Entretien avec Vincent Cahay

Le compositeur évoque son travail sur les films de Fabrice Du Welz

Interviews • Publié le 22/10/2015 par

Le compositeur Vincent Cahay est belge, tout comme Fabrice Du Welz, réalisateur avec lequel il a collaboré sur Calvaire et Alleluia, les deux premiers films d’une très probable trilogie. Si Calvaire est une œuvre mêlant l’influence majeure de Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper à une vision très personnelle, Alleluia s’inspire quant à lui du film Les Tueurs de la Lune de Miel de Leonard Kastle, et même davantage du fait divers originel, le couple de tueurs en série Raymond Fernandez et Martha Beck, lui aussi traité sous un angle singulier. Les deux films se rejoignent sur la relation/confrontation de personnages atypiques, où se mêlent l’amour, la haine et la folie au cœur de paysages belges. Deux réussites auxquelles a participé Vincent Cahay, qui a accepté de nous en parler.

 

Calvaire fut ton premier long-métrage en tant que compositeur. Quel est ton parcours musical ?

J’ai suivi des cours de batterie quand j’étais ado. Peu après je me suis retrouvé batteur dans un groupe punk, j’y ai appris la vitesse. Ensuite j’ai découvert le piano. Seul chez moi, pendant des heures, j’utilisais le piano comme instrument de percussion, je cherchais ce qu’on pouvait en tirer. A 17 ans, j’ai suivi une formation d’acteur au conservatoire de Liège. Après avoir joué dans plusieurs pièces en tant qu’acteur, j’ai finalement fait de plus en plus de musiques de spectacles, pour finir par ne plus faire que ça. Mon métier d’acteur m’a beaucoup aidé pour la musique. J’aime aborder une musique comme un personnage, avec sa respiration, ses contradictions, ses émotions…

 

Comment est née ta collaboration avec le réalisateur Fabrice Du Welz ?

On se connaît depuis longtemps maintenant. Nous étions au conservatoire de Liège ensemble. Jean-Luc Couchard était de la partie aussi. Nous avons expérimenté pas mal de chose durant cette période, notamment un film que Fabrice avait écrit. C’était maladroit, bien sûr, mais plein d’enthousiasme. C’est donc assez naturellement qu’il m’a proposé la musique de Calvaire, quelques années plus tard.

 

Calvaire

 

Calvaire ne comporte aucune musique en dehors de celle de la scène du bar que tu as composée et dans laquelle tu joues. Le fait d’avoir à composer l’unique morceau du film était-il particulier ?

Oui, on a fait d’autres essais pour d’autres scènes, mais ça ne marchait pas. Le thème du bar est repris à la tout fin du film, au violon, c’est tout. Dans le film, il y a aussi une reprise de Marc Aryan. Nous avions fait une version instrumentale des Melons, mais c’est finalement Amène ta semaine qui a été choisi pour le show de Marc Stevens.

 

Tu y interprètes ce pianiste un peu fou et complètement en transe. C’était une première pour toi ?

Effectivement, une première pour moi, même si, comme je le disais, je suis acteur, donc ce n’était pas non plus l’inconnu. La scène du bar était le dernier jour de tournage, et l’ambiance sur le plateau était tout à fait unique, tous ces barbus qui dansaient dans ce lieu improbable, ce fut un moment magique, terrifiant, très drôle et inoubliable.

 

Le thème au piano instaure à lui seul l’ambiance et le rythme de la scène, et m’a fait penser à un John Carpenter qui aurait troqué son synthé pour un piano. Comment as-tu abordé ce morceau ?

Fabrice m’a fait voir la scène de danse dans Un Soir, un Train d’André Delvaux. C’est la seule référence que j’avais. Pour faire danser les villageois, j’ai fait le choix d’une valse qui se construit petit à petit et qui part en vrille au fur et à mesure. Pour l’anecdote, je me souviens m’être rendu dans un hôtel au Luxembourg pour répéter la musique avec Fabrice. Dans le salon-restaurant de l’hôtel, je me suis mis au piano, et j’ai joué le morceau. Nous étions en train de travailler sur la progression de la musique, et on pouvait entendre de vieux clients mécontents dirent : « Ce n’est pas de la musique !!! » Quelle joie, la musique provoquait déjà quelque chose !

 

Alleluia

 

Dix ans plus tard, tu reviens aux côtés de Fabrice Du Welz pour Alleluia. Cette fois, la musique est plus présente. J’imagine que le défi était plus important que sur Calvaire ?

Oui, bien sûr, rien à voir. Il y avait beaucoup plus de composition, plusieurs thèmes à trouver, différentes variations, des chansons… Il y avait une vraie place pour la musique, c’était très excitant. Cette histoire d’amour et ses personnages m’ont bien inspirés. Tout était pratiquement trouvé avant le tournage.

 

Le passage chanté par Lola Duenas dans Alleluia est tout de même osé, car éloigné du ton général du film. Le but était-il de créer un décalage soudain par la musique ?

Oui, tout a fait. Comme une mise en abyme, quelque chose de théâtral : le personnage regarde le spectateur et se met à chanter face à lui, pour lui. Très poétique, j’aime beaucoup ce moment.

 

Le piano est l’instrument que l’on retrouve le plus dans tes compositions au sein des deux films. C’est aussi celui que tu affectionnes le plus ?

Oui. Je peux passer beaucoup de temps devant un piano. Au début d’un travail, je cherche toujours les mélodies au piano. Même esthétiquement, j’aime le piano avec ses notes blanches et noires, cela me rappelle le jeu d’échec. J’aime aussi ouvrir les pianos, taper les cordes avec des baguettes ou autre. J’adore l’idée du piano préparé.

 

Le morceau Le Feu se démarque totalement. Superposé aux images, il dépeint une véritable frénésie et fais surgir des relents tribaux en accord avec l’étrange rituel à l’écran…

Ce moment commence avec de l’humour, quand le personnage évoque les éléments, mais très vite il fallait faire monter la température et aller jusqu’au bout dans la transe, en faire un vrai moment. J’ai enregistré beaucoup de percussions de tous genres, j’ai tapé sur des boites, des arrosoirs, des tambours de toutes sortes, j’ai chanté aussi beaucoup. J’ai enregisté toutes les voix d’une chorale imaginaire. Il y a beaucoup de choses qui sont loin dans le mix, et qui donnent cette masse sonore.

 

Alleluia

 

Tes sources d’inspiration semblent davantage liées à la musique d’une manière générale qu’à des compositions purement cinématographiques, de la même manière que Fabrice Du Welz se refuse à enfermer ses films dans un genre en particulier…

Effectivement, mes goûts musicaux sont extrêmement divers, j’ai autant de plaisir à enregistrer des mouches et les mixer avec du vent que d’écrire une pièce pour piano et flûte. Tu parlais de Carpenter, j’aime beaucoup, mais j’aime aussi écouter du hip hop indépendant, tout comme des pièces classiques, des musiques ethniques ou des disques de field recording.

 

Fabrice Du Welz a annoncé qu’il souhaitait construire une trilogie autour du personnage interprété par Laurent Lucas. Après Calvaire et Alleluia, il y a donc de fortes chances de retrouver les Ardennes belges à l’écran. Tu seras de nouveau de la partie pour conclure cette trilogie ?

Ah, j’espère bien, il y a encore tellement de beaux coins à découvrir dans nos Ardennes !

 

Interview Vincent Cahay Photo 04

 

Entretien réalisé par Nicolas Milin.

Transcription : Nicolas Milin.

Nicolas Milin
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