Zbigniew Preisner : le silence du sacré

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Alcibiade
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Zbigniew Preisner : le silence du sacré

Message non lu par Alcibiade »

Si Zbigniew Preisner reprend à son compte la pensée de Simone Weil sur le sens du sacré musical dans ses « Cahiers III », à savoir que « la plus belle des musiques est celle qui donne le maximum d'intensité à un instant de silence », ce n'est évidemment nullement un hasard ; on s'en doutait intimement sans forcément pouvoir le verbaliser.
Le sens du sacré, c'est le silence qui s'infiltre entre les sons du monde. Le silence ne peut s'entendre intensément qu'à travers l'écho des sons terrestres. Dans ce silence, quelque chose se brise poursuit Weil, et le cœur humain est fait pour être brisé. Nul amour sinon celui de Dieu peut briser sans gaspillage le cœur des hommes qui le désirent, car toute souffrance divine endurée et consentie est attente ; attente d'un autre jour : « il n'y a rien de bien dans cet univers, mais cet univers est bon ».
Preisner pourrait tout autant se réclamer d'un Georges de La Tour peignant la fragilité d'une flamme de chandelle faseyant à la respiration timide d'un nouveau-né ou d'un Blaise Pascal attendant dans l'ennui du repos recueilli, un chapelet teintant dans la prière des mains, la grâce de l'échappée. Si nul devoir de principe ne semble a priori avoir effleuré l'homme, ni un quelconque patriotisme polonais, ni une allégeance particulière à une Église, ni même un frisson d'engagement communiste, il y a en lui une musicalité qui se rapproche d'une sensibilité enracinée dans une terre meurtrie faite pour des hommes qui bataillent sous un ciel muet.

Comme beaucoup, c'est avec les partitions pour Kieślowski, « Le décalogue », « La double vie de Véronique » (venu juste après « Alien 3 » de Goldenthal dont il partage d'étranges similitudes), « Trois couleurs » que j'ai découvert Preisner. Et puis est venu ensuite, après un certain temps d'occultation, tout le reste : son indicible « Requiem for a friend », son déchirant « Silence, night & dreams », son réconciliant « Diaries of hope », « Le jardin secret », « Fairytale », « Fatale », « It's all about love », « Aberdeen », « Lost and love », « Angelica », etc. jusqu'à son « Man of God ». Il me reste certainement bien des choses encore à découvrir ou à redécouvrir.

L'écriture de Preisner est un attachement à l'humilité des choses loin des effusions des grands orchestres confondant la démonstration avec la profondeur. Ses plages mettent souvent à l'honneur un seul instrument en duo discret avec d'autres comme la harpe s'entretenant avec le hautbois pour « Forgotten we'll be », une voix d'enfant soutenue par le piano pour « Diaries of hope », une guitare sèche pour « The history of eternity » (un peu à la manière de Nitzsche pour « The indian runner ») dialoguant avec le violoncelle, etc.
Rien n'est de trop chez Preisner, car tout est à sa place sans besoin de chape brodée ou d'encensoir serti, tout est juste et c'est pourquoi tout semble déjà scellé depuis des temps immémoriaux comme si une seule rencontre suffisait à le connaître, ce qu'il fut et ce qu'il sera : un étirement qui se cherche, qui se noie, qui se retient et se reprend. On ne saurait être foncièrement déçu par Preisner si on l'a croisé et éprouvé une seule fois. C'est la certitude d'un même monde d'attente et d'humilité sacrées.

Exception faite de ces trois œuvres monumentales qui ne sont pas faites pour un cœur qui résiste encore vaniteusement à la brisure, « Requiem for a friend », « Silence, night & dreams », et « Diaries of hope », je confesse que deux scores ont particulièrement retenu mes heures : « Fairytale : a true story » dont la plage « The coming of the queen » est d'une solennité inédite et « The history of eternity » dont l'infinie tristesse donne l'oubli des choses vaines.

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Odelay
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Re: Zbigniew Preisner : le silence du sacré

Message non lu par Odelay »

Le passage avec Requiem for a friend dans The Tree of life de Malick est l'un de mes grands chocs visuels et sonores.
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Mortimer
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Re: Zbigniew Preisner : le silence du sacré

Message non lu par Mortimer »

C'est pas tous les jours qu'on lit un sujet sur Preisner. Je commence à avoir une belle petite collection grâce notamment à Caldera.
Il y a quelque chose d'envoutant dans ses musiques qui me captive à chaque fois. Un coté spirituel aussi. Et j'affectionne particulièrement Fairytale.
Plus on est nombreux à penser la même chose,
moins il vient à l'idée qu'on pourrait tous avoir tort.
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Dadid
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Re: Zbigniew Preisner : le silence du sacré

Message non lu par Dadid »

Pour moi, la rencontre avec La double vie de Véronique fut quasi amoureuse, film et musique confondus. Ce fut comme s'ils me parlaient directement, comme s'ils avaient été créés pour moi. J'apprécie Preisner en général, mais aucune autre de ses musiques ne m'a touché autant, en partie grâce au fameux Van Den Budenmayer Concerto, mais le reste du score, plus dépouillé, aussi. Le concert de Preisner enregistré en Pologne (dans une ancienne mine de sel, je crois) évoque une sorte de messe, un moment de recueillement, plus d'une compilation traditionnelle. J'aurais aimé y être.
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