Bon, nous voilà, je le sens, embarqués dans une longue discussion.
Personnellement, parmi tous mes défauts, j'ai celui d'être un incorrigible lecteur de Batman, et forcément, c'est un peu en tant qu'exégète que j'ai abordé le film, mais par ailleurs, j'aime énormément Nolan, même si je lui ai longtemps trouvé une certaine incapacité à s'interesser à de véritables personnages.
Bon, j'ai écris des pages et des pages sur Dark Knight, je vais essayer de ne pas refaire le match ici, mais tout de même, comme tu viens me chercher avec de vrais arguments, j'ai envie d'y répondre !
Visiblement, il y a des gens qui détestent Dark Knight, qui serait un blockbuster bavard et poseur, sentencieux, commentant ostensiblement notre Monde Contemporain.
Je ne partage pas ce point de vue. C'est un film qui me prend aux tripes du début à la fin. La première séquence, par exemple, comprends au moins deux idées plastiques, deux idées vraies idées de mise en scène: d'abord, ce travelling aérien visant l'immeuble: évidemment, c'est le point de vue de l'avion des terroristes abattant les tours jumelles. impossible de ne pas y penser. On peut juger ensuite que ce n'est pas le rôle d'un blockbuster que de faire ce genre de commentaire, mais je trouve ça limpide et puissant. suite de la scène: l'immeuble explose, mais de l'intérieur: le message est aussi limpide: le mal est déjà là. Certes, c'est théorique, mais ensuite, le film va faire de cette question de l'incarnation d'une idée, justement, une grosse part de sa thématique par la suite.
Second temps de l'exposition: le Joker se révèle. Il porte un masque sur un masque. C'est tout de même assez vertigineux. Qu'on pense une seconde au traitement de ce personnage chez Burton, en particulier à son entrée en scène.
Bien sûr, Nolan n'est pas un réalisateur avec une imagination baroque comme un Tarsem, un Burton ou un Snyder, pour ne prendre que des réalisateurs très contemporains. Mais c'est le juger bien que de qualifier de laid ou sans "image" son cinéma. Il y a un vrai sens de l'image, puissant, iconique parfois dans ses films. Quelques plans très brefs sur Batman, dans Begins et Dark Knight donnent le frisson: sa grande silhouette, la cape demesurément allongée l'intégrant à la fleche sur laquelle il se dresse, son profil courbé devant les ruines de l'entrepôt ou Rachel est morte. Mais aussi Gordon, de profil, à côté du Bat-signal au début de Dark Knight, la silhouette impressionnante de la Batmobile.
Il y a par exemple une scène centrale dans Dark Knight, un passage obligé pour les fans de Batman, que Burton avait éludé: l'interrogatoire du Joker par le héros. Dans le film de Nolan c'est une scène eblouissante. LeJoker va prouver à Batman son impuissance- c'est tout l'enjeu du film- et je le dis dans un sens presque sexuel.
Bref, Batman va frapper et frapper le Joker, mais cette rage est sans effet: le piège est déjà refermé, et qu'il réduise son adversaire "en pulpe" comme le dira plus tard Lucius Fox n'y changera rien. En frappant le Joker, il ne frapper rien, et nul part, car ce qu'incarne le méchant n'a pas de limite, par définition: il est une puissance entropique. " Un agent du Chaos" dira-t-il. Nolan va traduire ça dans deux trois plans qui montrent le Joker en plongée, au sol, et les mains de Batman, ces mains si puissantes (elles broient le mal, tordent les canons de fusils, déchire le métal des carosseries...) s'ouvrant et se fermant, dans le geste typique de quelqu'un qui ne parvient pas à saisir quelque chose; dans un geste typique de l'impuissance.
