Entretien avec Constantin Rouits

Toute l'aventure de Pixar en concert

Interviews • Publié le 03/06/2014 par

Violoncelliste de formation, Constantin Rouits suit d’abord un cursus scientifique, tout en poursuivant des études musicales d’écriture, d’orchestration et de direction d’orchestre au Conservatoire à Rayonnement Régional de Lille. Il entre à l’Ecole Normale de Musique de Paris où il obtient le diplôme supérieur de direction d’orchestre. En 2007 il intègre le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Parallèlement à ses études musicales, Constantin Rouits dirige plusieurs ensembles : l’Orchestre de l’Opéra de Massy, l’Orchestre Symphonique de Lviv (Ukraine), l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, l’Orchestre des Grandes Ecoles de Lyon, l’Orchestre Symphonique Musiques en Seine, l’orchestre de la RATP, la troupe d’opérette Les Palétuviens et le Sinfonia Pop Orchestra, dont il est le co-fondateur. Il prendra la tête de ce dernier le 22 juin prochain au Palais des Congrès de Paris pour un concert dédié aux musiques des films des studios Pixar.

 

Quel est votre premier souvenir relatif à la musique de film ?

Je crois qu’il s’agissait de Beauty & The Beast, de Disney. Je devais avoir huit ans, et cela m’avait bien marqué. Mais je ne m’y suis intéressé que beaucoup plus tard, puisqu’à l’origine, j’ai une formation de musicien classique. J’étais bien évidemment sensible à l’aspect musical dans les films, mais mon parcours de musicien classique faisait que j’étais bercé par de nombreuses émotions musicales, bien avant de les associer à des films.

 

Vous êtes violoncelliste. Vous êtes compositeur également ?
Non, pas du tout. Pour être tout à fait précis, lorsqu’on fait des études de direction d’orchestre au Conservatoire de Paris, on fait ce qu’on appelle les classes d’écriture, c’est à dire l’étude pratique de la composition selon le style des grands compositeurs comme Mozart, par exemple. Ce sont des cours de composition dans les styles. Donc c’est quelque chose que j’ai appris, mais que je ne cherche pas du tout à développer. Il faut un état d’esprit particulier pour être compositeur, et je ne l’ai pas. Je n’ai pas ce don là. Ce que j’aime vraiment, c’est orchestrer et faire des concerts.

 

Voyez-vous une différence, au delà du support auquel elle est destinée, entre la musique de film et la musique classique ?
La musique de film a pour finalité de servir un film, ce qui représente automatiquement une contrainte, ou une inspiration. Mais surtout cela va rythmer le temps, c’est à dire que le réalisateur et le monteur vont donner un rythme au film, et il va bien falloir en faire quelque chose avec la musique. Cela va conditionner un certain nombre de choses dans l’écriture musicale, dans la forme, dans la manière dont les choses s’enchainent… C’est donc vraiment là que se situe la différence entre musique de film et musique classique : le compositeur de musique classique est vraiment maitre du temps, alors que le musicien de cinéma doit travailler pour ce support. C’est quelque chose qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, puisque même pour l’opéra, le compositeur est seul maitre à bord, le seul maitre du temps : même s’il doit suivre une trame pour la scène, il va pouvoir adapter la musique un peu comme il veut. Finalement, l’univers de la musique de film est assez contraignant pour un compositeur.

 

 

Mais si on dissocie la musique du film, comme ce sera le cas lors du concert, est ce que cela ne réduit pas cette différence ?
On aura toujours la trace dans la musique de cet impératif lié au temps du déroulement du film. Même si on ne la rapproche plus aux contraintes du film, la trace demeure dans la musique.

 

A votre avis, pourquoi y a-t-il si peu de concerts de musique de film, en particulier en France ?
Aux Etats-Unis, il y en a quand même énormément… Mais c’est un peu normal que la proportion de concerts de ce type soit mineure par rapport à celle de la musique classique dans la mesure où la démarche est assez particulière : on dissocie la musique d’un film. Cela représente un peu une niche quand même. Maintenant, je pense que c’est un genre qui mérite d’être développé, en particulier en France où assez peu de choses sont organisées. C’est ce qu’on essaie de faire avec ce concert.

 

Pouvez-vous nous parler de la création du Sinfonia Pop Orchestra ?
C’est un orchestre que l’on a créé il y a environ cinq ans, au départ avec des collègues du Conservatoire de Paris, et des grands conservatoires européens. Aujourd’hui, ce sont des musiciens professionnels qui travaillent dans de gros orchestres parisiens ou européens, qui viennent par exemple de Suisse romande ou du Grand Orchestre National de Lyon. Donc ce sont des gens dotés d’un très grand niveau instrumental. L’idée avec cet orchestre, c’était de nous faire plaisir en interprétant de la musique de film en concert, ou en l’enregistrant, comme par exemple en ce moment avec quelques courts métrages. Nous faisons également un peu de musique contemporaine, mais le plus gros de notre activité se fait avec les ciné-concerts. Voilà ce que nous essayons de faire depuis cinq ans, grâce à une équipe fixe vraiment merveilleuse.

