L’odyssée de l’espèce selon Frédéric Talgorn
Interviews • Publié le 13/07/2009 par

 

Après leurs frasques télévisuelles, il fallait bien que les Robins des Bois passent un jour ou l’autre au grand écran. Ils ont donc imaginé un univers à la fois cruel et bariolé, et c’est Alain Chabat qui a accepté la mission de le mettre en images. La participation de l’ex-Nul pouvait supposer celle de son complice Philippe Chany, mais c’est finalement Frédéric Talgorn qui a mis en musique cette aventure comique. L’auteur des Enfants de Timpelbach s’est joué du ridicule en injectant une dose de sérieux, ce qui permet à sa musique de pouvoir sortir joyeusement du contexte tout en gardant sa crédibilité. La cohésion est de mise, tant dans la thématique que dans l’instrumentation, et l’esprit décalé du film a profité au compositeur : il a pu choisir des directions variées et, entre clins d’œil et ambiances soignées en passant par l’étude de caractère, livrer en fin de compte une musique à la fois généreuse et perspicace pour une comédie rugueuse, épaisse et policière. Entretien avec un homme plein d’humilité, de bon sens musical mais aussi d’humour, la preuve vivante que l’on peut faire RRRrrrr  !!! sans pour autant être une brute.

 

Comment avez-vous été amené à travailler sur RRRrrrr !!! ?

J’ai été contacté par Alain Chabat qui, je crois, avait apprécié mon travail sur Laisse tes Mains sur mes Hanches de Chantal Lauby.

 

A quel moment de la production avez-vous commencé à travailler ?

Je suis arrivé sur le projet à un mois à peu près du montage final. Je n’ai vu alors que quelques scènes et me mis immédiatement à chercher des idées. Une fois que le montage a été prêt, je n’ai eu que deux semaines et demie pour écrire et orchestrer les cinquante-cinq minutes de la partition.

 

Avez-vous enregistré avec le Philharmonia Orchestra de Londres avec lequel vous travaillez souvent ?

J’ai eu en effet le grand plaisir de travailler à nouveau avec ces superbes musiciens. Pour ce film, j’ai utilisé entre soixante et quatre-vingt-cinq d’entre eux.

 

De quelle manière avez-vous collaboré avec Alain Chabat ?

Je dois dire que c’est un réel plaisir de travailler avec quelqu’un comme lui. Il est très clair sur ses desiderata et, une fois que les atmosphères et les grands axes du discours musical furent décidés, il me laissa carte blanche pour la réalisation de ceux-ci. Alain Chabat a un don pour lequel j’ai un immense respect : celui de la confiance.

 

Il a l’habitude de travailler avec Philippe Chany. Connaissait-il votre identité musicale et que demandait-il de vous ?

Je ne sais pas exactement ce qu’il connaissait de moi, mis à part le film de Chantal Lauby. Il était clair qu’il voulait une musique pleine d’émotion, spectaculaire, qui suive l’image, mais qui laisse la place à l’humour.

 

Si vous aviez eu un rôle dans le film, auriez-vous joué un «cheveux propres» ou un «cheveux sales» ?

Vous allez être surpris, mais lorsqu’Alain Chabat et moi nous sommes rencontrés pour la première fois – c’était en Bretagne, au Cap Hilaire – il me proposa le rôle d’un personnage qui ne fut malheureusement pas utilisé au montage final : celui d’un abbé préhistorique, le père Hucques.

 

Vous vous étiez amusé en travaillant sur Laisse tes Mains sur mes Hanches. Vous êtes-vous autant amusé avec Alain Chabat et les Robins des Bois ?

Laisse tes Mains sur mes Hanches était un film drôle, mais surtout très tendre, aux situations humaines touchantes. L’univers de RRRrrrr !!! est totalement absurde, avec un parti pris résolument comique, ironique et délirant. Je me souviens de fous rires grandioses à l’écriture de certaines scènes, chose qui ne m’était pas encore arrivée sur mes autres films.

 

En tant que compositeur classique, que pensez-vous de la comédie en général en terme de support filmique ?

