Varèse Sarabande par Robert Townson

 

Comment avez-vous débuté chez Varèse Sarabande ?

Ma collaboration avec Varèse Sarabande, puisque c’est ce dont il s’agissait initialement, a débuté lorsque j’ai lancé mon propre label, Masters Film Music, au Canada. Je recherchais un distributeur qui puisse augmenter la visibilité du label que j’avais créé et aider à mettre sur le marché les albums que je produisais. Donc c’est d’abord un accord de distribution qui a rapproché ma compagnie de Varèse Sarabande. Mais, après avoir produit un certains nombre d’albums, de 1986 au printemps 1989, j’ai pris en charge la production pour Varèse Sarabande, initiant le parcours qui se poursuit encore à ce jour, produisant rarement moins de 50 albums par an, et jusqu’à 72 ou 73 ces dernières années, ce qui est vraiment énorme ! (rires).

 

Selon quels critères sélectionnez-vous les partitions que vous allez éditer ?

Ce qui me guide plus que n’importe quoi d’autre, ce sont les relations. C’est là où tout commence. J’ai des relations avec les compositeurs, avec les studios, donc d’une façon ou d’une autre, c’est ainsi que tous les projets démarrent. Parce que je connais les compositeurs et qu’ils m’invitent à travailler avec eux sur les albums, ou que les studios m’appellent pour me dire qu’ils ont un nouveau compositeur, qu’ils vont lui confier un film, et je travaille avec eux sur l’album. Mais à ce stade, ayant fait cela pendant aussi longtemps que je l’ai fait, il est parfois difficile de suivre, parce que le nombre de mes relations est parfois écrasant. Je connais des gens à qui je ne peux pas dire non, parce qu’il y a beaucoup de passif entre nous. Par exemple, si Joel McNeely m’appelle pour son nouveau film, ou John Debney, je ne dirais jamais non. Mais lorsque tout cela se produit en même temps, le résultat est que… je ne dors pas pendant une très longue période ! (rires) Parce qu’à chaque jour suffit sa peine, et même si je sais comment rationaliser le processus dans son ensemble, en faciliter une bonne partie grâce à l’expérience que j’ai acquise, il faut tout de même faire ce qu’il y a à faire, il n’y a pas moyen de raccourcir le processus. La plupart du temps, une journée de 24 heures n’est vraiment pas suffisante.

 

Lorsque vous décidez de sortir un album, comment réagissent les compositeurs ?

La plupart du temps, ils sont très enthousiastes parce que c’est très important pour eux de pouvoir dévoiler leur music au public, parmi les fans, mais ils peuvent aussi faire circuler le disque dans le milieu. Bien sûr, ils peuvent faire des copies du score et les distribuer de cette façon, mais cela ne bénéficie pas du même poids que de pouvoir dire : « Regardez, mon score vient d’être édité par Varèse Sarabande ». Je suis toujours très fier d’apprendre par les compositeurs que, grâce à un album que nous avons produit ensemble, ils ont décroché un nouveau job, un nouveau film, sur lequel nous allons pouvoir de nouveau travailler ensemble. L’existence d’un album peut jouer un rôle important dans leur carrière, il peut en ressortir énormément des choses que vous n’imaginez même pas, parce que nous faisons tout le travail à Los Angeles ou ailleurs, là où se déroule l’enregistrement, et les disques sont alors distribués un peu partout dans le monde et vivent une vie propre. C’est un peut comme pêcher au-dessus du monde entier, on ne sait jamais si quelqu’un va mordre à l’hameçon, et soudain, un réalisateur entend le score d’un film qu’il n’a jamais vu, ou son monteur musique utilise le score en tant que musique temporaire, peut-être l’entend-il ainsi, dans le contexte de son film, et même s’il sait que cela vient d’un autre film, il se dit : « Puis-je embaucher ce type ? ». C’est un processus très fluide à cet égard.

 

 

Cela se produit-il parfois qu’un compositeur vous dise qu’il ne souhaite pas éditer sa partition ?

Il a eu un cas, je ne me souviens plus de son nom, Brian quelque chose (rires), je crois que c’était un film Sony, il y a juste quelques années, et pour d’étranges raisons, il tenait absolument à ce qu’il ait une édition de son score en vinyle. Il ne s’intéressait pas au CD, il voulait juste une édition vinyle, et le projet tout entier a capoté parce qu’il ne voulait pas renoncer à cette idée. A fil des années, il a eu un ou deux autres cas un peu bizarres, mais c’est difficile de s’en souvenir parmi tous les projets qui ont effectivement abouti.

