SPACE ADVENTURE COBRA (1982)
COBRA
Compositeur : Kentaro Haneda
Durée : 141:42 | 65 pistes
Éditeur : Columbia Music Entertainment
Aventurier intrépide et trompe-la-mort, incorrigible épicurien raffolant de la bonne chère, mâchouillant son éternel cigare et courtisant les plus plantureuses créatures, tout sourire et gouailleur face au danger : tel est Cobra, l’un des plus charismatiques héros de la bande dessinée japonaise, grâce auquel son géniteur Buichi Terasawa souhaitait rendre un hommage ému à l’une de ses idoles… notre Jean-Paul Belmondo national ! On aurait toutefois grand tort de suspecter le mangaka de ne s’être accordé qu’une récréation purement égocentrique, puisqu’il est parvenu à bâtir autour de son Bébel en collants rouges un superbe décor de space opera, empruntant à la série noire comme au western avec une roborative absence de complexe. Autant d’éléments disparates qui, lors de la mise en chantier de l’inévitable adaptation animée, promettaient un challenge aussi ardu que passionnant au compositeur qui tenterait de jeter un pont musical entre chacun d’eux. Mais du panache, du style et de l’invention, le regretté Kentaro Haneda en avait à revendre.
Avec la complicité de son ami et confrère Yuji Ohno et de la chanteuse Yoko Maeno, dont la voix sonore saute sans coup férir du japonais à l’anglais, Haneda a offert à Space Adventure Cobra deux chansons qui dévoilent tant les rouages instrumentaux de la partition que l’essence du personnage de Cobra. A l’image de ce dernier, qui évolue tout à son aise dans un univers où il fait pourtant souvent figure d’anachronisme (son code de l’honneur et son goût pour les armes « à l’ancienne » sont depuis longtemps tombés en désuétude), la musique n’hésite pas à flanquer son déploiement de cordes, de cuivres et de percussions de fréquentes envolées jazzy, à priori incongrues en plein cœur d’une science fiction explosive. Le procédé n’avait cependant rien de novateur à l’époque, comme en témoigne, pour ne citer qu’un exemple fameux, le score dynamique et disco du Yuji Ohno sus-cité pour un autre fleuron de l’animation high tech, Captain Future (Capitaine Flam), écrit quelques années auparavant. Mais si ce melting pot n’est pas aussi audacieux qu’il n’y paraît, sa cohérence, elle, s’impose dès les premières mesures de ce que l’on pourrait appeler l’hymne de Cobra. Dans sa version chantée avec entrain par Maeno (titrée en toute simplicité Cobra) comme dans son pendant orchestral (The Psychogun), ce thème tonitruant est propulsé par un saxophone endiablé qui reflète à merveille les périls que doit affronter le héros aussi bien que la décontraction goguenarde avec laquelle il leur fait face. Tout spectaculaire soit-il, ce leitmotiv sait néanmoins adopter un ton plus caressant, à l’occasion d’un Event d’où se détachent une guitare et une flûte presque mélancoliques ou bien encore dans l’excellent Smoke Of A Cigar, qui voit le saxophone se nuancer d’une touche intimiste et languide.
C’est justement la nonchalance inhérente à Cobra que l’autre chanson phare de la partition, Secret Desire, se fait fort de mettre en exergue. En usant d’ingrédients semblables à ceux du survolté Cobra, ce titre fait lentement dériver l’auditeur conquis vers des horizons plus voluptueux, où tout n’est que farniente et torpeur rêveuse. Outre une version orchestrale de toute beauté, la chanson se décline sous des formes invariablement séduisantes, ici des cordes superbement désinvoltes faisant du gringue à l’easy listening, là une trompette et une clarinette qui, d’abord à tour de rôle puis dans une éclatante réunion, impriment Kyutomoto No Saikai de leur délicieux cachet rétro. Twilight Memory, pour sa part, prend quelques libertés avec la structure générale du thème, n’en conservant que les premiers accords ici interprétés par des cuivres nostalgiques avant que le saxophone, véritable pilier instrumental de Space Adventure Cobra, n’offre au morceau d’ébouriffants développements.
