Jusqu'à ce que les lumières s'éteignent et que les premiers crédits du générique commencent à apparaître à l'écran, je dois avouer m'être sérieusement demandé si une terrible erreur d'aiguillage ne m'avait pas fait échouer dans la mauvaise salle. Nom d'un katana en céramique rose, l'endroit grouillait littéralement de seniors ! A croire que les joyeux pensionnaires de la Résidence des Hortensias m'avaient tous emboité le pas. Quand on pense que naguère, il aurait fallu tous les menacer de les estourbir à coups de pelle pour qu'ils daignent accorder un peu d'intérêt au cinéma d'Albert Dupontel, l'affreux jojo coupable d'avoir régurgité sur la pellicule Bernie et Le Créateur... Le triste souvenir de son précédent essai Le Vilain, la quasi unanimité critique auréolant son dernier-né et, donc, la ruée en force du troisième âge, ne peuvent laisser flotter plus longtemps le doute : notre trublion s'est embourgeoisé.
Certes, son savoir-faire technique et ses absurdités cartoonesques irriguent sans compter 9 Mois Ferme, qui s'impose haut la main comme l'une des comédies les plus divertissantes de l'année (une galerie de seconds rôles aux petits oignons, comme toujours chez Dupontel, une hilarante nuit de biture capturée par l'oeil des caméras de surveillance, un crime sanglant revu et corrigé par Tex Avery). Mais la forme, si jubilatoire soit-elle, ne saurait éclipser un fond pétri de cette bienséance dont l'artiste s'était jusqu'alors lavé les mains. Finalement très sage et normatif en diable, le récit s'indigne des velléités d'indépendance de Sandrine Kiberlain et va s'échiner à lui faire découvrir la Vraie Vie (comprendre "la faire rentrer dans le rang"), quitte à l'engrosser à l'insu de son plein gré par les bons soins d'un cambrioleur au demeurant fort sympathique. Bigre ! Si Dupontel lui-même en est réduit à faire la morale à ses chers marginaux, c'est que tout fout le camp, mes pauvres.