 

Les musiciens peuvent changer régulièrement ?
Justement, nous avons la volonté d’avoir une équipe la plus fixe possible. Il peut y avoir un petit peu de turnover, mais c’est vraiment très limité. Nous essayons vraiment de fidéliser les gens, et d’ailleurs, environ la moitié des musiciens sont là depuis le début.

 

Le premier grand concert du Sinfonia Pop Orchestra, c’était Disney Classics ?
Oui, mais il y en eu quelques autres auparavant, plus medley, et un petit peu moins publics. L’orchestre se professionnalise depuis un an et demi environ.

 

Quelle est la genèse de ce concert consacré à Disney ?
C’était à notre initiative. Nous sommes allés voir Disney et nous avons émis le souhait de faire un concert autour de la musique de film. Ils nous ont soumis un projet que nous avons adapté, et nous avons pu donner ce concert.

 

Avez-vous fait le choix des morceaux que vous avez joués ?
Le choix des morceaux a fait l’objet d’une discussion : Disney impose, mais après on peut discuter. Vraiment, ils ont été assez souples, on a pu vraiment échanger, ce qui n’est pas généralement l’image qu’ils donnent : on a plutôt l’impression qu’ils sont très stricts, mais en fait cela s’est vraiment bien passé avec eux.

 

 

Vous avez aussi fait un concert dédié à Hitoshi Sakimoto ?
En effet, même si nous étions beaucoup moins nombreux, pas un orchestre de 80 musiciens comme pour Disney. Hitoshi Sakimoto était présent, il a fait une petite conférence, et il a animé en quelque sorte ce concert. Je ne le connaissais pas personnellement, et ce fut une belle rencontre, très intéressante. Il était ravi du concert, ce qui est le meilleur des compliments, et a émis le souhait de retravailler avec nous, ce que l’on fera certainement, puisque nous en parlons.

 

Pour le concert Pixar, vous avez de nouveau travaillé avec Disney. Cela s’est passé comme la fois précédente ?
Il faut préciser que le show Pixar était tout de même beaucoup plus carré que le show Disney. Sur ce dernier, nous avions pu faire quelques petites adaptations, mais sur celui de Pixar, nous n’avons pas eu à le faire car il était vraiment très bien ficelé. C’était vraiment un programme clé en mains, sans la moindre chose à corriger ou à adapter. Il s’agit de suites arrangées pour le concert, associées à un montage vidéo reprenant les scènes phares des films, mais toujours avec le souci d’avoir un rythme intéressant dans l’agencement de la musique. Il faut que les 10 ou 12 minutes de musique pour chaque suite aient une véritable cohésion, il ne s’agit pas de mettre juste des morceaux bout à bout. La priorité ici, c’est vraiment la musique, les images ne viennent qu’en tant que support, pour la servir.

 

N’est ce pas un peu contraignant de devoir malgré tout ajuster la musique aux images qui sont projetées ?
Contraignant, oui, mais surtout très technique. On n’a aucune marge de manœuvre en termes de tempo. Du coup, il faut réussir à trouver une liberté sur le phrasé, par exemple, mais c’est vrai qu’on n’est pas maitre du temps du tout dans ce cas précis.

 

Cela revient au même qu’en session d’enregistrement pour un film : il faut respecter les points de synchro…
Oui, tout à fait, il y a des points de synchro, sauf que là on est en live, donc on n’a pas le droit à l’erreur ! Sur les partitions, chaque ligne possède des numéros de mesures, et je suis muni d’un moniteur sur lequel défile la même chose, agrémenté d’éléments et d’indications qui me permettent d’effectuer la synchronisation. Cette méthode est la plus technique et la plus cadrée, mais il en existe d’autres. Pour le concert Disney par exemple, je n’avais pas le moniteur, mais directement les images. J’avais moi-même annoté mes partitions, ce qui donne un peu plus de souplesse car c’est un peu moins précis. En même temps c’est beaucoup plus délicat car on a moins de repères. Enfin, il existe une autre méthode, celle que j’aime le moins, c’est le clic. C’est vraiment métronomique. En enregistrement, il n’est pas utilisé systématiquement, en fait cela dépend de la musique. S’il s’agit d’une musique de générique, on la fait sans clic car on est plutôt a la recherche d’un souffle, et après ils se débrouillent au montage pour obtenir quelque chose de très synchro. Après c’est vrai que si on recherche quelque chose de très précis, il faut le clic. Mais le problème de cette méthode c’est qu’avec un gros orchestre, soit celui-ci ne joue pas fort et on entend trop le clic, soit il joue trop fort et on entend plus le clic ! Bref, c’est toujours compliqué, et comme on l’a directement sur l’oreille, on entend l’orchestre que de l’autre, ce qui est très désagréable.