 

 

Avez-vous déjà édité un score pour faire plaisir au compositeur alors que vous ne vouliez pas le faire ?
Ca n’arrive pas souvent, mais cela s’est produit occasionnellement, et même à une occasion particulière assez célèbre… J’ai refusé Ghost six ou sept fois avant que Maurice Jarre ne parvienne à me convaincre d’accepter, et j’ai finalement dit oui pour lui faire plaisir. Lorsque j’avais vu le film, ils avaient organisé une projection chez Paramount, et je ne l’ai pas vraiment apprécié, pour être tout à fait honnête. J’aime beaucoup le thème principal, Unchained Melody, d’Alex North, mon compositeur favori à plus d’un titre, mais au même moment sortait une comédie avec Bill Cosby, Ghost Dad. Je n’étais donc pas très enthousiaste à l’idée d’être associé au film, mais j’ai finalement accepté. Lorsqu’on me dit : « Vous éditez tellement d’albums, pourquoi ne pas en sortir un peu moins ? », si j’en avais édité moins cette année-là, celui en moins aurait été Ghost, qui est finalement devenu notre meilleure vente, toutes années confondues. Donc je suis très reconnaissant à Maurice d’être resté sur mon dos, m’encourageant à participer au projet, et je suis aussi très heureux pour Alex North. J’ai pu ainsi lui remettre un disque de platine pour l’album de Ghost, et le voir en huitième position du Billboard Magazine Pop Charts alors qu’il avait 80 ans. Donc au final, je suis ravi d’avoir été convaincu ! Il y en a eu une ou deux autres, mais c’est le principal.

 

Quand vous n’éditez pas le score complet, comment décidez-vous de ce qui va apparaitre sur le CD ?

Il ya deux façons de procéder. C’est presque toujours le compositeur et moi-même qui travaillons ensemble. Soit je fais le premier choix de pistes et je le soumets au compositeur, soit c’est lui qui effectue la sélection et me la propose. Selon qui commence, l’autre enchaine, nous procédons ensuite à des révisions, nous rendons dans un studio de mixage et assemblons l’album. C’est le processus créatif, tous les albums sont presque toujours conçus ainsi. Parfois il peut y avoir des changements importants par rapport à la première version, et parfois celle-ci reste intacte après que nous l’ayons préparée, le compositeur et moi-même. Sur certains projets, je mets un point d’honneur à m’impliquer encore davantage, comme sur les albums de Michael Giacchino pour Lost, par exemple. C’est énormément de travail, mais c’est aussi très amusant de revisiter chaque épisode au moment de préparer l’album. Je visionne chaque épisode de la saison, et je choisis les morceaux. C’est très difficile de préparer un album de série TV parce qu’il y a énormément de musique. C’est un processus très long de passer en revue de nombreuses heures de musique et de réduire à une sélection d’un peu plus d’une heure.

 

Y a-t-il eu des projets avortés pour lesquels vous avez vraiment été déçu de ne pas pouvoir les éditer ?

Au fil du temps, il y a eu de nombreuses éditions que nous n’avons pas pu mener à bien. C’est difficile de préciser lesquelles, mais ce n’est pas toujours à cause de problèmes de droits. Nous signons un accord avec un studio pour éditer un score avant de découvrir qu’ils n’en ont pas les bandes, et si le compositeur n’a pas non plus les masters dans ses archives, le score est perdu et n’a pas survécu à l’épreuve du temps. Cela se produit bien plus souvent que vous ne pourriez l’imaginer, et votre cœur se briserai si vous saviez tout ce que j’ai tenté d’éditer que je n’ai finalement pas pu sortir. Lorsque le score est perdu, si vous n’avez pas les bandes, il n’y a aucune solution. Chaque compositeur est concerné par cet état de fait. Par exemple, le score de Dave Grusin pour My Bodyguard, un joli film, un petit score, peu de musique mais tout à fait charmante. J’aimerai l’éditer, mais ils ne retrouvent pas les bandes chez Fox et Dave Grusin n’a rien dans ses archives. Donc, à moins d’une découverte, lorsque quelqu’un, en déplaçant une caisse, réalise : « Voici My Bodyguard !», ce score ne sera jamais édité. Il y en a beaucoup qui tombent dans cette catégorie, des scores de Jerry Goldsmith, d’Elmer Bernstein, d’Alex North, de Georges Delerue… tous les compositeurs dont on aimerait plus de sorties. Certaines ne se produiront pas parce que les bandes n’ont pas survécu.

 

Quelle partition inédite voudriez-vous sortir ?

A une époque, j’aurais pu répondre à cette question. Mais par les temps qui courent, la liste est devenue très courte parce que, d’une part j’en ai édité beaucoup, et d’autre part je vais en éditer encore beaucoup. Donc je ne peux pas vraiment répondre à cette question parce que la réponse est la suivante : on s’en occupe ! (rires)

 

 

Olivier Desbrosses
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