The Hobbit: An Unexpected Journey (Stephen Gallagher)

Dans l'antre du Roi de la montagne

Décryptages Express • Publié le 17/10/2016 par

THE HOBBIT: AN UNEXPECTED JOURNEY (2012)The Hobbit: An Unexpected Journey - Special Edition
Réalisateur : Peter Jackson
Compositeurs : Howard Shore / Stephen Gallagher
Séquence décryptée : The Great Goblin (2:03:59 – 2:06:07)
Éditeur : Decca Records

 

« Y’en a un peu plus, j’vous le mets quand même ? » Peter Jackson, eut-il été boucher, aurait sans nul doute ponctué la moindre pesée de l’équivalent kiwi de cet adage universel de la profession. Comme il est cinéaste, ce sont de bonnes poignées de scènes qu’il nous refile en douce à l’occasion des gargantuesques éditions vidéo de ses films adaptés de Tolkien. Une générosité sincère, à l’image d’un artiste à l’appétit de cinéma rabelaisien, qui aime tout et semble n’en avoir jamais assez sous les yeux. Avec ses débauches de couleurs, sa mise en scène acrobatique, son baroque décoratif et son délire chorégraphique, la comédie musicale de l’âge d’or a du exciter très tôt les papilles du jeune Jackson. Référence fondamentale de sa mise en scène dont la musicalité est constante, et fait d’ailleurs du néo-zélandais l’un des très rares cinéastes anglophones à partager l’obsession chorégraphique des réalisateurs hong-kongais. Au point d’embarquer Marty McFly au coeur d’une authentique « ghost kung-fu comedy », The Frighteners (Fantômes contre Fantômes), ou d’aller chercher les feintes acrobatiques et les gags slapsticks ponctuant les combats des nains et donnant leur identité aux différents combattants chez Jackie Chan, Sammo Hung ou Liu Chia Liang.

 

Mais c’est à Busby Berkeley, Stanley Donen ou Vincente Minnelli qu’il emprunte ses mouvements de caméras aériens et son découpage directement liés à la scénographie des décors. Un cinéma élégant et raffiné impossible à associer à l’incurable goût de l’irrécupérable Jackson pour l’irrévérence, et le bad taste donnant son titre à son premier film frondeur ? Pas pour le cinéaste, auquel le mariage des contraires n’a jamais semblé problématique. Tourner avec un budget famélique, au fin fond d’un hangar frigorifié de la banlieue de Wellington n’empêche pas Jackson de refaire son Singin’ In The Rain (Chantons sous la Pluie), ou plutôt son Muppet Show, puisque ses vedettes sont des marionnettes, et de fabriquer Meet The Feebles comme un musical dans les règles de l’art. Tout juste légèrement déviant et provocateur, ne nous épargnant rien des frasques sexuelles ou des dérives toxicomanes d’animaux anthropomorphes que nous avons l’habitude de voir bien plus innocents et qui sont ici pris la main dans le sac dans les coulisses de leur émission.

 

The Great Goblin

 

C’est le souvenir de ce film fou, unique et inégalé que Jackson invite dans la version longue de The Hobbit: An Unexpected Journey en nous servant en rab l’improbable improvisation du Roi des gobelins. Confiée à Stephen Gallagher, monteur musique à qui l’on doit déjà la chanson entonnée par les nains débarrassant la table de Bilbo, elle est l’occasion pour le cinéaste de montrer que tout en tenant de front tous les chantiers, souvent pharaoniques, nécessaire à la concrétisation de ces films démesurés, il est aussi toujours capable de ménager un coin d’atelier où, avec trois bouts de ficelle, ses collaborateurs – sinon lui – peuvent encore travailler comme à l’époque de Braindead ou Bad Taste.

 

C’est donc avec une toute petite équipe, des tuyaux embouchés de ballons, et une batterie de percussions empruntées à la cuisine de la production que Gallagher a donné forme, dans la bonne humeur et en rameutant toutes les bonnes volontés (le chorégraphe principal vient même faire un bœuf sur des casseroles !), au grotesque numéro du Roi. Une façon pour un Jackson au sommet de l’industrie de se donner bonne conscience ? Le penser serait oublier un peu vite que tous les choix, chez ce réalisateur faussement désinvolte, servent toujours son projet narratif. Insistant pour que les instruments utilisés pour interpréter la chanson puissent être trouvés dans les caves de Gobelinville, le cinéaste oriente son compositeur – croquis du département de direction artistique à l’appui – vers des assemblages d’objets que les monstres pourraient avoir récupéré au gré de leurs rapines sur les infortunés voyageurs égarés dans les Monts Brumeux. Il est donc essentiel pour le réalisateur que les gobelins puissent être les authentiques interprètes de la chanson. Plus qu’un caprice et qu’une convention esthétique, la séquence donne donc une dimension inattendue à ces monstres : cruels, répugnants, ils n’en demeurent pas moins dotés d’un sens artistique et d’un authentique besoin d’expression. Autrement dit, pour Jackson, cinéaste amoureux des monstres, ceux-ci, même les pires, ont une âme. Ce qui ne les empêche pas de chanter abominablement faux.

 

Pierre Braillon
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