Erwann Kermorvant décolle pour l’espace
Interviews • Publié le 29/11/2011 par

 

Entre 36 Quai des Orfèvres et Prête-Moi ta Main, Erwann Kermorvant est revenu à ses premières amours cinématographiques avec les mêmes qualités que l’on avait déjà décelées dans Mais Qui A Tué Pamela Rose ? d’Eric Lartigau. Un Ticket pour l’Espace, dont la musique originale est éditée par MovieScore Media, est l’occasion pour le compositeur de retrouver le même réalisateur, Kad et Olivier sur le papier et à l’écran, et plus généralement l’esprit de la grosse déconne. Lorsque le gagnant d’un jeu s’improvise cosmonaute et devient le boulet d’un équipage haut en couleurs, les situations peuvent vite devenir cocasses. Et si ajoute un méchant vraiment très méchant et le fruit d’une horrible expérimentation génétique, les ingrédients sont réunis pour une partition sans complexe. A contexte crédible mais délirant, score sans équivoque : la comédie en tant que genre s’ouvre à tous les styles pour Kermorvant qui nous amuse autant qu’il s’amuse lui-même en puisant dans ses multiples ressources et en mêlant premier degré et références maîtrisées. Un tel talent a de quoi mettre en joie, d’autant qu’il est assorti d’un discours à la fois modeste et riche en réflexions sur le rôle de la musique en général et son propre statut de compositeur en particulier.

 

Le film est assez drôle, mais c’est la musique qui est la plus surprenante finalement…

Vous parlez de la scène du dindon géant ?

 

Oui ! C’est une vraie musique de monstre !

C’est ce qu’on essaie de faire dans le cadre d’une parodie : si je l’avais traité comme quelque chose de comique, cela n’aurait pas été drôle. Ce dindon n’est de toute façon pas crédible, c’est certain ! Quand on regarde la série des Airplane! (Y a-t-il un Pilote… ?), on s’aperçoit que la musique est archisérieuse d’un bout à l’autre, c’est une musique de film catastrophe ! Ici, le ressort est le même que celui de Mais Qui A Tué Pamela Rose ?, qui n’est pas un dessin animé mais ce qui ressemble au film policier américain de base : j’ai toujours tout traité sérieusement, le second degré venant de ce qui se passe à l’écran. Et ce côté sérieux participe à la drôlerie, enfin j’espère. C’est pareil avec la scène de la recherche de Yonis dans les couloirs de la station, le personnage d’Olivier arrive devant sa porte et annonce «Room service !» et Yonis répond «Oui, laissez ça derrière la porte». La chute est drôle mais la musique est celle d’une scène d’action. Le dindon, je ne pouvais pas le traiter différemment de Alien, avec des dissonances très marquées. J’ai donc réécouté les musiques des films de la saga Alien pour voir quelles couleurs étaient employées.

 

Comment avez-vous concilié votre musique avec les bruitages sur cette scène ?

Sylvain, le monteur son, et plus généralement le groupe, que je connais bien, sont des gens avec qui je travaille beaucoup en amont : j’amène des thèmes avant même que les scènes soient montées. Je pense notamment à la scène qui précède le décollage de la fusée, dont la construction a beaucoup changé. J’avais déjà proposé une maquette contenant mes idées sur les couleurs, et c’est le monteur son qui greffait son travail dessus en essayant de faire en sorte que les fréquences utilisées n’entrent pas en conflit. Sur la scène du dindon, c’était compliqué parce que je n’ai pas voulu tenir compte des bruitages qui pouvaient interférer, je voulais déjà traiter la scène. J’avais une idée assez précise de ce que je voulais faire et j’ai fait confiance à Sylvain qui a joué avec tout cela au montage. La musique est parfois très basse quand le bruitage est plus important mais je jouais aussi assez fin à d’autres moments, par exemple lors du jeu avec le gargouillis : musicalement, ce qui se passe derrière est très léger. Je crois que les compositeurs sont de plus en plus amenés à produire des maquettes, même simples, pour que l’on puisse essayer des choses en cours de montage. Cela permet aux monteurs son d’être également en accord avec la tonalité de la musique car, qu’on le veuille ou non, à chaque son correspond une note et la tonalité des bruitages doit s’accorder avec celle de la musique.

 

Simon Cloquet-Lafollye avait dirigé l’orchestre pour 36 Quai des Orfèvres. Comment cela s’est-il passé en Bulgarie ?

C’est un chef d’orchestre bulgare qui a dirigé, mon bulgare n’étant plus ce qu’il était, ce qu’il n’a jamais été d’ailleurs vu que je ne parle pas un mot de bulgare ! Ce chef comprenait très vite ce que nous voulions obtenir car il est très précis et il a su tenir l’orchestre. Cela est très important parce que quatre-vingts musiciens, c’est pire qu’une classe d’élèves ! Il y a des gens dissipés, des mauvais élèves… Mais bon, c’est normal car c’est difficile de rester concentré pendant une séance de travail entière.

