Walden a écrit :pour moi la question ne se pose pas en ces termes en France, il s'agit de la manière qu'a l'appareil d'Etat français d'imposer une culture légitime en opposition à une culture qui ne l'est pas, sans que cette culture populaire ou "commerciale" soit interdite, mais délégitimée
haaaaaaaaaaa, la supériorité ontologique du "film d'auteur", haaaaaaaaaaaaa la supériorité ontologique de la musique sérielle, haaaaaaaaaaaaaaa le sublime des FRAC, rhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa lovely..............
il suffit d'observer les mécanismes des outils de légitimation qui existent : médias, lieux de transmision du savoir et d'éducation, répétition des idées toute faites, prima du discours des élites, etc Un choix est fait, basé sur une sélection politique, esthétique, idéologique
je n'en fait pas une obsession, mais je n'aime pas la servilité et l'obéissance à "ce qui va de soi", ce que l'on ne questionne pas (assez). En musique, Pourquoi Boulez est reconnu comme une valeur absolue en France alors que Marius Constant, Marcel Landowski, André Jolivet n'ont pas ce statut ?
En cinéma, pourquoi Godard ou Truffaut auraient une suprématie philosophique supérieure à Verneuil, De Broca, Louis Malle ou Corneau ?
c'est cela que j'interroge, quels sont les fondements idéologiques ou philosophiques de ces affirmations ? Pourquoi devrais je acquiéscer les préjugés d'une génération ou d'un courant esthétique exclusif ? Boulez oui (pourquoi ?), mais alors Howard Hanson, Samuel Barber,Gian Carlo Menotti et John Williams. Godard, oui (pourquoi ?), mais alors tous les cinéastes que j'ai cité plus haut. Je veux tout simplement aller à la racine et demander pourquoi l'on doit obéir à l'exception française, quelle est-elle, quels sont ses fondements ?
Je suis entièrement d'accord avec toi (mais tu le savais déjà !

) globalement c'est bien ce dont je parlais quand je citais le "misérabilisme" de Taboulez dans le post où il compare les "Tontons" avec "Sunset boulevard", c'est le même type de misérabilisme qui se joue avec les noms dont tu parles.
Bon, sinon pour essayer de répondre à ta question, il faut essayer obligatoirement de comprendre ce qui se passe dans la tête d'un légitimiste ou d'un misérabiliste (car ce dernier comportement - qui est bel et bien une dérive - découle malheureusement quasi mécaniquement de l'autre, cf les analyses de Jean-Claude Passeron qui a le plus creusé la question). Ca tombe bien, il se trouve que je connais assez bien ce milieu (les légitimistes et "absolutistes" en matière de musique classique et de cinéma entre autres) pour l'avoir côtoyé pendant pas mal d'années sur certains forums et blogs (et j'ai fini par jeter l'éponge car ça devenait une perte de temps, on ne lutte pas contre un éthos aussi "clérical" et rigide forgé par des années de pratiques culturelles et découlant d'une solide construction du "goût savant à l'état pur" qui méprise ou dédaigne le reste...).
Comme tu l'as expliqué toi même, c'est effectivement bien d'un "dogme" qu'il s'agit : globalement le dogme de "l'excellence" (excellence "formelle" surtout en fait : un clerc juge avant tout la forme d'une oeuvre d'art, et la forme du cinéma de genre, du rock, de la musique de film, etc... bref de toute la culture populaire en général ne le satisfait pas sur le plan soit disant "objectif"...) et surtout découlant d'une manière de voir le monde assez typique des clercs européens : Bernard Lahire avait parlé à la fin de son bouquin sur "La culture des individus" de certaines marges de consommateurs culturels qu'il définissait comme des "ascètes culturels". Le fondement même de l'ascèse est avant tout de fortifier son âme, et surtout de se présenter comme exemplaire ! dans un tel contexte, le "plaisir" (apprécier une mélodie agréable, "facile", sucrée, etc...), l'inclinaison au "divertissement" sont considérés comme des péchés capitaux ! tout simplement parce que pour l'ascète, ses inclinaisons là relèveraient presque de la "barbarie" ; tandis qu'une véritable ascèse culturelle implique un "effort" constant, une "retenue", une "contenance" perpétuelle qui empêche justement de se "vautrer" dans le plaisir simple et "barbare" (on pourrait aussi parler de la contenance verbale : le respect scrupuleux à la langue légitime, etc...). Je ne peux pas expliquer autrement la fascination des élites pour les musiques formellement les plus complexes ou les plus hermétiques (Boulez, Ferneyhough, Murail, etc...), pour le cinéma le plus exigeant et le moins populaire (Antonioni, Godard, etc...), pour la "Grande" littérature si je ne la ramène pas d'abord et avant tout à une certaine forme d'ascèse élitiste (je le répète : il s'agit de "montrer l'exemple" et de tirer vers le "haut' la fange du "tout venant") allié à un dédain constant du plaisir trop ""commun" ou "vulgaire".
Je vous livre ce que j'avais jadis expliqué sur un blog (portant sur le rock, musique "dominée" et considérée plus ou moins avec condescendance par les clercs "ascétiques" dont j'ai parlé avant). En fait, il y a 2 moyens de juger une culture par rapport à une autre sans faire de l'ethnocentisme primaire (comme jadis les colons vis à vis des autochtones) :
- soit on opte pour le relativisme culturel : les cultures ont toutes de la valeur, et il n'y a pas réellement de hiérarchie ni de culture "supérieure" à une autre, etc...
