Lee Van Cleef a écrit :Ma vigilance s'est trouvée pareillement prise en défaut. Peut-être parce que Bruce Harwood, alias le très distingué John Fitzgerald Byers, apparaissait aux côtés de ses éternels compères
un tantinet moins rouquin que ce dont nous avions gardé le souvenir (et aussi, sans doute, par la faute des cadres nauséeux et floutés faisant office de mise en scène).
Effectivement, mais alors même avec un arrêt sur image, il est méconnaissable, filmé de biais, la gorge déployée, la chemise rose-bonbon, apparaissant le temps d'une seconde ! Pour le coup, impossible pour un spectateur lambda de cibler son apparition.
Au passage, et en refaisant les comptes et en m'étant arrêté sur la saison 4 (une des meilleures), je me suis mis à redécouvrir des thématiques anciennes qui m'avaient beaucoup plu à l'époque, comme celle de l'épisode 13 intitulé "Plus Jamais" (aka "Never again") de Rob Bowman.
Un épisode davantage psychologique que fantastique qui met le doigt sur le vide affectif et les diverses compensations que l'on peut trouver pour le combler, que cela soit par le travail, l'alcool ou la distraction d'un tatouage fait dans le désœuvrement. Cet épisode fait immédiatement suite à "Régénérations" où Scully découvre de façon inattendue son cancer via une abomination génétique dévorant les organes nécrosés pour se régénérer. Mais déjà les deux personnages ont un certain vécu psychologique : Mulder ayant perdu son père assassiné et étant de plain-pied dans le doute quant au sort de sa sœur (qui n'aurait peut-être pas été enlevée par des extra-terrestres mais simplement tuée par un tueur en série) et Scully ayant perdu sa sœur. Cet épisode est intéressant au sens où il fait le lien entre la partie publique, superficielle du travail et la partie privée, profonde du vécu propre.
Or le propre de l'agent Mulder, c'est que sa partie publique fait corps avec sa partie privée. Pour ainsi dire, il n'a pas d'identité psychologique secrète, il est pour cela entier, et les soubresauts de sa vie personnelle relèvent toujours de l'enquête fédérale (le lien entre sa mère et l'homme à la cigarette, l'enlèvement de sa sœur, la figure du père ayant collaboré avec le complot universel, etc.). La semaine contrainte de repos qu'il doit prendre dans cet épisode pour se "mettre au vert" n'est même pas un retour dans sa sphère cachée, intime (chose qu'il prétend pourtant au début en parlant d'un pèlerinage spirituel pour se retrouver lui-même) : il s'agit d'un retour nostalgique à ses amours musicaux d'Elvis avec visite de musée et révélations superfétatoires ("Elvis a acheté tous ses meubles en une demi-heure").
À l'inverse, il y a chez Scully une prétention à la vie privée, à l'épaisseur psychologique inviolable qui ne doit pas se traduire dans le travail ou le plus discrètement possible, et c'est pourquoi elle reste pudique avec son collègue et ceci dans la mesure du possible (puisqu'il est difficile de toujours garder sa neutralité lorsqu'on est atteint dans son corps ou dans ses proches). C'est ce qui va se manifester, je pense, dans cet épisode de façon symptomatique et provoquer pour la première fois des heurts, des conflits privés et psychologiques entre les deux agents. Lorsque Scully refuse de reprendre une affaire qu'elle juge elle-même grotesque, Mulder lui fait le reproche que "ce boulot, c'est sa vie alors que pour elle, ce n'est qu'un boulot, elle n'est en définitive qu'une fonctionnaire !". En somme, un fonctionnaire fait son travail par contrainte extérieure (en gardant une certaine neutralité psychologique) et non par obligation intérieure (en se donnant psychologiquement). Ce qu'elle confessera alors, c'est que cette vie-là (où il y a une confusion complète entre le travail et le vécu mais sans affectivité) est devenue la sienne à son insu, et qu'elle n'est plus véritablement une fonctionnaire, elle est devenue véritablement trop impliquée. D'un certain côté, se joue ici l'aveu que Mulder n'est plus un simple collègue de travail mais un partenaire amoureux possible mais inaccessible (car trop pris par son travail), et c'est bien à ce stade de la série que la trame amoureuse entre Mulder et Scully s'initie. Mais la même ambiguïté se dessine aussi chez Mulder qui, durant son "pèlerinage", tiendra à recueillir des informations non seulement sur l'avancement de l'enquête mais aussi sur la vie privée de Scully : "T'as un rancard quelque part ?". Vu le silence de Scully, Mulder étonné (mais aussi d'un certain côté atteint) lui répond : "Tu veux rire ?".
