Entretien avec Michael Kamen

Mr. Kamen's Opus

 

 

Par rapport à vos partitions pour le cinéma, est-ce pour vous un travail différent de composer un poème symphonique ?

Je pense que oui. Je me suis attelé à cette partition pendant près de trois ans. Lorsque je travaille pour le cinéma, même si c’est deux heures de musique qui me sont demandées, je dois le faire en quelques semaines, parfois même en quelques jours selon les cas.

 

Mais cela fait-il appel au même type d’inspiration ou cela requiert-il de nouvelles techniques ?

Non, je ne pense pas que cela requière une nouvelle technique. Je devais trouver une idée pour ce poème, raconter une histoire. Je n’envisage pas une musique par son aspect théorique, ce doit être avant tout un langage émotionnel. J’avais besoin d’être sûr de raconter une histoire qui illustrait ma propre vision du Millénaire, mais je ne voulais pas pour cela faire quelque chose de particulièrement difficile sur le plan de la technique musicale. Je n’avais pas besoin de prouver quoi que ce soit ! Je voulais seulement me convaincre que je pouvais sérieusement m’investir dans une importante œuvre de concert. C’est l’opportunité, et le cadeau, que m’a offert Leonard Slatkin (1).


Lenny était étudiant à la Julliard School Of Music quand j’y suis entré. Notre chef d’orchestre là-bas a été un grand professeur pour moi. Il était français et s’appelait Jean Morel : un homme talentueux, fantastique musicien, drôle aussi… Il m’a apporté énormément de choses pour jouer dans un orchestre, apprendre à répondre aux autres instruments, etc… J’ai eu de grands moments à jouer pour lui dans cet orchestre (j’y jouais du hautbois) et Lenny était son protégé. C’était donc pour moi une manière de refermer la boucle d’être aujourd’hui appelé par Lenny pour écrire cette symphonie pour lui et le National Symphony Orchestra de Washington.

 

C’était une commission pour célébrer le Millénaire, et lorsque j’ai demandé quel type de musique ils voulaient, ils m’ont juste répondu : «Tu es quelqu’un de flexible, tu as fait du rock, des chansons, de la musique de film, des ballets… Donne-nous une rétrospective d’un siècle de musique américaine !» Je pouvais déjà entendre du John Philip Sousa (2) et des gros symboles du même genre ! J’ai dit : «Non, non… C’est le millénaire, il y a d’importantes choses à dire sur mille ans de l’histoire d’un pays.» Il faut parler des indiens qui ont fait cette terre avant nous, qui en ont pris soin et qui peuvent encore nous apprendre énormément, sur ce qu’ils pensaient, sur ce qu’ils ont créé. Ils aimaient les formes, la beauté, l’organisation et l’imagination et je voulais que la symphonie illustre cela, car la musique elle aussi parle de formes, de beautés et d’imagination. Nous ne sommes pas différents aujourd’hui des hommes qui vivaient il y a un millier d’années, et si nous faisons attention, dans un millier d’années, quand il sera temps pour nous de quitter la planète et tenter l’aventure des étoiles, il nous faudra apporter ce message, qui dira qu’une humanité unique nous a légué un langage émotionnel à partager avec l’univers entier. C’était une idée tout à fait passionnante à explorer pour cette symphonie et cela m’a demandé trois ans !

 

Pourquoi n’avez-vous pas assuré la direction de votre symphonie sur l’enregistrement paru chez Decca ?

Parce qu’à l’origine ma tache n’impliquait pas de diriger mais uniquement d’écrire, et elle venait de Leonard Slatkin qui est un ami et un excellent chef d’orchestre. Je lui ai écrit quelque chose que, je l’espérais, je pourrai diriger moi-même. Bien sûr, c’était très difficile pour moi de m’asseoir dans le public et voir un autre chef d’orchestre diriger ma musique, mais cela a également été une expérience enrichissante.

 


(1) Chef d’orchestre américain (1944-), également compositeur, directeur musical du Saint-Louis Symphony Orchestra à partir de 1979 puis, depuis 1996, chef titulaire du National Symphony Orchestra.

(2) Compositeur américain (1854-1932) qui a bâti sa carrière sur la popularité de ses marches de défilé : parmi les plus connues aujourd’hui, Semper Fidelis (1888), The Washington Post March (1889), Thunderer (1889), Hands Across The Sea (1899) et le fameux The Stars And Stripes Forever (1897).

 

Olivier Desbrosses
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