THE BOURNE SUPREMACY (2004)
LA MORT DANS LA PEAU
Compositeur : John Powell
Durée : 48:28 | 13 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Après s’être fait remarquer sur le premier épisode de la franchise, John Powell revient et se montre une nouvelle fois à la hauteur en prolongeant le projet musical mis en place deux ans auparavant dans The Bourne Identity. The Bourne Supremacy (La Mort dans la Peau) brille par son entrée en matière avec Goa, qui illustre le pré-générique : une lente montée de cordes assortie de percussions annonce immédiatement la couleur. L’apparition du titre se fait presque menaçante, Powell faisant on ne peut plus sobrement la promesse que le deuxième épisode sera plus trépidant encore. Mais cet aspect finalement assez sombre n’est-il pas révélateur de l’évolution psychologique du personnage principal ? D’abord, le spectateur se rendra vite compte que son visage, qui arborait un air juvénile dans le premier film, s’est singulièrement durci. De plus, les toutes premières images du film sont issues des rêves de Jason Bourne, bribes de souvenirs en forme de cauchemars. Le thème au basson du premier film, éthéré et fantomatique, revient hanter l’édifice musical pourtant solide et rappeler la condition du jeune homme.
Puis apparaît un nouveau thème interprété par les cordes accompagnées d’une guitare et de légères percussions acoustiques. Ce thème sobre illustre la vie quotidienne du couple que forment Jason et Marie en Inde et souligne la tranquillité dont ils ont bénéficiée pour se construire une vie normale et un semblant de bonheur. Au même titre que la guitare, les percussions dynamiques mettent en valeur des cordes fluides, les bangra dhols sont frappées au rythme du footing de l’ex-tueur de la CIA et soulignent le paradoxe de Jason Bourne : il ne connaît même pas son propre nom, mais il doit conserver les capacités physiques que réclame ce métier qu’il ne veut pourtant plus exercer. La fuite en avant par excellence. Dès le début, Powell allie dynamisme et fluidité, légèreté et profondeur, et marque son intérêt pour la psychologie des protagonistes tout en composant un thème accrocheur qui révélera plus tard sa triste beauté dans New Memories.
The Drop plonge alors directement l’auditeur dans l’action en accompagnant Kirill, un tueur mystérieux et méthodique que l’on reverra plus tard aux trousses du héros. Les fameux ostinati reviennent en puissance pendant les trois minutes de ce morceau qui couvre d’un seul tenant une mission de contre-espionnage virant au fiasco et donne le coup d’envoi de l’intrigue. Les mouvements des cordes rentrent dans le vif du sujet tout en traduisant la rapidité des protagonistes, tandis que les percussions viennent bouleverser le schéma établi tout en préservant l’efficacité de la musique. En effet, si elles interviennent violemment, chaque salve respecte le tempo en laissant entendre chaque reprise du mouvement : cette intervention cadrée souligne celle de Kirill, à la fois précise et radicale, tout en gardant un énorme pouvoir percussif. En dehors du contexte immédiat relatif à son support filmique, The Drop est peut-être le morceau qui indique le mieux le fil directeur de la partition dans son ensemble.
John Powell a expliqué que l’ADN musical de The Bourne Identity devait être cloné pour sa suite, et l’on retrouve effectivement les composantes qui constituaient l’identité du premier film (cordes, percussions, électronique), mais cette fois ce sont les cordes qui domineront le reste du score : le thème originellement joué en ostinati y deviendra extrêmement important. Les mouvements de cordes des Main Titles du premier film font ainsi place à un autre mouvement plus ample et souple, l’instinct de Jason Bourne étant relayé par la réflexion. Quant aux percussions, même si elles paraissent se manifester subitement, elles viennent s’insérer au sein d’une musique aux rythmes déjà entendus dans des morceaux antérieurs et donc bien assimilés par l’auditeur : tout en gardant leur efficacité, elles dynamisent l’ensemble sans l’alourdir, leur variété n’ayant d’égal que leur complexité et leur complémentarité, relevant avec brio une sauce déjà bien montée.
Le tournant psychologique de ce second épisode se situe au moment de Funeral Pyre, qui voit le héros faire un deuil accéléré. Le morceau lui-même traduit la précipitation, ou plutôt l’instinct de survie de Jason Bourne prenant le dessus sur le chagrin. Le thème au piano déjà entendu dans Bourne On Land du précédent film se fait déchirant : non seulement Bourne perd sa compagne, mais il se voit obligé d’effacer les traces de son l’existence en brûlant ses papiers d’identité. Et alors qu’il est encore près du feu, les percussions anticipent déjà son intention de partir. C’est à partir de ce moment que le personnage accepte de se confronter à son destin.
Celui-ci est pour le moins sombre : la CIA, en la personne de Pamela Landy, est sur sa piste, et c’est Gathering Data qui lance la machine. Nach Deutschland fait ensuite écho à Bourne On Land en exposant le même thème avec la même orchestration et en contribuant au montage qui met en parallèle les trajets de Bourne et de Landy vers Berlin et le rendez-vous qui sera illustré par To The Roof. Sans être à proprement parler une musique d’action, ce morceau d’un peu plus de cinq minutes constitue une séquence musicale unique illustrant une filature sur plusieurs sites différents avec une énergie et une densité remarquables. A travers les multiples changements de rythme, de mélodies et d’instruments, Powell parvient à coller aux ellipses de la narration tout en relançant l’action à chaque nouvelle section. Alors que la partition ne doit absolument rien au hasard, que les mouvements sont parfaitement cadencés, que la programmation électronique est plus opportune que réellement dominante et que les percussions y trouvent naturellement leur place, le tout semble totalement intuitif, à l’image du héros.
Mais c’est à l’écoute de Berlin Foot Chase ou de la première partie de Alexander Platz / Abbotts Confesses qu’une évidence s’impose : John Powell conserve le parti pris réaliste de la franchise – le point de vue à hauteur d’homme et le refus du spectaculaire – mais y trouve une dynamique inédite en renouvelant sans cesse les différentes phrases musicales. Moscow Wind Up se montre tout aussi efficace en faisant se succéder les motifs de cordes, y introduisant momentanément le basson pour déboucher sur des percussions quand Kirill refait son apparition. Ces dernières s’intensifient quand les autorités se déploient et transforment le morceau : alors que celui-ci accompagnait Jason Bourne dans son trajet, cette intervention fait évoluer sa construction en même temps qu’elle la bouleverse.
Le compositeur cultive ainsi son goût pour les accélérations maîtrisées afin de décrire les retournements de situation. En termes d’accélération, c’est enfin Bim Bam Smash qui remporte la palme : le morceau porte bien son titre ! Il démarre sur les chapeaux de roues pour cinq minutes carrément hystériques dans lesquelles toutes les composantes de la partition se réunissent en un point d’orgue qui laisse littéralement sur les rotules, l’électronique, plus discrète mais tout aussi efficiente, monopolisant la première partie de ce morceau de bravoure en compagnie des percussions et de la guitare alors que les cordes se voient renforcées par des cuivres dans la deuxième partie.
Pour ce second opus, John Powell a donc brillamment revisité à la fois la thématique et le canevas sonore du film précédent, conservant à l’ensemble une cohérence admirable sans pour autant se répéter, et faisant évoluer l’identité musicale de la franchise vers de nouveaux horizons qui trouveront leur conclusion trois ans plus tard dans The Bourne Ultimatum (La Vengeance dans la Peau).