Quelle oreille avez-vous ?

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Lee Van Cleef
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Re: Quelle oreille avez-vous ?

Message non lu par Lee Van Cleef »

Orion a écrit :Une dernière chose, pour reprendre ce que disais Janus : pour moi également, la musique ne "raconte" rien. C'est paradoxal puisque j'écoute essentiellement de la BO et de la musique classique à tendance programmatique (ou en tout cas, à laquelle on rattache souvent des images : le paysage enneigé dans la Symphonie No.1 de Tchaikovsky ou la No.1 de Sibelius, pour citer des symphonies que j'aime beaucoup). Mais il n'y a que le son et les mélodies qui me séduisent : aucune image ne vient à moi (sauf bien sûr, s'il s'agit de la musique d'un film que j'ai déjà vu, et encore...). Pour tout dire, j'ai toujours considéré ça comme un sérieux handicap : comme si j'étais aveugle. Mais le fait est que j'apprécie quand même, même imparfaitement, sans que les images me viennent.
Etant donné que beaucoup partagent ton point de vue, Orion, je ne m'attends pas à soulever un tintamarre de vivas et d'approbations exaltées en faisant valoir une opinion aux antipodes. Car à mes yeux, mes oreilles et mon esprit, toute musique, pour peu qu'elle vibre de suffisamment de force et d'intensité, à une histoire à conter. Une histoire toutefois condamnée à n'être que brumes impalpables sans le secours d'une imagination conciliante. Tonton Walt ne disait d'ailleurs pas autre chose avec son sublime Fantasia, vaste célébration du fulgurant pouvoir d'évocation de la musique et preuve irréfutable qu'il se dissimule bien quelque chose derrière ces agrégats de notes.

Nombreux, pourtant, sont les béophiles qui se disent incapables de goûter à une partition s'ils ne peuvent y apposer les images d'un film visionné au préalable. Mais dans bien des cas (en particulier lorsqu'une péloche de quat'sous hérite d'un score de haute volée), cela revient à claquemurer la musique entre des murs trop étroits pour son expression abstraite. Avouez quand même qu'il serait foutument dommage de ne "voir" dans les superbes charges corsaires de Hook qu'un Robin Williams engoncé dans son pyjama vert pomme, de ne se représenter au travers des atmosphères ténébreuses et tribales du King Kong de John Barry que le malheureux Rick Backer gesticulant tant qu'il peut dans son costume de singe, ou de n'avoir en tête que les délires fluorescents et vaguement gay de Schumacher à l'écoute des dantesques Batman de Goldenthal. Même si la fonction première d'une musique de film est, par définition, de servir au mieux les intérêts esthétiques et dramatiques du métrage qu'elle illustre, je reste convaincu pour ma part qu'il arrive (presque) toujours un moment où elle s'émancipe de son support visuel pour vivre sa propre existence. Et il n'appartient qu'à nous, grâce à un minimum de fantaisie et d'inspiration, de l'aider à prendre définitivement son envol dans notre esprit.
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Orion
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Re: Quelle oreille avez-vous ?

Message non lu par Orion »

Bien dit. Mais enfin, dans la question qui nous préoccupe, on peut difficilement sombrer dans la guerre d'opinion, puisque chacun à son oreille. Je suis le premier à penser, et à exiger, que la musique de film ait une existence indépendamment de l'image : sinon, à quoi nous servirait le CD ? Et comme mon expérience de la musique n'est pas imagée, une BO que j'écoute n'est pas esclave des images qui l'accompagnent. C'est un peu l'avantage du handicap, dans ce domaine.

Que toute musique ait une histoire à conter, cela, je veux bien le concevoir. C'est même une évidence quand on pense aux poèmes symphonies, par exemple. Simplement, cette histoire, je ne la saisis pas. Même indistinctement. Ou alors simplement parce que nos oreilles ont été formatées à des associations son-thème : la harpe est souvent associée au féérique, le hautbois au champêtre, la trompette est solennelle ou triomphante... Des associations bien sûr hâtives et réductrices, nécessairement dépassées par beaucoup de compositeurs, mais qui existent bel et bien. J'envisageais d'ailleurs de vos stimuler dans le sens d'un débat sur ces associations idée-instrument, et sur la formation culturelle de ces associations. A voir.
Je reste donc souvent sidéré quand, après avoir écouté de la musique programmatique, je lis les commentaires qui l'accompagnent (prenons Töd und Verklarung de Richard Strauss, ou The Water Goblin de Dvorak, qui répondent à un schéma assez détaillé, puisque dans le cas du Dvorak, il semblerait qu'on soit par moments proche du "mickey-mousing" - façon de parler - d'après ce que j'ai lu). Autant de choses qui m'échappent complètement à l'écoute. L'idée de faire le rapprochement entre un violent coup musical et la projection d'un corps d'enfant sur une porte ne s'impose pas immédiatement... et finalement, connaitre cette association ne me fait pas vraiment apprécier davantage la musique en question...
Bref, je crois que je m'égare par rapport au sujet initial. Encore que...

En fait, bizarrement, je crois que j'aime la musique de film, mais pas spécialement parce qu'elle va avec des images. Peut-être davantage parce que les contraintes que lui imposent le cinéma font qu'elle rentre (ou pas d'ailleurs) dans ce qui plait à mon oreille, ne serait-ce que parce le public est un minimum pris en compte. Voilà.
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