 

Aviez-vous beaucoup de temps pour enregistrer ?

Nous avions cinq séances de trois heures pour environ cinquante minutes de musique. C’était assez confortable… Bon, si nous avions eu deux séances supplémentaires, nous les aurions utilisées. Nous avions une belle marge de manœuvre mais le score était beaucoup plus compliqué à jouer que celui de Mais Qui A Tué Pamela Rose ? Je suis content du résultat, même si j’aurais adoré enregistrer à Londres !

 

 

Vous est-il arrivé de remonter, voire de recomposer certains morceaux afin de suivre un nouveau montage ?

En fait, c’est un va-et-vient constant entre le compositeur et le reste de l’équipe. On me disait parfois d’écrire sans me préoccuper de la synchronisation car on savait que le montage allait changer, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’en tenir compte un minimum. La scène du tarmac et du décollage par exemple a évolué en terme de montage : un passage plus long, un autre un peu plus court, il n’y a pas de grande différence entre chaque version mais cela oblige néanmoins à réécrire partiellement, la maquette évolue donc également. Il peut arriver aussi qu’un morceau prévu pour telle scène soit remonté pour illustrer une autre scène, il faut alors que je reprenne la maquette pour lui apporter une cohérence dans le temps donné. J’ai été agréablement surpris par la musique qui correspond à la scène du décollage, mais je ne l’avais pas du tout prévue pour cela. On m’avait à un moment demandé de réfléchir à un thème de l’espace, à quelque chose de majestueux et englobant. Finalement, cela a été monté sur le décollage alors que j’avais prévu un morceau qui en met plein la vue. On m’a donc appelé pendant le montage pour me dire d’arrêter de composer pour la scène du décollage ! Du coup, la musique du décollage donne un côté très lyrique qui, pour une fois, n’est pas du tout premier degré.

 

Parfois, la sensibilité du compositeur est réinterprétée pour donner un sens nouveau à une scène…

Exactement. J’aime bien ce genre de surprise car cela montre que je n’ai pas le monopole des bonnes idées. Je pourrais parler également de l’entraînement du personnage de Kad sur lequel j’ai composé quelque chose dans le style de The Rock. Au départ, je me disais qu’il fallait la musique de Rocky ! Je l’avais montée sur ce passage et c’était vraiment très drôle car c’était du n’importe quoi ! De plus, du point de vue de la synchronisation, c’était une merveille ! Mais cela posait plusieurs problèmes : il aurait été compliqué d’acheter les droits et apparemment, il n’y avait que moi que cela faisait rire ! Finalement, j’étais soulagé parce que je me demande maintenant comment j’aurais pu faire aussi bien que le thème de Rocky s’il fallait faire quelque chose dans ce genre. En fait, je me tirais dans le pied en proposant cela ! C’était drôle précisément parce que la musique était celle de Rocky, et si j’avais fait une imitation, cela n’aurait pas fonctionné. Un changement est intervenu sur la scène précédente, celle de l’entraînement collectif : j’ai d’abord fait quelque chose très premier degré et linéaire, même assez militaire, puis nous avons inclus des ruptures et d’autres effets presque comiques pour marquer l’action et les gags.

 

C’est donc un dialogue permanent et je crois que cela se fait de plus en plus car nous avons maintenant les moyens de faire assez rapidement des maquettes assez réalistes. Et puisque nous avons des possibilités d’échange de fichiers très rapides, tout le monde en profite car les validations se font à la dernière minute. Mais des changements arrivent encore fréquemment alors que la musique est enregistrée et, dans ce cas, c’est la musique orchestrale qui est remontée. J’avais enregistré la musique pour le pré-générique alors que je ne l’ai vu qu’à la première projection du film, on m’avait demandé d’écrire un prologue musical d’une cinquantaine de secondes mais sans savoir combien de temps cela durerait exactement ni ce qui se passerait à l’écran. Finalement, ce prologue a été monté avec la musique du générique que j’avais composée à part. En ce qui concerne la musique sur les cartons de début, je suis parti sur quelque chose entre Le Crépuscule des Dieux de Richard Wagner qu’on entend dans Excalibur et la fanfare de la 20th Century Fox. Je voulais quelque chose de grave et solennel, imposant mais assez léger pour ne pas court-circuiter ce qui se passe à l’image.

 

Le générique possède parfois la même énergie que ce que faisait James Horner dans les années 80.

Oui, cela doit être dû à mon amour immodéré pour la musique de Rocketeer ! J’avais envie d’un genre de fanfare qui rappelle aussi Star Wars et de clins d’œil à la période science-fiction de James Horner. Pour le travelling aérien, j’ai fait un parallèle avec la séquence dans Rocketeer où le héros survole la campagne.

 

 

Sébastien Faelens