Raisuli a écrit :Pourtant force est de constater que les notions de sacrifice et de courage sont très présentes dans la série et le rapprochement de personnages si dissemblables , que rien ne prévoyait sinon l' adversité , ramène le télé-spectateur et le Blurayvore-aticus à l' occasion, espèce déjà en voie de disparition , nous ramène donc tous à une certaine forme d' humanisme...
Par exemple Lannister que tout différencie pour ne pas dire éloigne , de Brienne...Ces deux là vont finir par se vouer un profond respect qui va au-delà des mots : Y aurait-il même plus dans les yeux de Brienne ? Sans doute...Imaginez le chemin parcouru , cela force mon admiration. J'ai cité l' exemple le plus flagrant , mais ce genre de narration évolutive foisonne et enrichit le récit de scènes fulgurantes d' émotion qui me laisse pantois à chaque nouvelle vision! Ces scènes de reconnaissance, de retrouvailles, de sacrifices et de vérité humaine cachée sortent toujours du fumier le plus putride et l'on doit souvent encaisser des scènes emplies de la bassesse la plus vile d' épisodes en épisodes , pour enfin parvenir à la vérité qui illumine les personnages , les entrevoir sous un jour plus sympathique sinon plus humain .
Je pense que le rapprochement entre Martin et Tolkien (que j'ai lu ardemment étant jeune) n'est pas extorqué au niveau du cadre formel (créatures sorties du bestiaire héroic fantasy -dragons, marcheurs blancs pour les orques, corbeaux pour les crébains du pays de Dun, l'arbre de Winterfell ou les enfants de la forêt pour les Ents-, obsession de multiplier les personnages et les sous-intrigues, minutie de la cartographie et de situer l'action géographiquement, peut-être même une propension chez Martin à inventer de nouvelles langues comme le haut Valyrien ou le Dothraki, un souffle épique certainement), mais je suis aussi de l'avis Scorebob pour dire que les valeurs de courage et de loyauté ne sont pas habitées de l'intérieur chez les personnages de Martin ; il y a clairement chez lui une certaine distanciation, voire une certaine méfiance vis-à-vis du sens du dévouement "national" ou "patriotique" (dans Tolkien, il s'agit de défendre la "Comté", le "Rohan", la "Lothlorien", etc. c'est-à-dire, en ordre général, la terre du Milieu immémorialement enracinée et ceci contre la barbarie inconnue, industrielle et apatride).
Dans le fond, cela n'a effectivement guère de rapport. Le temps a passé, et le désenchantement l'a emporté et on ne peut non plus se soustraire à notre époque. Une période de paix comme la nôtre où l'individualisme l'emporte et où l'ennui invite au suicide égoïste (pour paraphraser Durkheim) n'est certes pas propice à louer le patriotisme ouvert et à vanter la défense de la terre d'un peuple (ce qui était une dimension politique du monde décrit par Tolkien, même si celui-ci s'est toujours défendu d'une quelconque interprétation idéologique de sa saga qui est pourtant en définitive très ancrée dans un conservatisme du terroir avec des sentiments certes nobles mais aussi primitifs).
Pour la relation entre Jaime Lannister et Brienne justement, si la séduction opère certes physiquement, le sens du devoir chez Brienne reste purement formel : il s'agit de trouver une couronne à défendre (quelle qu'elle soit d'ailleurs). Au départ, le serment de fidélité de Brienne s'est porté sur Renly Baratheon, ensuite sur Catelyn Stark, ensuite sur Sansa. Ce qui importe pour Brienne n'est pas tant le devoir "du terroir" ou du "cœur d'élection" que le devoir au sens pur : il s'agit simplement chez elle de trouver une cause "juste" (pour elle) à défendre, sans que cette cause soit rattachée vitalement à son être.
Brienne est un personnage "lunaire", qui n'existe pas véritablement dans le monde. Il y a là un pur formalisme kantien :"Je dois, car je dois" ! Et ce devoir n'a rien à voir avec le devoir des personnages de Tolkien qui réagissent en fonction de leur "terroir" c'est-à-dire de leur enracinement national et affectif. Ce devoir éprouvé par Brienne peut être conçu comme "dérisoire" un peu comme la fable de la défense de Eichmann : je le fais car c'est mon devoir, et je dois être cohérent avec l'engagement pris ! En gros, le sens du devoir du personnage de Brienne de Martin est peut-être noble mais abstrait. Elle sacrifierait par exemple la vie de Jaimie (dont le charme voire l'obstination pathétique semblent pourtant la toucher ; ce que ne ferait certainement pas un Sam pour un Frodon) pour l'accomplissement de son devoir (comme aussi Titus pour Bérénice chez Racine). Le devoir des personnages de Tolkien est incarné, moins universel, plus ancré dans le réel. En définitive, les droits réels du citoyen contre les droits abstraits de l'homme dirait Marx ou Arendt. Et si la noblesse consiste à défendre son territoire par amour des siens, Brienne n'a dès lors rien d'un personnage noble.
Cependant, il y a bien des actions héroïques (nobles je ne sais pas, mais si la noblesse des actions rime avec l'emportement aveugle, je veux bien) dans Game of Thrones, mais dont les raisons n'ont rien à voir avec la défense nationale (Tolkien et la bataille réactive d'Angleterre par exemple) ou l'obéissance à la loi morale pure sans épaisseur nationale (Kant et l'impératif catégorique).
Ces raisons sont shakespeariennes : la passion de la lignée, la volonté d'usurpation du pouvoir sans compromis, les caprices des humeurs, la versatilité des astres et tout ceci au mépris d'un quelconque sens du devoir moral.
Dans la forme, la saga Game of thrones me semble tenir de Tolkien ; dans le fond, elle me semble tenir de Shakespeare.
Tout ceci évidemment proportions gardées, car Martin (et la série ; si habile soit-elle) n'est ni Tolkien, ni Shakespeare.