C'était la dernière séance...

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Lee Van Cleef
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C'était la dernière séance...

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... Bon, je le concède, peut-être pas la dernière tout court, mais en tout cas la dernière pour un long, long, foutument long moment. Il y a, voyez-vous, que je me suis rendu tout à l'heure, la gorge serrée par une certaine émotion, sur la page officielle du cinéma du coin, le seul, en vérité, qui me soit accessible à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde. Qu'importe sa programmation, je me sentais prêt à en découdre même avec un naveton de série pour l'unique joie de carrer à nouveau mon arrière-boutique tavelée dans l'accort rembourrage d'un strapontin, au coeur de cette délicieuse pénombre où il m'est arrivé parfois de fantasmer que je lançai un shuriken par pur plaisir hédoniste, en m'en remettant au hasard. Bref, je savourais le moment tant attendu — car il est entendu, n'est-ce pas, que je n'entretiens pas l'ombre d'une parenté avec les hordes de tristes couards n'envisageant pas de remettre les pieds au cinoche avant l'année prochaine.

Horreur funeste ! Malédiction purpurine ! Le destin semblait avoir en réserve le mauvais tour de me forcer à imiter les susdits capons. Un projet d'agrandissement, tout jute mis en branle, contraint le lieu saint à garder ses vantaux hermétiquement clos jusqu'en... septembre 2021 ! Abomination impie ! Purulence fongueuse ! Je ne comte évidemment pas rester un an et demi loin des salles obscures, oh que non. Mais, au vu de la très respectable trotte qu'il me faudra effectuer chaque fois que l'envie de me faire une toile me saisira, je vais devoir me résoudre dès à présent à des choix cornéliens. Sur ces entrefaites, je cède la parole à George Abitbol.
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Lee Van Cleef
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Re: C'était la dernière séance...

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Nom d'un katana gainé de peau de chamois ! Je n'avais pas réalisé à quel point ça m'avait manqué avant de confier mon arrière-train verruqueux au moelleux carré matelassé pris en étau entre deux accoudoirs tout aussi soyeux. Y'a pas à dire, quel panard de s'abîmer dans la pénombre douce d'une salle de cinéma, sans aucun autre souci que de contempler cet écran cyclopéen où de merveilleuses images en mouvement s'affairent à nous conter une histoire ! A n'en pas douter, ces retrouvailles trop longtemps différées avec le lieu de culte resteront comme l'une des toiles les plus émouvantes que le vieux Van Cleef se sera jamais payées.

Toutefois, l'honnêteté, que j'ai menottée au corps (si tu crois que j'te vois pas pouffer, le chat du Cheshire !), m'astreint à dire que le film sur lequel j'avais jeté mon dévolu n'a joué dans ces ruissellements d'émotion qu'un rôle très subalterne. Non, il ne s'agissait pas de Tenet, le sauveur auto-proclamé du cinéma en péril (pas trop le temps, et l'envie encore moins, de me taper 3 heures réclames comprises devant les circonvolutions zigzagantes de la nouvelle "nolanerie"), mais d'un curieux film mongol, Öndög, baptisé chez nous dans un logorrhéique frémissement La Femme des Steppes, le Flic et l'Oeuf. La foncière originalité d'un récit qui n'aime rien tant qu'à désamorcer des attentes prémâchées et la photo superbement léchée incarnent des atouts de poids, mais l'atroce langueur d'une réalisation anémiée les flanque sans ménagement par terre. N'empêche qu'il m'a été impossible de snober l'écran, que je buvais littéralement des yeux. Une pincée de béatitude mystique pour le prix d'un ticket de cinoche ? Ca le fait.
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Lee Van Cleef
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Re: C'était la dernière séance...

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Lee Van Cleef a écrit : lun. 22 juin 2020 19:54Un projet d'agrandissement, tout jute mis en branle, contraint le lieu saint à garder ses vantaux hermétiquement clos jusqu'en... septembre 2021 ! Abomination impie ! Purulence fongueuse !
Après une studieuse et intense séance de brainstorming, je suis certain d'avoir mis le doigt sur ce qui m'a d'emblée chiffonné en pénétrant dans le hall fraîchement rénové. Ce n'était pas cette espèce de blanc d'Espagne dont les murs sont désormais couverts, rendant d'autant plus flagrante la nudité de ceux-ci, qu'aucune affiche, aucun colifichet clinquant n'égaye plus ; il ne s'agissait pas davantage du maigre nombre de spectateurs présents, dont le silence presque superstitieux, à peine troublé par les chuchotis craintifs demandant un ticket ou un sachet de friandises, exacerbait l'impression de déambuler au sein d'un salon mortuaire ; non, le vrai truc, qui ne m'était jusqu'alors jamais arrivé en poussant les portes d'un cinéma, résidait tout bonnement dans l'absence des si caractéristiques relents de pop-corn, évidemment éradiqués tout autant par les gens venus retaper la baraque de fond en comble que par le temps écoulé depuis la précédente période d'activité des lieux — il y a quatre longues foutues années, nom d'un katana strangulé par des rubans de pellicule !

