Jadis, il était la tête de Turc de bien des tristes sires pour lesquels, hors des frontières du cinéma de genre, il n'existait point de salut. Bergman, en ces temps pas franchement glorieux, passait pour le réalisateur prise de chou par excellence. Le mec-qui-fait-les-films-les-plus-chiants-de-la-Terre, grossièrement résumé. Loué soit Satan, les choses ont pas mal changé depuis, en bien ; et seul notre Bobby-Boy national, qui comptait peut-être parmi les sacripants évoqués plus haut, s'amuse encore à citer le grand homme dès qu'un blockbuster pétaradant pointe le bout de son nez dans les salles obscures.
J'ai par conséquent la faiblesse de croire que certains d'entre vous, honorables camarades, sauront éclairer ma lanterne à propos de deux de ses plus fameuses oeuvres, Fanny och Alexander (Fanny et Alexandre) et Scener ur ett Äktenskap (Scènes de la Vie Conjugale). Je les ai découverts il n'y a pas si longtemps, et en suis ressorti littéralement envoûté, tant par l'extraordinaire opulence visuelle et dramatique du premier (qui, au passage, met à mal l'image ascétique de Bergman grâce à l'hilarant personnage de l'oncle pétomane) que par les bouleversants accents de vérité du second, radiographie d'un couple telle que je n'en avais jamais vue, épurée, magnifique de pudeur et de crudité en même temps. Mais ces films sont en réalité des téléfilms, qui culminent chacun à cinq bonnes heures de métrage, quand les remontages effectués pour le cinéma n'en font "que" trois. Or, ce sont ceux-là qui me sont passés entre les mains. Je sais que les versions (très) longues sont réputées incontournables, et prioritaires en tous points sur leurs cadettes, mais j'aimerais bien savoir ce que l'érudite caste d'UnderScores peut penser à ce sujet.
Ingmar Bergman
Re: Ingmar Bergman
Un amour de jeunesse que Bergman pour ma part, mais je n'ai pas réussi à ma grande honte à le suivre dans ses derniers retranchements à savoir "Saraband" (vraiment difficile : du théâtre filmé très laborieux et boursouflé d'une évidence acquise de Maestro auquel on pourrait passer tous les caprices) et même son "Fanny et Alexandre" (long à mourir). Comme tous les grands de ce monde qui finissent un jour par tomber (David Cronenberg, David Lynch, Brian De Palma, Ridley Scott, Tim Burton, et la liste est longue), il fut un temps où les intuitions infantiles irradiaient comme dans "La source" (qui est un monument abyssal de cruauté, et jamais un viol n'aura été aussi bien filmé, et aussi bien châtié sous l'œil miséricordieux de Dieu. Pour moi, son chef d'œuvre absolu supérieur même aux classiques "Le septième sceau" et "Les fraises sauvages"), comme dans "Jeux d'été" où l'amusement naïf pouvait ébranler "amoureusement" l'ordre moral divin, comme dans "L'attente des femmes " où le bovarysme filandreux pouvait s'imposer comme scandaleux et inviter à la phallocratie attendrie. Mais il y a beaucoup d'oeuvres de Bergman dont nous ne savons rien (en tout cas, je n'ai personnellement pas tout vu, et je ne ferai pas la liste de celles que j'ai vues, elle est déjà conséquente mais pas encore suffisante). J'ai été par contre très déçu par son "œuf du serpent" où j'avais (à l'époque) vraiment beaucoup misé sur la capacité de Bergman à montrer l'insinuation politique dans les consciences mais, en définitive, je n'ai vu que la descente certes bien "dite" d'un homme (David Carradine magistral !) dans l'alcoolisme. L'envers idéologique a été ainsi complètement manqué (je préfère -et de loin- des démonstrations plus modernes et radicales comme dans "Emprise" de Paxton et surtout "Apt Pupil" de Singer) : cela n'était manifestement pas le credo de Bergman. Bergman reste en effet un réalisateur très intimiste, très féminin, très psychologique (pas psychanalytique, je trouve, même si l'ambiguïté peut être débattue avec "Persona" et "Le rite" : vraiment un "anima" conscient mais riche en vécu à convoquer et à parcourir : à la Proust quoi !), très nuancé, peut-être trop d'ailleurs dans les résolutions cosmologiques et philosophiques justement ! Un raffinement diffus, subtil qu'il faudra que je retrouve nécessairement un jour dans un monde où l'art de dépeindre finement les sentiments sans les peindre grossièrement devient rare.
- Lee Van Cleef
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Re: Ingmar Bergman
Je présume que tel n'était pas le but recherché... mais ton animosité à l'endroit du film m'apparait comme une invitation liserée d'or à reprendre du rab ! Pas l'ombre d'un dodelinement de tête, me concernant, face aux trois merveilleuses heures du digest projetés sur les grands écrans, mais le bonheur céleste de se rouler en pouffant de rire dans le royaume de l'enfance, où les lanternes magiques montent la garde telles des sentinelles cuirassées d'or, puis un effroi insidieux une fois parvenu au coeur du donjon marmoréen sur lequel règne en maître inflexible le pasteur Vergerus, dont la Foi aveugle n'aura de cesse d'asphyxier la candeur et l'imaginaire. Bon sang, pourquoi le vieux Van Cleef tergiverse-t-il encore à s'offrir deux heures supplémentaires d'une oeuvre si accomplie ?Alcibiade a écrit :et même son "Fanny et Alexandre" (long à mourir).
Re: Ingmar Bergman
Que neni ! Ni une dissuasion, ni un encouragement en fait ! Il faudra certainement que je retente l'aventure pour en être certain, mais j'ai trouvé l'enchantement à vrai dire fade, et je n'ai pu continuer l'aventure, peut-être à tort d'ailleurs ! Mais derrière cet étalage compassé, je voyais plutôt "Le petit lord Fauntleroy" de Gold en moins bien ! Cela date évidemment, mais dans mes souvenirs ce n'était qu'un simple Bergman de commande pour les fêtes de Noël ! Il me fallait la radicalité des origines, et non le mouroir somptuaire des catacombes. Après, je peux parfaitement me tromper, mais la longueur était telle (et on doit l'admettre) que mon courage n'a pas eu aussi le dessus. Bergman n'avait justement rien dans les années 50-60 d'un réalisateur consensuel et éminemment respectable ; je pense que c'est la raison pour laquelle je n'ai pas pu finir ce "Fanny et Alexandre" (avec "Cris et chucotements" & "Saraband" d'ailleurs).Lee Van Cleef a écrit :mais ton animosité à l'endroit du film m'apparait comme une invitation liserée d'or à reprendre du rab !