Entretien avec Hubert Charrier

La Grande Évasion

Interviews • Publié le 30/03/2015 par et

La rencontre a lieu à Paris, dans un café de la place de la République. Elle est informelle, détendue et spontanée, à l’image d’Hubert Charrier, ce jeune journaliste passionné de musique de film qui à décidé de donner vie à un projet un peu fou : une radio spécialisée dédiée aux amoureux de la musique de film, mais pas seulement. La Grande Évasion n’a rien d’élitiste, son ambition étant de désenclaver la musique pour l’image et de la rendre accessible. Et c’est avec gourmandise que l’on y enchaine les morceaux, des plus classiques aux moins conventionnels. Une expérience unique dans l’univers radiophonique actuel et un vrai pari de passionné : c’était plus qu’assez pour susciter notre curiosité.

 

Comment est née l’idée de cette radio ?

Au départ, j’ai fait des études de commerce, puis je suis devenu journaliste. Et comme je suis passionné de musique de film de longue date, j’ai toujours eu envie d’une radio qui me permettrait d’en écouter. Mais cela n’existait pas. Alors à la fin de mes études de journalisme en 2011, je me suis dis qu’il fallait la créer. Tout simplement parce qu’il n’y avait pas de raison que cela ne marche pas : d’autres radios très spécialisées, en classique par exemple, trouvent leur public. Or le cinéma est un art populaire. La musique de films s’illustre dans tous les genres et peut donc potentiellement toucher tout le monde. Le morceau de classique le plus connu aujourd’hui est peut-être l’ouverture de Star Wars… Donc après deux ans passés dans la presse écrite et en radio, j’ai décidé de tenter cette aventure dans laquelle j’ai investi toutes mes économies. En gros, je me suis donné trois ans pour que ça marche.


Comment s’est déroulée la mise en place du projet ?

Ce fût un peu long : je me suis lancé en janvier 2014, et au départ j’avais fixé le lancement en juin, puis en septembre… Alors finalement, on est contents que ce soit enfin en ligne ! Même s’il y a encore plein d’améliorations à apporter et qu’il n’y a pour l’heure qu’une toute petite partie de ce que nous voulons programmer en termes de musique. Mais le travail sur le visuel et l’aspect que l’on veut donner au site est également très important et cela prend énormément de temps. Donc les choses vont se faire petit à petit. Mais la programmation est déjà assez intéressante, de quoi tourner une semaine sans retomber tout le temps sur les mêmes morceaux, et nous ajoutons chaque semaine des nouveautés. Un score comme Jupiter Ascending, qui est la grande nouveauté du mois, ne risque pas de passer ailleurs sur les ondes, alors que le travail de Giacchino est exceptionnel. Les rares musiques de film programmées sur des radios classiques demeurent très génériques et sans surprises : du Barry, du Williams, un peu de Zimmer mais pas trop… Des airs que les gens connaissent déjà. Mais ce n’est pas une mauvaise chose en soi. C’est d’ailleurs l’équilibre que je cherche à atteindre avec cette radio : proposer des choses que tout le monde veut entendre, mais aussi des musiques moins connues, notamment dans la composition française, qui est très riche. Donc on a travaillé sur un algorithme un peu spécial pour que cet équilibre se fasse lors de l’écoute de la radio.

 

 

Alors justement, comment fonctionne la programmation ?

C’est de l’aléatoire contrôlé. L’ensemble de la sonothèque est divisée en six playlists de genres différents. Chaque playlist tourne une fois, sur six morceaux, donc six temps. À la fin de ces six temps, on revient dans chaque playlist mais à un endroit différent, en gardant en mémoire les morceaux qui ont déjà été joués. Et l’ensemble ne recommence que lorsque tous les morceaux ont été traités. Donc il y a six extraits de genres différents à chaque fois :

 

