Daybreakers (Christopher Gordon)

Mes Nuits sont plus Belles que vos Jours

Disques • Publié le 06/04/2010 par

DaybreakersDAYBREAKERS (2009)
DAYBREAKERS
Compositeur :
Christopher Gordon
Durée : 69:56 | 16 pistes
Éditeur : Silva Screen Records

 

5 out of 5 stars

Son nom a beau ne pas être surexposé en permanence sur nos écrans comme d’autres peuvent l’être par ailleurs, Christopher Gordon fait néanmoins partie de ces compositeurs dont on guette chaque nouvel engagement avec le plus grand intérêt. Pour le comprendre, encore faut-il avoir à l’esprit les partitions qui ont fait sa réputation. On ne saurait donc trop conseiller aux néophytes de se pencher sur la carrière de cet artiste australien, révélé en 1998 grâce à son exemplaire travail pour l’adaptation télévisuelle de Moby Dick dirigée par Franc Roddam, sans doute l’une des plus belles musiques d’aventure maritime qui soit. Il est en outre l’auteur des non moins excellentes partitions pour des téléfilms tels que On The Beach (USS Charleston) ou When Good Ghouls Go Bad, pour un trépidant court-métrage d’animation intitulé Ward 13 et a en son temps embarqué aux côtés d’Iva Davies et de Richard Tognetti dans la vaste entreprise de Master And Commander: The Far Side Of The World (Master And Commander : de l’Autre Côté du Monde). On lui doit également un certain nombre d’œuvres de concert, parfois évènementielles comme l’exaltant accompagnement qu’il signe en 2006 pour les cérémonies et feux d’artifice des Jeux du Commonwealth à Melbourne (il fut auparavant en charge des musiques de la Coupe du Monde de Rugby à Sydney en 2003).

 

Avec Daybreakers, le compositeur retrouve le mythe du vampire qu’il a déjà eu l’occasion d’explorer, mais d’une toute autre manière, pour le téléfilm Salem’s Lot (Salem). S’il s’agissait de doter plutôt celui-ci d’accents ancestraux, Gordon se doit ici d’assumer pleinement non pas tant le contexte d’un futur proche (nous sommes en 2019) que la modernité du propos, celle d’une société consumériste à la dérive, littéralement déshumanisée. S’appuyant sur les sonorités profondes d’un orchestre sensiblement étendu pour ce qui est des instruments de bas registres, où on cherchera souvent en vain l’éclat des trompettes et la luminosité des violons, le compositeur s’emploie d’abord à tisser, notamment pour le premier tiers du film, un canevas de lignes mélodiques sinueuses portées pour l’essentiel par un ensemble de cordes maladives. De ce matériau de base, qui par certains aspects n’est pas sans rappeler le travail d’Howard Shore, Gordon tire une atmosphère clinique et tourmentée que l’émergence de chœurs fantomatiques, s’imposant bientôt en crescendos saisissants, rend même malsaine par instant.

 

Ethan Hawke et Willem Dafoe dans Daybreakers

 

Mais bientôt le compositeur agite l’obscurité de ses textures pour faire entendre, en même temps que se dévoilent et progressent les enjeux du récit, une plus grande diversité de climats : si la résurgence mélodique d’un hautbois ou d’un violoncelle soliste teinte parfois l’ensemble d’une étrange mélancolie ou que quelques effets électroniques distillent ici ou là une aura discrètement fantastique, les cordes finissent très vite par se crisper, fébriles, sur leurs intervalles et tandis qu’une pulsation inquiète invite à la fuite, des cuivres saillants et acerbes viennent déchirer l’espace sonore avant que de féroces percussions ne le martèlent furieusement, rappelant brutalement l’urgence d’une circonstance face à une menace imminente. S’agencent ainsi les divers éléments constituant un discours musical au demeurant parfaitement fluide et cohérent qui réserve son lot d’élans orchestraux et de longs segments d’une belle intensité architecturale : il faut entendre avec quel sens magistral de la progression Gordon entremêle au plus fort du métrage ses différentes particularisations musicales, même les plus attendues (la force militaire et ses percussions, l’irruption du soleil qui sonne très logiquement le retour de la brillance des violons…), lors d’une scène clef où la « cure » censée rendre aux vampires leur nature humaine est testée dans des conditions plus que précaires.

 

Le savoir-faire du compositeur en matière d’orchestration fait lui sans cesse des merveilles : sur ce point, le travail pointu qu’il offre ici fait la différence par rapport aux efforts de nombre de ses collègues pour une production de ce genre, d’autant qu’il n’est pas sans accompagner cet atout d’une écriture au diapason qui, en trouvant entre fragments mélodiques et éléments atonaux un équilibre rare, rend la mise en œuvre des moyens instrumentaux particulièrement percutante.

 

Christopher Gordon signe donc pour Daybreakers une partition narrative fascinante et ambitieuse comme on aimerait s’en délecter plus souvent, et dont on peut seulement regretter qu’elle soit à l’écran servie de manière si inconstante : la faute à un mixage quelque peu bancal qui, s’il s’avère fort heureusement suffisamment adroit pour assurer dans un premier temps l’immersion dans l’environnement physique totalement crédible créé pour l’occasion, va par la suite par trop exacerber certaines séquences musicales dont la charge dynamique (les actions percussives) ou dramatique (le très approprié adagio funèbre en forme de marche au supplice) est la plus marquée, au détriment de passages certes plus difficiles à appréhender car plus feutrés mais néanmoins tout aussi déterminants à la cohésion de l’ensemble. Raison de plus pour apprécier et appréhender pleinement cette musique par le disque édité chez Lionsgate Records qui, en plus de présenter certains aspects finalement non retenus au montage final (Gordon retournera d’ailleurs une deuxième fois en session d’enregistrement afin d’affiner son approche), bénéficie surtout d’une prise de son d’une grande clarté en toutes circonstances (ce relief dans les cordes, ces timbales, ces cuivres !) et ce malgré la densité sonore affirmée de certaines plages. Avec les qualités qui sont les siennes, nul doute que la partition de Daybreakers s’inscrit d’ores et déjà au tableau des très grandes réussites de l’année 2010.

 

Daybreakers

Florent Groult
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