 

 

Certaines des chansons des films Pixar seront-elles interprétées au cours du concert ?
Non, il n’y a pas de chanteurs. Il s’agit uniquement d’un concert instrumental. Peut-être fera-t-on un jour un concert incluant les chansons, mais ce n’est pas le choix qui a été fait pour celui-ci.

 

Est ce qu’il y a des challenges particuliers dans les musiques qui ont été choisies ?
Oui, de manière générale, c’est plutôt difficile. En fait cela suit aussi l’évolution des films d’animation, dans lesquels tout va plus vite, et cela se ressent dans la musique qui est toujours plus rapide. Ce sont des musiques très difficiles à jouer pour l’orchestre, c’est souvent le cas dans la musique de film qui est toujours assez chargée, il y a beaucoup de choses à jouer, mais c’est encore plus vrai dans l’animation. De ce point de vue, le programme est donc assez délicat : Monsters Inc., The Incredibles ou encore Cars, c’est vraiment difficile, plus technique, le compositeur est vraiment allé chercher la difficulté. Mais bon, c’est aussi la règle du jeu. Au-delà de l’aspect technique, la vraie difficulté pour tous consiste à donner du souffle à ce que l’on joue, à faire passer quelque chose dans la musique qu’on interprète.

 

Avez-vous eu recours à des instruments en particulier pour ce concert ?
Oui, et c’est d’ailleurs vraiment un point intéressant. Depuis une dizaine d’années, les compositeurs sont vraiment à la recherche de sons originaux. Donc on retrouve une cornemuse pour Brave par exemple, toute une batterie de saxophones, des guitares de toutes sortes (mandolines, guitares naturelles, guitares sèches, guitares à effet..). On a aussi un synthétiseur avec un certain nombre d’effets assez intéressants.

 

Vous avez des préférences parmi les morceaux sélectionnés ?
J’ai une tendresse particulière pour Toy Story car c’est le premier que j’ai vu, et le seul que j’ai découvert enfant. Les autres je les ai vus plus tard. Donc il y a de tendres souvenirs associés à ce film en particulier.

 

Monsters University n’est pas au programme ?
Non, il ne faisait pas partie de la sélection.

 

Il y a une suite par série de films ?
Non, une par film. Cela fait 2 heures de concert en tout.

 

Il s’agit d’un concert entièrement financé en France ou Disney a participé ?
Le concert est entièrement financé par nos soins, il n’y a pas de participation de la part de Disney. En revanche, nous avons du nous acquitter des droits pour la musique auprès de Disney. Mais c’est aussi parce que la préparation réclame beaucoup d’investissement de leur part. La qualité et la précision du show est assez exceptionnelle : tous les extraits sont d’excellente qualité, les partitions ont été spécialement éditées pour ce concert, et ne sont pas constituées de morceaux de notes manuscrites, comme c’est souvent le cas.

 

Avez-vous d’autres projets de concerts de musique de film ?
Oui, mais je ne peux pas en parler pour le moment. Mais je peux vous dire qu’il y a au moins deux projets très importants qui sont sur le feu.

 

Au delà des projets en cours, avez-vous d’autres envies ?
Oui, plein ! J’aimerais beaucoup faire les Pirates des Caraïbes en ciné-concert intégral.

 

Au final, vous préférez jouer la musique à l’image ou donner un concert exclusivement musical, sans images ?
Le travail n’est pas le même et il y a un intérêt dans les deux exercices. Je ne pourrais pas dire celui que je préfère. Le ciné-concert, c’est intéressant car il y la magie de la synchronisation à l’image et c’est un défi qui est plutôt sympa à relever. Le concert sans images, on est beaucoup plus focalisé sur la musique, on a beaucoup plus de liberté aussi. Le travail est vraiment différent. C’est aussi différent que de comparer le travail qu’on fournit sur un opéra et sur du symphonique.

 

httpvh://www.youtube.com/watch?v=vFn1sRZbdXQ

 


Entretien réalisé le 26 mai 2014 par Olivier Desbrosses
Transcription : Stéphanie Personne
Illustrations : © Disney / Pixar
Remerciements à Aurélie Lebrun (Games of Com)

Olivier Desbrosses
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