Le saxophone, puisqu’il en est question, se taille encore nettement la part du lion lors des multiples séquences d’action qui émaillent le score. Par sa seule présence, il impose une cadence frénétique, décide de changements de rythme souvent impromptus ou bien tempère la fougue de féroces charges orchestrales. Ainsi, dans Mirage, il tonitrue à la tête de puissantes salves de cuivres et de brefs glissandi de cordes avant de leur faire prendre en un clin d’œil un tour plus élégant et satiné, sans que ce mouvement ne laisse le fâcheux sentiment d’une transition trop artificielle. Une batterie trépidante et un tempo convulsif sont les atouts majeurs d’Heiwa E No Datsushutsu, mais s’il n’intervient que de façon sporadique, le saxophone réussit sans mal à dicter sa loi, en l’occurrence une cool attitude chaleureuse que n’auraient sans doute pas désavouée John Coltrane ou Sonny Rollins. Il arrive pourtant à l’omnipotent instrument de s’effacer, ce que Kentaro Haneda met aussitôt à profit pour instaurer une rythmique plus funky dans Seesaw Game ou pour faire crépiter la guitare électrique de Rush Hour. Soulagé de toute obligation thématique, ne se préoccupant à aucun moment de glisser çà ou là un motif récurrent, le compositeur aborde chaque nouveau débordement d’action avec un esprit totalement libre, comme s’il voulait faire sienne la philosophie hédoniste d’un Cobra dont la règle d’or est de justement n’en respecter aucune.
Il ne faudrait pas pour autant déduire de cette joyeuse anarchie musicale que le héros de Buichi Terasawa n’est qu’un arlequin gesticulant, tout juste bon à amuser la galerie. Au cours des incessantes escarmouches l’opposant aux pirates de l’espace, bon nombre de ses compagnons d’aventure et des sculpturales naïades qui ont eu le malheur de lui succomber finissent, en dépit de ses efforts pour les protéger, par trouver une mort brutale. Ce sont souvent ces moments dramatiques entre tous que la musique choisit pour basculer dans une vive affliction, dont le poignant Memoire, avec la solennelle tristesse de sa guitare électrique, s’érige en magnifique porte-étendard. Plusieurs autres passages, Yori Soiau Tamashii en premier lieu, se révèlent entièrement interprétés par des cordes au lyrisme lancinant, même si, de loin en loin, un instrument soliste s’invite sur le devant de la scène, tel le hautbois tragique de Kanashimi To Ketsui To ou bien encore le décidément incontournable saxophone qui, dans le bien nommé Amai Dekigoto (Saxophone Melodrama Orchestra), renonce à son habituel caractère folâtre pour exprimer par touches subtiles une profonde amertume, doucement teintée de romantisme.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, Cobra est d’abord un homme d’action, guère du genre à céder à l’abattement. Son proverbial sens de l’humour échouant généralement à tirer un sourire aux redoutables adversaires avec lesquels il a maille à partir, il n’hésite alors pas à dégainer son fameux psychogun (ou rayon delta, pour les nostalgiques du truculent doublage français) et, par la même occasion, une kyrielle de plages de suspense, tour à tour insolites (Meiji et son cortège de sonorités étranges, presque morriconiennes), énergiques (les cordes tranchantes de Cosmic Dust, la clarinette de Seigi No Kodo enflant dans les aigus) et glaciales (Aku No Kuwadate et son jumeau Takurami, tous deux bardés de textures métalliques). Au milieu de ces pistes hétéroclites, l’oreille de tout afficionado digne de ce nom de la série animée ne pourra manquer de se dresser à l’écoute de Shi No Koshin, alias La Marche Funèbre, sans conteste la pièce la plus populaire de Space Adventure Cobra, qui fait rouler ses cuivres en une formidable scansion. Employé jusqu’à plus soif au fil des 31 épisodes qui composent le show, ce retentissant morceau de bravoure, plus encore que la fantaisie jazzy ou l’action débridée, a fini par symboliser à lui seul le statut iconique de Cobra, héros invincible et sans merci, se dressant seul face à des hordes d’assaillants. Ce n’est pas là la moindre des victoires de Kentaro Haneda, dont l’inspiration pétulante aura trouvé dans la magnétique création de Terasawa le terreau idéal pour magnifiquement fleurir.