  • Classique étranger (un Barry par exemple, ou un Morricone).
  • Coup de coeur (c’est à dire des choses que j’adore écouter, j’ai une passion pour les trucs un peu kitsch, comme le Bloodsport d’Hertzog). Sur cette section, l’idée est de faire découvrir des scores pas forcément conventionnels, mais qui constituent une bouffée d’air frais. On aime ou pas mais au moins, c’est fun.
  • French touch : les classiques français d’hier et d’aujourd’hui (Magne, Delerue, Rombi…).
  • Nouveautés (ce qui est sorti au cours du dernier mois) : c’est la section la moins riche puisqu’elle est mise à jour tous les mois. Donc ce sont les morceaux qu’on va entendre le plus souvent. Au terme de trois semaines, un mois, les morceaux vont migrer dans la section suivante.
  • Tendance, qui rassemble les morceaux de plus de trois semaines mais de moins d’un an. Donc globalement plutôt des choses récentes.
  • Chansons : au départ, j’avais pensé ne sélectionner que les chansons composées spécifiquement pour les films (comme les génériques des Bond par exemple, ou certains Legrand), mais je me suis dit ensuite qu’intégrer des chansons qui avaient marqué le public avait du sens aussi, je pense par exemple aux BO de Tarantino.

Du coup, à l’écoute, n’y a t il pas un risque de rupture avec ce qui précède ?

Si, mais c’est justement cela qui permet de ne pas s’ennuyer. Et de prendre des respirations qui permettent d’apprécier d’autant plus les extraits.

 

Comment se fait la sélection des morceaux ?

Pour les nouveautés, je prends les morceaux qui me séduisent le plus. C’est différent avec les BO cultes : on connait plus ou moins les morceaux qu’attend le public. Mais il y a parfois justement d’autres extraits qui méritent d’être mis en lumière. Au final cela se fait essentiellement au feeling. Je choisis en moyenne deux ou trois morceaux par score.

 

 

Qui travaille avec toi sur ce projet ?

Sur le contenu, je suis seul. Par contre, comme je ne suis pas du tout informaticien, je me suis entouré de gens dont c’est le métier et qui ont monté le site pour moi. Par ailleurs, j’enregistre à l’EICAR, qui est une école de son située au nord de Paris. Ils me permettent d’utiliser leurs locaux pour enregistrer les émissions, ce qui est plutôt chouette. Après, le but est d’inviter ceux qui sont intéressés à participer et à apporter leur expertise sur le sujet. Par exemple, dans un futur très proche, une journaliste va faire quelques billets pour le site. J’ai aussi un jazzman qui va intervenir au cours d’une émission sur le jazz et la musique de film. Donc le but est d’inviter le plus de personnes possible et de créer des émissions riches. Par exemple, nous avons réalisé un pilote d’émission intitulé Musical Suspects : sur ce premier opus, j’interviens sur le score de Morricone pour le film Mission, qui figure parmi mes préférés. Il m’a fallu faire de nombreuses recherches pour nourrir le propos, avoir des références. Et puis cela fait partie du travail de journaliste, quel que soit le domaine : mettre l’information à la portée de tous, c’est savoir vulgariser des notions parfois très pointues. On peut rendre un travail universitaire et érudit très attrayant si on trouve les bons mots pour l’expliquer.

 

Quelles sont les autres émissions en projet ?

Mélodie en Sous-Sol, la première émission ayant accueilli Guillaume Roussel. L’idée est d’inviter quelqu’un du milieu du cinéma, idéalement un compositeur, mais ce pourrait être un réalisateur, avec pour fil conducteur la musique de film. Donc évoquer une carrière, retracer une chronologie de films, mais en partant de cet élément qu’est la musique. Mais j’ai été très chanceux avec Guillaume qui est, à l’image de beaucoup de compositeurs dans ce milieu, très accessible. Un simple coup de téléphone suffit souvent pour les contacter et ils se montrent souvent enthousiastes face au projet de la radio, alors que nous venons juste de nous lancer. C’est beaucoup plus rare dans d’autres milieux, où les gens sont souvent sollicités et multiplient les barrières pour se protéger.

 

D’un point de vue plus pragmatique, tu envisages de vivre de cette radio ?