Mais qu'importent ces vides olfactifs. Il ne leur faudra pas longtemps pour être comblés à nouveau, de toute manière. L'essentiel résidait dans la salle hérissée de fauteuils moelleux, n'attendant que mon postérieur osseux s'y avachisse afin de se payer goulûment une toile ! Le film des retrouvailles aura été Civil War, qu'il vaut mieux découvrir l'esprit vierge de toute perspective déjà mâchouillée par des critiques quelque peu hors-sujet. Non, nous n'avons nullement affaire au brûlot politique porté ici ou là aux nues : le script ne dit à peu près rien de l'Amérique d'hier ou d'aujourd'hui, laquelle fait office de cadre en fin de compte assez neutre (cette lutte fratricide, telle qu'elle se dévoile, aurait pu faire rage dans beaucoup d'autres pays) à un road movie questionnant sans trop d'insistance l'éthique des journalistes, et des reporters de guerre en particulier. S'il frustre légitimement en se satisfaisant d'un vol stationnaire à la surface de son ambitieux sujet, Civil War marque cependant de précieux points en conférant un vrai lustre aux pérégrinations des chevaliers du Nikon. Rod Serling lui-même eût à coup sûr récompensé de son aimable rictus cette gentille bourgade, trop paisible, trop sereine, sise dans une bulle protectrice que les affrontements ne sont pas parvenus à faire éclater, et ces sculptures en plâtre à l'effigie du Père Noël, rescapées d'une ère lointaine de festivités, sous la barbe desquelles le plomb fuse en miaulant. À la barre, Alex Garland sait donner consistance à d'épatantes atmosphères, et c'est déjà beaucoup.
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Haricolin
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Re: C'était la dernière séance...

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Lee Van Cleef a écrit : dim. 5 mai 2024 18:53
Lee Van Cleef a écrit : lun. 22 juin 2020 19:54Un projet d'agrandissement, tout jute mis en branle, contraint le lieu saint à garder ses vantaux hermétiquement clos jusqu'en... septembre 2021 ! Abomination impie ! Purulence fongueuse !
Mais qu'importent ces vides olfactifs. Il ne leur faudra pas longtemps pour être comblés à nouveau, de toute manière. L'essentiel résidait dans la salle hérissée de fauteuils moelleux, n'attendant que mon postérieur osseux s'y avachisse afin de se payer goulûment une toile ! Le film des retrouvailles aura été Civil War, qu'il vaut mieux découvrir l'esprit vierge de toute perspective déjà mâchouillée par des critiques quelque peu hors-sujet. Non, nous n'avons nullement affaire au brûlot politique porté ici ou là aux nues : le script ne dit à peu près rien de l'Amérique d'hier ou d'aujourd'hui, laquelle fait office de cadre en fin de compte assez neutre (cette lutte fratricide, telle qu'elle se dévoile, aurait pu faire rage dans beaucoup d'autres pays) à un road movie questionnant sans trop d'insistance l'éthique des journalistes, et des reporters de guerre en particulier. S'il frustre légitimement en se satisfaisant d'un vol stationnaire à la surface de son ambitieux sujet, Civil War marque cependant de précieux points en conférant un vrai lustre aux pérégrinations des chevaliers du Nikon. Rod Serling lui-même eût à coup sûr récompensé de son aimable rictus cette gentille bourgade, trop paisible, trop sereine, sise dans une bulle protectrice que les affrontements ne sont pas parvenus à faire éclater, et ces sculptures en plâtre à l'effigie du Père Noël, rescapées d'une ère lointaine de festivités, sous la barbe desquelles le plomb fuse en miaulant. À la barre, Alex Garland sait donner consistance à d'épatantes atmosphères, et c'est déjà beaucoup.
Nous n'avons très clairement pas lu les mêmes critiques mon cher Lee ! :lol: La plupart que j'ai vu dénonce comme tu le fait si éloquemment le manque de positionnement politique du film. Mais, également à ton image, j'ai eut beaucoup de bons retours sur ce film et je l'aurais déjà vu si je n'étais pas coincé dans une infame période d'examen. Mais ça ne saurait tarder (enfin, je l'espère), car ton retour a encore plus enflammé mon envie de le voir alors que le batiment était déjà bien atteint par les flammes.
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