THE BLACK CAULDRON (1985)
TARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUE
Compositeur : Elmer Bernstein
Durée : 75:27 | 32 pistes
Éditeur : Intrada / Walt Disney Records
En 1985, J’ai vu The Black Cauldron presque en entier. Comme bien d’autres minots fidèles aux invitations des studios Disney, j’assistais, médusé et tremblant, au retour à la vie d’une armée de squelettes ricanants grimpant hors d’un chaudron magique à l’assaut du monde des vivants, dans la séquence la plus fameuse du vingt-cinquième long métrage de la firme à la souris. On m’évacuait rapidement à ma demande vers la sortie, sous les rugissements de la musique d’Elmer Bernstein, qui appuyait sadiquement le macabre de la scène sans aucune retenue. Autant dire que même les yeux fermés, il aurait fallu me trouver l’issue de secours.
A une époque ou grand divertissement hollywoodien rime à nouveau avec grand orchestre et approche symphonique, le compositeur est redevenu un fournisseur régulier des grands studios. Une décennie encadrée par Saturn 3 et Slipstream (Le Souffle du Futur) durant laquelle il illustre des productions de science-fiction lancées dans le sillage du triomphe de Star Wars et de la fantasy animée dont les producteurs n’ont pas encore trouvé la formule magique. La potion touillée par les réalisateurs dans ce chaudron noir est indiscutablement ratée, et sera bien amère à avaler pour ses commanditaires. Echec financier étant synonyme, chez Disney, de purgatoire artistique, The Black Caudron sombre dans l’enfer des archives du studio. Hormis un réenregistrement limité à une trentaine de minutes paru chez Varèse Sarabande en 1985, le score n’a jamais été disponible officiellement jusqu’à l’édition proposée aujourd’hui par Intrada dans le cadre de son accord avec Disney, qui comble un vide et répare une injustice.
Le score, ici étendu à une durée de soixante-quinze minutes, n’est pourtant pas un travail mineur. Si ce sont les pistes les plus tonitruantes illustrant les saillies horrifiques du film et dominées par le son omniprésent des ondes Martenot qui tatouent l’oreille, la partition, riche en thèmes, est d’une grande variété mélodique et dégage bien d’autres ambiances que celle, sinistre, qui accompagne le Horned King. Cavalcade crescendo rythmée par le piano et couronnée par le ululement des ondes Martenot, c’est du thème le plus massif que bénéficie le grand méchant du film. Il surgit dès que l’action se déplace dans le château maléfique que le Horned King, pas particulièrement volontaire dans ses plans de conquête du monde, ne quittera en fait jamais.
Taran, le héros, est accompagné par deux thèmes illustrant ses aspirations. Le premier apparaît dès le carton du titre, joué à la fin du prologue par des cuivres graves. Plus affirmé dès la seconde piste, Dalben And The Warrior, il devient presque une marche joyeuse, souvent jouée aux cuivres, évoquant irrésistiblement un héroïsme naïf… et faisant surgir des souvenirs de péplum ! Lorsque les rêves de chevalerie de Taran se concrétisent par la découverte d’une puissante épée magique, c’est une brève mélodie triomphante qui retentit chaque fois qu’il dégaine, comme au milieu de Escape. Le leitmotiv de l’épée est ensuite naturellement accolé à celui de Taran au début de Second Chase. Attentif au parcours initiatique du héros, Bernstein adapte donc soigneusement son thème à la transformation du garçon porcher en héroïque chevalier, même si finalement, ce n’est pas lui qui permettra la victoire sur les forces du mal.
C’est Gurgi, improbable succédané local et pelucheux de Golum, qui va défaire le pouvoir du seigneur ténébreux, ce qui explique peut-être pourquoi Bernstein dote la bestiole d’un thème finalement assez proche de celui de Taran, également confié aux cuivres quand il s’agit d’ennoblir la boule de poil, avec des orchestrations évoquant brièvement, et assez curieusement, les chevauchées du western. Autre personnage secondaire plus réussi, Creeper, l’âme damnée du Horned King, bénéficie aussi d’un bref thème : quatre notes, venant souvent aérer les passages consacrés à son ténébreux maître. L’occasion pour Bernstein d’écrire quelques jolis passages confiés à une poignée de bois soutenus par un piano et quelques violons, comme dans les dernières mesures de Second Chase ou dans Rats And Tombs. La main de Bernstein sait donc se faire légère : la princesse Elonwy inspire au compositeur une jolie mélodie, principalement dévolue aux ondes Martenot. Le son si particulier de l’instrument est aussi mis à profit pour illustrer les visions provoquées par le cochon Hen Wen, dans des boucles mélodiques répétitives auxquelles les harpes font écho, typiques des musiques associées aux personnages pris de vertiges ou prisonniers d’une hypnose.
Si les thèmes des personnages principaux font l’objet de nombreuses variations tout au long du score – des variations, pas des répétitions – les étapes de leur quête sont l’occasion pour le compositeur d’inventer des petites vignettes musicales évocatrices : les rafales de notes sautillantes des ondes Martenot imitant l’orgue, au début de Rats And Tombs, la danse dominée par les cordes pincées de Belly Good, lorsque les sbires du Horned King festoient et celle, plus classique et très pastorale, de Fairfolk. Un tango s’invite même dans Morva pour accompagner la plus entreprenante des trois sorcières du marais lorsqu’elle fait du gringue au vieux barde Fflewddur Fflam. Ces passages, parfois très brefs, n’en demeurent pas moins des petites perles témoignant du savoir-faire de Bernstein, qui parvient toujours à écrire une musique épousant l’action sans tomber dans les travers du mickey mousing.
La virtuosité du compositeur trahit néanmoins le point faible du score. La profusion du contenu thématique et la rapidité avec laquelle on passe d’un climat à l’autre ne permettent pas vraiment de s’installer dans une atmosphère ni de générer l’émotion. La faute en incombe peut-être moins au compositeur qu’aux producteurs du film, qui ont livré un produit bref et bancal, plus esquissé que vraiment abouti et dont l’enchaînement mécanique de courtes séquences n’émeut jamais. Pleine comme un œuf – il y a un peu plus de musique sur le disque que dans le film – l’édition tardive du score de The Black Cauldron est un témoignage flamboyant d’une idée de la musique de film chérie par la plupart des amateurs: traitement thématique riche, orchestrations recherchées, écriture symphonique classique, rehaussée ici par la présence des ondes Martenot, qui passionnent Bernstein à l’époque et auxquelles il trouvera une variété d’usages unique dans sa filmographie.
Le livret du disque nous montre l’artiste au travail durant les sessions d’enregistrement. Différentes images tirées du film constituent le gros de l’iconographie et des liner notes signées Jeff Bond survolent la genèse du score. On pourra regretter le manque d’homogénéité graphique de cette belle collection Disney/Intrada, mais l’habillage de ce volume, s’il est minimal, est réussi. Avec ses thèmes mémorables et soigneusement déclinés, le score, accompagnant idéalement l’action à l’écran, supporte aussi parfaitement l’écoute isolée. La musique fait surgir toutes les images promises par le film, bien souvent plus efficacement que les animateurs et peintres y ayant collaboré. Moins essentiel que Heavy Metal (Métal Hurlant), The Black Cauldron s’impose tout de même aux côtés de quelques autres comme une des belles réussites de la fantasy des années 80. Un de ces scores qui nous rappelle qu’écouter de la musique de film, c’est aussi se faire raconter une histoire.