Plus tard, cette impuissance de Batman va être au centre de a mise en scène d'une séquence. Dans le film, le Joker, c'est personnage qui passe constamment à l'acte, qui va affronter Batman, un personnage qui n'arrive pas à passer à l'acte, alors qu'il le voudrait (la définition même de l'impuissant- dans le cas de Batman, évidemment ce qu'il veut faire c'est tuer ceux qu'il juge nuisibles, en particulier le Joker ). Batman va se retrouver face à à son ennemi, sur sa moto, lancé à pleine vitesse. Nolan nous montrer Batman roulant directement vers sa cible, sur une ligne parfaitement droite, soulignée par la longueur du trajet. Le Joker va même l'encourager, moqueur: va y, fait le, fait le ... Et bien sûr, in fine, Batman ne le fera pas, impuissance toujours et encore.
Malgré les apparences, dans le film, Batman rate tout ce qu'il entreprend, ou plutôt tout ce qu'il entreprend est sans effet, est vain. La fin, en ce sens est complètement logique: il va adopter la seule position vraiment possible pour lui, qui est une position passive: être poursuivi.
A la fin du film, lors du monologue du Joker, Nolan a cette idée toute simple, et sublime, de retourner lentement la caméra, et ainsi d'épouser le discours du Joker: la gravité (évidemment employé dans un double sens ) n'est qu'à un pas du rire: la bouche triste du masque tragique retournée c'est la bouche rieuse du Joker. Why so serious ?
On ne peut vraiment pas dire que Dark Knight souffre d'un déficit de mise en scène. C'est un film théorique, c'est vrai, mais c'est aussi un film d'un grand metteur en scène, qui sait ou mettre sa caméra et pourquoi, et qui possède un vrai univers visuel, épuré, sec mais personnel.
Kwaidan a couté une fortune ? mmh... Je ne sais pas si on peut encore dire ça suivant les standarts de notre époque et le prix de nos blockbusters contemporains.
L'aigle de la neuvième légion. Je l'ai vu. bof bof, mais la scène que tu cites est une des meilleures. Je ne vois pas ou est l'exploit de mise en scène dans le passage que tu cites. Mais le point de vue choisi (au milieu des romains) est pertinent est bien exécuté.
Oui, Kwaidan est envoutant.
Mais Inception aussi. Tout le monde a voulu y voir un ronge-tête, mais je crois que ce n'était, encore une fois, pas l'intention de Nolan. Le film est très simple, sans réel mystère, est c'est sa beauté.
Pour Snyder, c'est un peu plus compliqué que "j'adore ce gars"- je ne suis pas du tout certain que ce soit l'homme idéal pour Superman (encore une BD dont j'ai lu des milliers de pages...) et contrairement à Batman avant Nolan, on a déjà eu l'adaptation idéale en film. Il y a au moins un film de Snyder que je n'aime vraiment pas, depuis toujours, c'est 300. Ce qu'on ne peut pas lui enlever, à mes yeux, c'est un sens du plan, mais aussi du rythme, de la chorégraphie dans l'image, très fort. Je comprend qu'il ai autant envie de faire des ralentis sur ses images. Parfois, il est capable, aussi d'éclairs de génie.
Dans Watchmen, par exemple, il a un plan, sans coupe, qui nous montre Rorshach marchant dans la rue. Une prostituée l'invite à s'approcher. Elle est tout sourire, avenante, engagante. Rorshach avance et passe son chemin. Dans son dos, au ralenti, à l'écran, le visage de la prostituée change et sa transforme en masque de haine, et elle insulte Kovacs. en une image, Snyder exprime toute la vision du monde de Rorshach: son rapport au sexe, au corps des femmes, sa vision du monde ( sous le sourire, la haine, le monde n'est fait que d'hypocrites )- et dans le plan, tout bouge et se déplace idéalement, harmonieusement, comme dans un balet. J'aime ce maniérisme de Snyder quand il relaie ses idées, et cela lui arrive quand même. Qui a remarqué dans Sucker Punch ce dialogue en plan séquence pendant lequel la caméra traverse un miroir deux fois ?
En attendant, l'association entre Snyder et Nolan, mariage forcé des patrons de la warner sans doute, a quelque chose d'étrange.
A la revoyure Score B.
De mauvais poil, moi ?
Au fond, je suis sûr qu'on doit aimer les même trucs !