La rencontre de Scully avec cet homme séduisant et se trouvant également dans la faillite amoureuse (Edward Jerse qui vient d'essuyer un revers traumatique : rupture du contrat de mariage avec perte de la garde de ses deux enfants) sera pour Scully la façon de se détacher de la relation fusionnelle et professionnelle instaurée avec Mulder, une façon de se créer enfin une vie intime, une manière (avortée par avance) de redevenir une simple fonctionnaire. Et d'ailleurs, les premiers pas que Scully fera dans l'exploration de la vie privée seront maladroits avec un déballage familial et professionnel sans implication affective.
Le retournement véritable viendra lorsqu'irrationnellement, elle acceptera, séduite finalement par Edward, de se faire un tatouage pour communier avec lui et partager son vécu (très beau moment érotique d'ailleurs, soutenu par la musique instable de Snow, où les regards s'échangent et où le plaisir de Scully se faisant tatouer est à son diapason - je me demande d'ailleurs si le tatouage donne autant de plaisir orgastique ?
).
Il y a enfin chez Scully une prise de risque érotique, un choix, une relation affective et sexuelle signée (même si cela n'est pas dit ou montré).
L'alibi fantastique (des tatouages faits à partir de pigments contenant l'alcaloïde de l'ergot, parasite du seigle engendrant des hallucinations) sert une intrigue foncièrement psychologique : les pigments font ressortir les pulsions intériorisées (comme le fait d'en découdre avec la gente féminine à l'origine du désordre du monde - ancien résidu de l'Inconscient collectif), et la Betty tatouée sur le bras d'Edward (dont la voix originale n'est autre que celle de Jodie Foster) n'est que la partie refoulée d'Edward : "Tu m'as dans la peau" lui dit Betty et cette Betty est jalouse et remplie d'une détestation épidermique envers les femmes ordinaires (toutes des "garces" comiques qui singent le dévouement et qu'il faut "dresser" par une violence toute "virile"). Il est d'ailleurs assez bien vu d'impliquer que la féminité symbolique, celle tatouée, n'est qu'un rejet de la féminité réelle qui agit dans l'ombre, dans le secret du droit et des petites procédures mesquines. La féminité symbolique est un déchaînement pulsionnel, une maîtrise des choses par l'action. La féminité symbolique est en réalité la masculinité symbolique. Dans le symbole, les contraires se confondent : l'animus devient anima et inversement. Si Edward ne peut aimer Betty, c'est parce que Betty n'est que sa part impulsive virile : pas assez réelle et féminine pour être aimée, trop symbolique et masculine pour être désirée.
Scully échappera au final à cet univers privé qu'elle tentait de se créer, et aussi in fine à cette emprise masculine meurtrière - pulsionnellement désirable (comme le polack Stanley, objet obscurément tentateur de Blanche) mais foncièrement mortelle.
Mais c'est inévitablement la fin de cet épisode qui en fait un des meilleurs de la saison : une fin en suspens, une fin qui en dit long en ne disant rien et en laissant les deux agents face à face dans leur sous-sol étriqué et ceci après leur exploration respective et lamentable de la sphère privée. On reprend le cours des affaires en ressentant toute la vacuité des enquêtes paranormales avec un Mulder qui n'y croit même plus, dont le regard est vitreux et qui finit son interminable conclusion de rigueur avec la dérision d'un tatouage NY qu'il pourrait se faire faire sur chacune de ses fesses pour célébrer la victoire des yankees, et avec une Scully qui, absente, scrute un pétale de rose flétri (avec le sentiment d'une existence qui s'achève : le cancer progresse, et la vie privée n'est qu'une vaste ruine affective).
Une nouvelle affaire est proposée par Mulder à Scully (un enfant recherché dont le visage est apparu sur un panneau publicitaire), puis.... le jeu s'arrête enfin, le masque des agents tombe et la tonalité devient "privée".
Comment expliquer l'indifférence de Scully, son silence, le fait qu'elle ne soit plus impliquée dans le travail ?
"Tout ça parce que j'ai un bureau et pas toi ?" lui demande Mulder. Un regard de surprise échangé : "Rassure-toi, tout ne dépend pas que de toi ! C'est ma vie !". "Oui, mais... ?" balbutie Mulder et... l'épisode s'achève.
Derrière cette préoccupation apparemment superficielle de ne pas avoir de bureau au nom de Scully au sous-sol (préoccupation qui a enclenché cette dispute du début et ce désintérêt soudain de Scully pour son travail) se cachait en réalité la demande amoureuse : "je n'ai pas de place dans ta vie, et ta vie n'est que ton travail". Et l'interrogation finale de Mulder "Oui, mais... ?" est en définitive l'acceptation de la demande amoureuse avec la réponse implicite : "oui, mais tu as une place dans ma vie". Ou dit différemment "nos vies privées sont pathétiques, mais nous avons une vie privée ensemble dans le public". Un bureau au nom de Scully semble désormais possible.
Sirupeux ? Certainement ! Mais habile et très bien suggéré !