Lee Van Cleef a écrit :Curiosité malsaine de ma part, sans aucun doute, mais je me demandais, Janus, ce que tu peux bien penser d'un score qui a déchaîné l'enthousiasme de certains de nos collègues mais sur lequel tu as observé un silence sépulcral, à savoir Red Sonja. Pour tout dire, je suis déjà convaincu que tu n'as jamais porté cette musique en haute estime, et ce pour les mêmes raisons qui ont galvanisé l'intérêt de béophiles d'ordinaire assez réfractaires à l'art du Maestro : parce que la bête est bourrée d'élans cuivrés à n'en plus finir !
Cher Lee,tu as une acuité intellectuelle qui m'épate et me plait. Avant de te faire part de mon impression sur
Red Sonja,il serait sans doute plus judicieux d'expliquer ce que j'aime en musique et plus principalement en l'oeuvre de
Morricone. Et tu connais suffisamment ce compositeur pour ne pas être conscient de ses nombreux grands écarts artistiques,ce qui rend l'analyse (pour ceux qui s'y sont risqués),difficile et rarement satisfaisante. Outre ses talents incontestables de mélodiste et de thématiste,c'est une expression musicale colorée,corrosive et viscérale que je retiens en premier lieu,une écriture très personnelle des cordes et justement des cuivres lorsqu'il les utilise par exemple dans
Le désert des tartares ou dans
In the line of fire. J'ai toujours aimé ce caractère créatif et singulier qui a abordé la musique de film en intellectuel décomplexé,sorte de croisement explosif entre
Verdi,Luigi Nono, Bacharach,se déchirant non sans habileté entre musique savante et musique légère,où le "lounge" peut y côtoyer dans un même élan intense l'austérité sérielle (
L'alibi), où la mélodie entêtante subtilement orchestrée va rivaliser avec l'expérimental pur et dur en collaboration du groupe d'improvisation "
Nuova consonnanza (
Macchie Solari),où l'épique va se confronter au dodécaphonisme (
Le Secret du Sahara/Orca),où le lyrique et le chatoyant va s'effacer devant l'électro-acoustique dissonant et obsessionnel (
Les deux saisons de la vie/l'attentat),où le beau,le romantique s'écrasera contre le monstre symphonique cataclysmique de
La tente rouge/Fräulen Doktor,où le religieux flirte avec le diabolique (
L'exorciste II) ou le "chaos sériel" (
Giordano Bruno) ou le profane (Il sorriso del grande tentatore),où l'érotique-sensuel si délicieusement daté de
Scusi Facciamo L'amore? se pervertit sulfureusement avec
Quando l'amore e sensualità,etc...J'adore les contrastes esthétiques et le ballet des extrêmes qui arborent l'oeuvre de ce compositeur inépuisable et opportuniste (dans le bon sens du terme) qui a modestement mais sûrement contribué à pousser les limites du beau plus loin et même les limites du bon goût! Il fut un essayiste de génie qui n'a pas composé que des chefs-d'oeuvre,loin de là,mais un nombre infini de partitions de cinéma plus secondaires qui restent pourtant très intéressantes,même si cette oeuvre gigantesque n'est pas exclue d'obsessions,de redites pouvant aller jusqu'au rabâchage. C'est pour cette raison que je dis toujours que
Morricone est le seul compositeur qui peut me tirer la larme à l'oeil avec pas grand chose. Il est dit que le cinéma a beaucoup profité de
Morricone,mais
Morricone a,lui aussi,beaucoup profité du cinéma afin d'expérimenter ses "délires" ou obsessions d'artiste!
Red Sonja possède un bon matériel thématique de base mais cette musique qui respire une écriture précipitée me donne l'impression d'une oeuvre inachevée,inaboutie. J'ai plus l'impression d'écouter un habile exercice de style qu'une partition-clé du Maestro qui a réalisé infiniment mieux,du moins pour
moi...je pense notamment au magnifique et très réfléchi
Hamlet qui reprend quelques éléments significatifs de
Red Sonja. Concernant l'emploi des cuivres,je les trouve mille fois plus fascinants dans
Le désert des tartares et même
In the line of fire,dans cette façon suspendue et complètement atonale de les exploiter. Et ne me demande pas ce que je pense de
Hundra!