Oui, tout à fait. Ce n’est pas une webradio associative mais bien un projet commercial. Alors pour l’instant sans pub, sans rien ! Non que je ne veuille pas en mettre, même si tout le monde me dit : pas de pub, c’est trop chouette ! Mais non, pas si chouette que ça, moi je voudrais bien qu’il y en ait, l’investissement de départ sur le projet étant assez conséquent. Lorsqu’on se constitue en web radio commerciale, les droits pour la musique sont beaucoup plus chers. Donc idéalement, je voudrais trouver un partenaire commercial qui a envie de s’investir dans ce projet. Je voudrais aussi pouvoir travailler dans un studio avec des horaires fixes pour pouvoir enregistrer les émissions. Mais bon, pour le moment, nous n’avons pas démarché ni entamé de campagne de communication. On attend que tout soit rodé au niveau du site. Donc pour l’heure, on travaille à rendre le site aussi agréable et fonctionnel que possible. Par exemple en intégrant un bouton qui permet d’accéder directement à la fiche du compositeur sans changer de page. Et de permettre à l’auditeur d’acheter le morceau qui lui plait directement sur iTunes. Par ailleurs, on va encore améliorer l’interactivité en incluant un bouton pause plus évident à trouver que celui qui existe actuellement, et aussi un bouton pour gérer le volume. On va peaufiner aussi le choix des visuels et des couleurs, car certains ne fonctionnent pas comme on le voudrait.

 

 

Comment sont encodés les morceaux sur le site ?

C’est en général du MP4. J’achète les nouveautés sur iTunes, mais j’avais par ailleurs une sonothèque assez importante qui est donc encodée en MP4. A ce jour, environ 1500 albums sont encodés, ce qui n’est pas mal pour débuter.

 

A quel rythme envisages-tu les mises à jour des playlists ?

En ce qui concerne les nouveautés, ce sera environ trois par semaine. Donc entre 6 et 9 nouveaux morceaux. Pour le reste de la programmation, on va rajouter environ 400 nouveaux titres, l’idée étant de porter l’ensemble de la programmation à au moins 1000 morceaux afin de rendre l’expérience diversifiée et riche. On propose aussi à ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux (Facebook) de voter chaque semaine parmi une sélection de BO et d’élire celle qu’ils veulent écouter. Là encore, le but c’est de faire participer les gens et de construire avec eux la radio qu’ils ont envie d’écouter. Donc cette BO est inclue dans la playlist des nouveautés et va tourner pendant une semaine.

 

D’autres projets ?

Oui, plein ! Développer par exemple un sujet Plaisirs Coupables qui ferait la part belle à des musiques un peu honteuses mais qu’on adore. Et puis faire de la place pour la composition pour l’image de manière générale. Je pense notamment à la musique composée pour les jeux vidéos parce qu’il y vraiment beaucoup à dire sur le sujet. Elle rassemble d’ailleurs de plus en plus de passionnés, et les concerts de musique de jeux vidéos affichent souvent complet. Il y a une sorte d’émulation autour de la musique pour l’image, qui touche notamment les jeunes générations un peu geek (pour les jeux mais aussi pour les animés japonais). Et là on ne parle plus de niche tellement cette tendance est populaire et grandissante. Alors je ne sais pas encore si cela prendra sur la radio, mais c’est un domaine à explorer.

 

Par ailleurs, je pense aussi à une septième playlist qui serait plus thématique, genre une semaine animé japonais ou une semaine western, mais c’est pour le moment assez compliqué à mettre en place puisque je suis seul pour gérer toute la programmation et que cela prend beaucoup de temps. Mais c’est en projet, bien sûr. Et puis, pour les émissions, comme je l’ai dit, je suis ouvert à tout. L’un des avantages de la webradio étant qu’on n’a pas de contraintes réelles en termes de temps (ni d’annonces, ni de bulletins d’infos), alors cela permet pas mal de liberté. Pour moi le format idéal reste environ 1h, mais on ne va compter à la minute près. Ce peut être 50mn comme 1h10, à raison d’une fois par semaine. Peut-être une sorte d’émission biopic pour parler de compositeurs pas très connus du grand public. Mais il y a sans doute plein d’autres sujets à venir.

 

 


Entretien réalisé le 13 février 2015 par Olivier Desbrosses & Stéphanie Personne
Transcription : Stéphanie Personne
Illustrations : © La Grande Evasion / DR
Remerciements à Hubert Charrier pour son enthousiasme et sa disponibilité.

Olivier Desbrosses
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