Le pire, c'est que nous sommes tous d'accord sur un point : il est extrêmement dur de juger avec mesure et discernement et de se départir de soi.
Il est évident que les critiques (ou « dithyrambes » ?) de « Dreams to dream... s » étaient le produit d'une passion partagée d'auditeurs pleinement conquis et effectivement c'était le propre des « fanzines » (d'ailleurs je rappelle le titre complet : "Dreams to dream... s. Le magazine officiel de James Horner"). Les célébrations renouvelées et appuyées avec des pages entières d'envolées lyriques et de lauriers tressés (au détriment d'autres qui pouvaient certes être parfois loués avec la même passion, mais le plus souvent n'avaient aucunement droit à l'erreur ou à la clémence - mais en soi, je n'ai absolument rien contre les critiques incendiaires, bien au contraire je les préfère même largement à celles qui sont consensuelles et obséquieuses du moment qu'elles ont néanmoins un minimum d'honnêteté argumentée) avaient nettement de quoi désorienter, exaspérer voire même inquiéter ("une folie collective ?", "un vertige hallucinatoire de masse ?") et ceci même le plus convaincu des "hornériens". Plus besoin en définitive de lire, on savait par avance qu'un nouveau score recevrait des éloges et ... tout le petit peuple hornérien se constituer ainsi secrètement en grand, et de « secte » devenir ainsi Église constituée.
Il y a une histoire des religions, et tout un processus lent d'élévation du tertre d'un saint avec conservation superstitieuse des reliques. À l'époque par exemple je considérais « Stalingrad » comme un torpillage en règle de « La liste de Schindler », « Windtalkers » et « The perfect storm » et « Courage under fire » comme effroyablement indigestes et procédant par laborieuses recettes éprouvées, « Deep impact » comme saturé de larmes gluantes glaireuses. Et pourtant pour ce dernier, je pouvais lire, dans un numéro, et dans une stupéfaction interdite une ode prophétique et ampoulée « Deep impact n'a pas fini de surprendre, de déconcerter, et d'émouvoir. Tant que la passion et l'espoir illumineront le cœur des hommes, le score de James Horner rayonnera de toute sa splendeur. La réponse de l'amour à l'indifférence ! ». Mais on pourrait continuer ainsi ad nauseam : à chaque fois des éloges, nulle distanciation ; rien n'étant plus vu ni entendu tellement la raison se perdait dans la déférence de l'amour et de l'affectivité avec des superlatifs voire des petits noms « Notre Ami James » ou « La légende de James, le seigneur des singes » (pour « Mighty Joe Young »).
Lors d'un entretien avec Jean-Jacques Annaud (dans le numéro 15) par deux membres de l'équipe « Dreams to dream... s », la question qui brûle les lèvres est même posée : « Que pensez-vous de Dreams to dream... s en tant que ... ? ». Annaud ne pouvait que suivre par un constat embarrassé « ... religion hornérienne ? », et d'ajouter (pour réunir les cœurs tout en étant dans le ton) un très habile « Si je réponds aujourd'hui à vos questions, c'est que votre dogme est tout à fait raisonnable » sous-entendant par là qu'il faut aussi y regarder à deux fois avant de s'entretenir avec des « fous de Dieu » (et comme par hasard tout cela dit au détour d'un déchiffrement de la partition du « Nom de la Rose » ! - film qui est l'hymne par excellence de lutte contre toute forme d'obscurantisme et plus spécifiquement ce chant de réserve critique vis-à-vis d'une adulation aristotélicienne maladive).
Dans la grappe des idoles magnétiques invoquées, il y a les dieux priés et les démons maudits. Comme il y a des coupables par principe, il y a aussi des innocents par principe et dans les deux cas, les dossiers sont à charge ou à décharge ; bien loin de l'exigence peut-être idéale de l'objectivité de vue (pour l'un cependant, le multi-récidivisme est cependant sans appel.
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Je n'ai rien en soi contre cette façon de procéder, elle émane effectivement de « fans » et, à l'époque, on le savait tous parfaitement (et je m'attendais toujours à cela si je réussissais à glaner providentiellement un numéro) : une critique de fans n'est pas une critique impartiale. Pour les véritables jugements, j'allais par contre toujours voir ailleurs, vers ce qui était plus juste, plus fondé, moins complaisant. Néanmoins de telles effusions avaient aussi l'avantage de me conforter dans mes certitudes, de me justifier et de me disculper devant les autres d'un quelconque soupçon pathologique d'aveuglement (comme dans les confréries de « gamers » où plus on est en nombre, plus le sentiment de folie personnelle s'estompe paradoxalement).
Mais l'attente de nous tous, c'est qu'une véritable biographie d'un compositeur avec étude de son œuvre soit la plus juste possible, et je salue franchement par avance le travail, l'obstination, l'exercice périlleux, et l'initiative rare d'Adequacy.
Après tout les plus belles déclarations d'amour sont celles qui reposent sur la considération des mérites et des insuffisances de l'aimé.