêt que suscite le thriller de Fred Walton When A Stranger Calls – le début d'une association entre les deux hommes; l'importance de la musique dans le film est relevée. Dès ce coup d'éclat, on comprend que pour le compositeur, l'écriture pour l'image n'est pas une affaire de facilité mais une question d'exigence. On y trouve beaucoup d'application, mais aussi l'expression de vrais choix, une volonté assumée de dramatisation; la musique de Dana Kaproff ne craint pas de se faire remarquer. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans sa collaboration avec Samuel Fuller sur The Big Red One, l'œuvre d'un réalisateur légendaire, saluée et accueillie au Festival de Cannes.
Et pourtant après, retour à la case départ. Le compositeur, dont on pouvait penser que la personnalité aurait fait merveille sur grand écran enchaîne depuis près de trente années les productions télévisuelles, d'un niveau pour le moins inégal. Un sentiment de gâchis et une frustration à laquelle le musicien lui-même n'est peut-être pas insensible puisqu'il a fini par diversifier ses activités.
When a Stranger Calls
Tout le talent de Dana Kaproff dans cette extraordinaire séquence du film de Samuel Fuller:
The Big Red One
Le recours à l'électronique pour ce remake télévisuel d'un film de William Castle:
I Saw What You Did
Lorsqu'il aborde le cinéma en 1975, Paul Chihara (né en 1936) est déjà bien installé sur la scène de l'avant-garde américaine (œuvres symphoniques, chorales, musique de chambre). Ancien élève de Nadia Boulanger et Gunther Schuller, il délaisse l'enseignement pour tenter sa chance à Hollywood et se trouve aussitôt engagé par Roger Corman. Death Race 2000 - bande joyeusement iconoclaste de Paul Bartel – permet de se faire une idée assez précise de l'approche générale du compositeur. La musique de film n'est pas un choix de circonstance, mais la traduction d'un vrai désir. Paul Chihara y trouve le prolongement naturel de son écriture pour le concert, tout en la simplifiant. Il peut y fondre dans un même creuset ses différentes personnalités sans se soucier des convenances – ici la tradition classique, la musique populaire et l'expérimentation électro-acoustique – et de fait il y trouvera un sentiment d'harmonie qui rejaillira sur ses œuvres extra-cinématographiques.
Il connaîtra la consécration au début des années quatre-vingt, en travaillant lui aussi avec un réalisateur légendaire, Sydney Lumet, sur l'un de ses films les plus marquants, Prince of the City. La conclusion donne à écouter les deux sensibilités du musicien; d'abord un lancinant motif électronique qui tisse un arrière-fond monochrome auquel succède une envolée orchestrale, menée par un saxophone mélancolique, l'incarnation de la ville et des destins individuels.
Là aussi, semblait s'esquisser l'avénèment d'un compositeur de premier plan. Et pourtant..
Depuis, le musicien figure pour l'essentiel aux génériques de téléfilms de standing variable. Une évolution d'autant plus décevante que par ailleurs, il continue de recevoir des commandes prestigieuses pour lesquelles il bénéficie de l'attention des éditeurs discographiques.
Fidèle à lui-même, Paul Chihara mêle l'électronique, la guitare électrique et un usage intensif du blaster beam pour cette adaptation "kitsch" du Dr. Strange de Stan Lee.