Revenge Of The Ninja (Robert J. Walsh)

Men in Black

Disques • Publié le 11/05/2017 par

Revenge Of The NinjaREVENGE OF THE NINJA (1983)
ULTIME VIOLENCE
Compositeur :
Robert J. Walsh
Durée : 50:09 | 30 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
0 out of 5 stars (dans l’hémisphère gauche)

5 out of 5 stars (dans l’hémisphère droit)

Infortunés ninjas ! S’ils avaient seulement pu se douter des outrages que le cinéma d’exploitation commettrait sur leur dos… Pour toutes les fieffées canailles, à l’affût d’un tour pendable à jouer dans les venelles du bis, l’apparence très graphique des assassins de l’ombre et l’ahurissant arsenal les aidant à accomplir leur besogne dégageaient des effluves par trop séduisants pour être négligés. Bien évidemment, la discrétion presque fantomatique avec laquelle le ninja se mouvait en terrain hostile fut perçue comme un détail annexe, dont les réalisateurs avides de tout montrer se préoccupèrent comme de colin-tampon. Résultat, la déferlante cagoulée des années 80 affubla les guerriers nippons de pyjamas peinturlurés à la hussarde, qui éblouiraient même un aveugle de naissance. Revenge Of The Ninja, malgré les nombreuses breloques nanardeuses battant sur sa poitrine, s’est au moins tenu à l’écart de la parade Crayola. Ses deux tueurs vedettes, le gentil et le méchant, arborent sagement le noir lié par tradition à leur mystérieuse caste. De là à prétendre qu’un même souci d’uniformisation a poussé le bricolo Rob Walsh à balancer jusqu’à plus soif ses motifs grésillants…

 

Merveilleuses eighties ! C’était le début du règne des pâtés électroniques et des ingénieurs du son aux doigts maculés de cambouis. Hormis quelques rares élus (John Carpenter, Tangerine Dream, Vangelis), ces ambassadeurs peu ou prou talentueux du système D échouèrent régulièrement à changer en noble argument de stylisation les synthés que l’air du temps, et surtout des producteurs obnubilés par leur tiroir-caisse, imposaient à tous azimuts. Menahem Golan et Yoram Globus, les grands vizirs de la mythique Cannon, ne rivalisaient peut-être pas avec l’avarice sans borne d’un Roger Corman, mais ne pouvaient guère se targuer d’avoir pour autant le chéquier volubile. Rob Walsh peut en témoigner. Composé en un temps record et pour à peine une bouchée de pain, son Revenge Of The Ninja porte tous les stigmates d’une production ayant sacralisé les économies de bouts de chandelle. Logique low cost oblige, la musique devient la cinquième roue, bringuebalant autour de son essieu, d’une charrette vermoulue en lieu et place de carrosse.

 

Revenge Of The Ninja

 

En n’ayant point la dent trop dure, quelque béophile charitable dira peut-être de Walsh que son bidouillage artisanal, tous craquements dehors, avait habillé de gros pavés disjoints la voie conduisant au fameux hit vidéoludique Shinobi. Ce à quoi les mordus de la première heure des ninjas pixellisés ne devraient pas manquer de rétorquer que Yuzo Koshiro, l’un des compositeurs pionniers de l’industrie du gaming, avait témoigné d’une autre inventivité malgré des moyens avoisinant le vide sidéral… Il se dégage néanmoins de Ninja Karma, la mise en bouche de Revenge Of The Ninja, une bonne volonté certaine, à défaut d’un brio insoumis aux limitations technologiques. Derrière ces coin-coins malhabilement équarris, on sent poindre le regret de cuivres grondants et de glissandi de cordes qui auraient architecturé une marche spectrale en l’honneur des légendaires assassins. Le hic, c’est que tout ce que le casting compte de fruits pourris a systématiquement droit aux honneurs de ce simulacre du pauvre. Les malheureux soldats vêtus de sombre s’en trouvent fort marris, eux que ces bégaiements en série mettent sur un pied d’égalité avec les gouapes roulant des mécaniques dans le terrain de jeux du coin, comme avec les cancres-du-fond-de-la-classe qui cherchent noise au tout jeune fils du stoïque héros. Ninja, y es-tu ?

 

Entre deux escarmouches où l’électronique s’évertue coûte que coûte à singer roulements de tambour et batterie parfois d’un arrière-goût rock, le shakuhachi voit son ersatz tenter de rendre palpable l’ancestrale sagesse extrême-orientale (par son seul intitulé, Mind Like Water, petit précipité simili-planant tiré du LP d’origine, fait du plat aux métaphores aqueuses dont usait Bruce Lee pour qualifier l’âme de son style de combat, le jeet kune do). Cette philosophie zen s’incarne dans les yeux impavides de Sho Kosugi, star martiale ouverte aux pécules modiques, qui prononce l’air cérémonieux quelques aphorismes dont au moins un (« Seul un ninja peut vaincre un ninja ») continue, plus de trente ans après, de faire les délices des cinéphiles mal élevés. Sa rectitude morale, confinant à la rigidité du granit, le rend comme de juste insensible aux invites même pas déguisées que lui adresse une blonde houri. C’est assez, a cependant décidé Rob Walsh, pour ébaucher les linéaments translucides d’un Love Theme orphelin des délicieuses violonades dont le compositeur parait se languir. Exit la fièvre et la passion, bonjour les odeurs rances d’un tue-l’amour impitoyable.

 

Revenge Of The Ninja

 

La menace tapie dans l’ombre, la lutte à mort, notre héros vit pour les frissons qu’elles procurent bien davantage que pour un hédonisme bassement terrestre. Une fois ses vertueux principes de tolérance enfin jetés par la fenêtre, il reprend les armes au son d’un cérémonial synthétique qu’un rien (quelques puissantes exclamations de trombones, mettons, nanties de lourdes percussions) aurait pu réussir à rendre galvanisant, et s’en va arpenter de nouveau le rude chemin du combat. Et question castagne, c’est peu dire qu’il va être gâté par les dix minutes d’un climax l’opposant à son meilleur ami et, quelle surprise, véritable salaud de l’histoire. Le potentiel nanar du film, il est vrai assez modeste comparé aux Z imbitables que Joseph Lai et Godfrey Ho bâclaient dans le même temps à Hong Kong et aux Philippines, donne toute sa (dé)mesure lors de ce final abracadabrant. On eût aimé distribuer quelques bons points également à Rob Walsh, mais le tourbillon de pirouettes meurtrières au faîte des gratte-ciel ne l’enjoint qu’à recycler, encore, ses onomatopées revêches, en boucles répétitives s’entortillant comme les croisillons d’un grillage fatigué.

 

Objectivement pas glorieux, tant s’en faut, Revenge Of The Ninja réussit malgré tout in extremis à bondir hors d’atteinte du caniveau où le bon goût ne rêvait que de le voir se décomposer. Quant à élucider de plausible façon cette prouesse inattendue… Magie foutraque de la défunte Cannon ? Nostalgie au-delà des mots pour les ninjas-couteaux suisses d’un cincoche populaire mort et enterré ? Charme pervers de synthés claquemurés dans leur époque ? Votre serviteur redoute fort d’avoir imprudemment franchi le Rubicon, au-delà duquel la raison, outil essentiel au plumitif s’enorgueillissant d’un bagage critique de première crédibilité, capitule devant l’affolement inexplicable des sens. Prends garde à toi, candide lecteur ! Le même embarras pourrait te foudroyer, toi aussi…?

 

Revenge Of The Ninja

Benjamin Josse
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