- soit on se base sur la théorie de la légitimité culturelle (concept utilisé par Max Weber à propos du pouvoir et de la domination) et à ce moment là, la culture "inférieure" (ici le cinéma de genre) est forcement "dominée" par rapport à une culture dominante (ici le cinéma "Art et essai", "d'auteur", expérimental, etc... statistiquement plus goûté par les classes dominantes que par les classes dominées, ce sont les statistiques et c'est une simple constatation, rien de plus !)
Seulement aucune de ces 2 positions - pour échapper à l'ethnocentisme - n'est réellement satisfaisante, de plus elles comportent toutes deux des dérives :
- Le relativisme culturel peut facilement dégénérer en "populisme" dès lors qu'il ne conserve pas une certain neutralité. Exemple typique de populisme : un intellectuel ou un homme politique sorti des plus grandes écoles qui défend mordicus la culture "inférieure" en affirmant même avec outrance qu'elle serait supérieure ou du moins plus "riche" que la culture dominante, c'est notamment le cas quand Fabius se vante de regarder la StarAc' alors qu'en fait il doit sûrement plus passer son temps à se pâmer pour le jazz le plus exigeant, etc...
- La théorie de la légitimité culturelle, de son côté, peut facilement dégénérer en "légitimisme" qui est d'ailleurs la posture typique de l'intellectuel lettré un peu "constipé" par rapport à la culture populaire perpétuellement et arbitrairement jugée comme plus "pauvre", plus simpliste, plus mièvre, plus barbare, etc.... et pire encore en "misérabilisme". Exemples de légitimisme : quand sur France Musique, un journaliste présente une chanson de Armando Trovaioli et qu'il met en garde les auditeurs du risque qu'ils aient des "hauts de coeur" à l'écoute des arrangements un peu "variétés" de la chanson en question (en fait des cordes peu inventives mais tout à fait digestes, vraiment pas de quoi exiger des "sels" ou se "pincer le nez"), de nombreux propos relevés sur certains blogs ou forums que je pourrais vous citer - ainsi que dans la plupart des ouvrages critiques sur la consommation ou sur la société (le mépris habituel d'un Renaud Camus, quasiment tous les bouquins du philosophe Jean-François Mattéi comme entre autre "La Barbarie intérieure. Essai sur l’immonde moderne", etc...). Exemple de misérabilisme typique : le post de Taboulez qui compare les "Tontons" avec "Sunset boulevard".
En fait des phrases* (certes au second degré) comme "Le fan de rock inculte entend chez eux quelques dissonances inhabituelles... et crie au génie ! Alors que Schoenberg allait déjà 100 fois plus loin à une époque où les grands-parents des rigolos de Sonic Youth n'étaient même pas encore nés" ou "Les lourdauds du Velvet réalisent que l'impro en musique, ça ne... s'improvise pas (elle est facile, mais beaucoup moins que European Son). Les jazzmen ont une véritable oreille musicale, d'excellentes connaissances théoriques, ce qui leur permet d'enchaîner des suites d'accords d'une grande richesse et se déplacer agilement et avec finesse sur les modulations les plus complexes.", etc, etc... sont totalement empreintes de misérabilisme qui repose, je le rappelle sur la déploration d'un "riche" (ou d'un individu persuadé de la supériorité d'une "culture musicale" par rapport à une autre, ce qui nous ramene bien évidemment à l'ethnocentrisme) sur les pauvres qui sont forcement dépourvus de toute "richesse" et dont l'art est non seulement indigent mais également empreint d'un mauvais goût congénital. En fait tout comme les ethnocentristes, les "légitimistes" et les "misérabilistes" partent du principe (assez peu nuancé d'ailleurs) qu'une culture dominée "manque" de quelque chose que seule la culture dominante (et savante) pourraient être à même de leur offrir, exactement comme les colons par rapport aux autochtones !
Pour sortir de ce cercle vicieux, Jean-Claude Passeron et Claude Grignon proposent ce qu'ils appellent "l'articulation", cad qu'au lieu de juger une oeuvre d'art "dominée" de façon uniquement relativiste façon canards de rock ou de pop "mainstream" ("Ce CD de Britney Spears est un monument de la pop jubilatoire, on pense au Madonna de la plus grande période, etc...") ou au contraire uniquement légitimiste façon intellos ou philosophes réactionnaires un peu condescendants ("C'est nullissime, et de toute façon, ça ne vaudra jamais untel ou untel, eux au moins savent trousser des harmonies et connaissent leur contrepoint" ou "Mon pauvre vieux, que vaut ce pauvre untel face au génie de Bach ou de Schubert - ou face au divin Coltrane ou au subtil Miles Davis"), ils recommandent plutôt "d'articuler" entre les points de vues relativistes (quand l'oeuvre d'art populaire recèle une véritable originalité, fraîcheur, sophistication ou authenticité que ne possède - de toute évidence - pas la culture "aristocratique" ou élitaire souvent trop guindée ou "balisée") et légitimistes (quand le musicien a été clairement influencé par la culture dominante et qu'il essaye d'imiter sans forcement avoir les "armes" appropriées pour lutter dans le champ savant : autodidactes avec peu de talents, etc...).
*A lire ici :
http://art-rock.over-blog.com/article-20561385.html