Georges Delerue m’avait dit un jour qu’écrire pour une comédie était un exercice d’une immense difficulté et un casse-tête parfois désespérant, car la plus petite nuance émotionnelle en plus ou en moins pouvait faire basculer ou même s’effondrer tout l’édifice, que tout était affaire de dosage précis et que l’on s’épuisait nerveusement à constamment marcher sur des œufs. Après RRRrrrr !!!, je sais combien il avait raison.

 

 

La comédie ne laisse généralement qu’assez peu de place à la musique narrative. Quelle place vous a-t-on accordée pour la musique de RRRrrr !!! ?

Chaque film comporte ses propres exigences musicales, et c’est le film lui-même qui accorde à la musique la place nécessaire. Au-delà de cette formulation quelque peu théorique, je dois dire que j’ai joui d’une assez grande liberté dans les placements musicaux, tout au moins jusqu’au mixage final du film. À ce moment-là, lorsque tous les éléments du film sont mis ensemble et que le metteur en scène voit quelle forme définitive prend son film, il décide ou non de conserver telle ou telle musique suivant ce qu’il juge alors être nécessaire. C’est pour cela que le CD de RRRrrrr !!! comporte quelques musiques qui ne sont plus dans le film.

 

Avez-vous surenchéri l’humour en musique?

L’outrance intrinsèque du film ne me laissait d’autre choix que de rester, la plupart du temps, musicalement sérieux. Pour moi, la solution était la suivante : que l’auditeur sente que l’humour est présent dans l’esprit créateur du compositeur, mais que la musique en soi ne soit pas drôle, mais suive sérieusement le discours du film. J’espère y être arrivé.

 

Avez-vous installé une ambiance musicale particulière pour les deux tribus ?

Au départ, je souhaitais attribuer aux deux tribus leurs instruments respectifs. Au fil de l’écriture, cette idée s’est finalement abandonnée d’elle-même, exception faite des temple blocks et du piccolo dans sa tessiture grave, qui sont restés la marque des cheveux sales. Les deux tribus se distinguent généralement plutôt harmoniquement qu’instrumentalement.

 

Y a-t-il des instruments insolites comme des percussions que vous avez abordés en travaillant sur ce film préhistorique ?

Alain Chabat tenait à un emploi généreux du marimba et des pizzicati, ce qui correspondait d’ailleurs à quelques-unes de mes propres idées, et j’ai utilisé un marimba gigantesque dont les notes les plus graves ont une résonance d’une profondeur remarquable. J’ai aussi beaucoup travaillé sur des effets inhabituels de bois et des mélanges de tessitures «ingrates» de certains instruments, et ce afin d’obtenir des couleurs personnelles pour l’univers musical de RRRrrrr !!!.

 

La scène de poursuite du «crimier» dans les marécages est-elle référentielle  ? La mise en scène et la musique font penser au duo Spielberg / Williams…

La seule musique volontairement référentielle est celle du premier crime, dont une partie est un pastiche très exagéré du fameux effet de Psycho (Psychose) de Bernard Herrmann (il est possible d’écouter sur le CD la version intégrale de cette musique dont seulement le début fut finalement utilisé dans le film). Concernant la scène de la poursuite du «crimier» dans les marécages, il s’agit en fait d’une variation développée du motif que j’ai écrit pour le chef des «cheveux propres» lorsqu’il est déguisé en poussin dans la scène précédente.

 

Quels sont vos projets en musique de films et en musique de concert ?

Pour le cinéma, il y a une comédie, ainsi que d’autres projets en vue. Pour le concert, je dois écrire une pièce pour bois à la demande de la Royal Academy Of London, et je travaille sur la révision du Concerto pour Trompette que j’ai écrit pour Thierry Caens (un trompettiste français également compositeur et arrangeur) et qu’il va enregistrer cette année. Il est aussi question que j’écrive une œuvre pour alto et orchestre.

 

 

A lire : la chronique du disque

 


Entretien réalisé en 2003 par Sébastien Faelens

Transcription : Sébastien Faelens

Photographie : © Tia Linke

Remerciements particuliers à Aurélie Gautier (Universal Music), Marie Sabbah (Diesis Musis) et Frédéric Talgorn pour sa disponibilité

Sébastien Faelens