Zeltia Montes, un nouveau talent venu d’Espagne
Interviews • Publié le 18/10/2008 par et

Zeltia Montes

 

 

 

Il est toujours stimulant de découvrir un nouvel artiste, et d’autant plus lorsque, dans une discipline encore largement conjuguée au masculin, il s’agit d’une femme. Bienvenue donc à la jeune et pétillante Zeltia Montes qui, grâce à sa partition pleine de fraîcheur pour son premier long-métrage, Pradolongo, a pu quitter l’édition 2008 du Festival International de Musique de Film d’Ubeda avec deux statuettes en poche, deux Jerry Goldsmith Awards (« For Young Creative Music Composers For The Audiovisuel Media ») dont le plus important, celui du meilleur jeune compositeur de l’année.

 

La biographie de votre site indique que vous avez commencé à composer de façon naturelle à l’âge de neuf ans. Qu’avez-vous composé à cette époque ? Avez-vous des souvenirs particuliers de ces œuvres de jeunesse ?

 

Je me souviens assez bien de ces compositions, et même de l’excitation ressentie en les écrivant. Elles étaient toutes du même style que ce que je jouais à l’époque, principalement du Mozart. Je ne pense pas qu’elles étaient particulièrement exceptionnelles pour mon âge, mais j’étais très enthousiaste et j’appelais toujours ma mère pour les lui jouer. Ne sachant pas suffisamment bien comment fonctionnaient les armatures, j’inventais ma propre façon de les écrire. La plupart de mes musiques étaient dédicacées à mes grands-parents, et portaient des titres anglais. La première s’appelait « As Clear As Crystal », mais je ne me souviens pas pourquoi je l’ai appelée ainsi…

 

 

Votre bio indique également que vous considérez la composition musicale comme un moyen de communiquer, et de mieux vous connaître. Qu’avez-vous appris sur vous-même à travers la musique ?

 

J’ai appris tant de choses grâce à la musique qu’il m’est difficile de choisir la plus pertinente. J’ai appris l’importance, non seulement d’écouter les autres, mais aussi de m’écouter moi-même à tous niveaux et de faire confiance à mon jugement personnel. J’ai appris que je peux parvenir à n’importe quoi si j’y mets suffisamment de passion, de patience et de persévérance, et à croire en quelque chose d’unique en moi. J’ai aussi appris que je suis bien plus forte que je ne l’aurais jamais imaginé, que l’on ne peut créer qu’à travers l’honnêteté et l’amour. J’ai enfin appris l’estime de soi, et la valeur de mon éducation et l’endroit d’où je viens.

 

Pourquoi avoir quitté l’Espagne pour étudier la musique de film au Berklee College of Music ?

 

J’ai vraiment ressenti le besoin de vivre et d’étudier dans un autre pays, de bénéficier d’une nouvelle approche de l’apprentissage musical. J’avais ouï-dire que Berklee comptait une importante communauté internationale. Rencontrer des musiciens offrant une telle diversité de cultures musicales m’attirait beaucoup. Il n’y avait pas vraiment de possibilité d’apprendre la musique de film en Espagne, et j’ai pensé que c’était une opportunité exceptionnelle pour étudier dans un endroit où je pourrais accéder aux dernières technologies, apprendre la composition classique mais aussi tous les types de musique moderne, y compris le jazz, et pouvoir y faire jouer mes compositions.


 

Avez-vous le sentiment que la musique est considérée différemment aux USA qu’en Europe ?

 

 

Je pense qu’aux USA, la musique est plus orientée business, alors que l’Europe est plus focalisée sur la création artistique. Je préfère le mode de pensée européen, mais il est vrai que la plupart des musiciens en Europe, même très talentueux, rencontrent énormément de difficultés à en vivre. C’est une bonne chose de pouvoir appréhender les deux points de vue, puisque savoir se vendre et élargir son champ de possibilités déterminera aussi la longévité de sa carrière.

 

 

Pouvez-vous nous résumer en quelques mots comment vous avez appris la musique de film à Berklee ?

 

Il s’agissait principalement d’apprendre tous les aspects techniques de l’écriture pour le cinéma, comment utiliser un séquenceur, une librairie musicale, toute la routine autour de l’usage du matériel et des logiciels, mais aussi la planification et la préparation des sessions d’enregistrement. Je pense qu’il est très important d’avoir déjà de solides bases musicales et de composition, parce que ce n’est pas ce qu’on vous y apprend, et être capable d’utiliser tous ces outils ne fait pas de vous un musicien.

 

 

Vous êtes revenue en Espagne pour vos premiers pas professionnels, à la fois sur une série TV (El Camino del Cid) et un long-métrage (Pradolongo). Comment avez-vous été engagée sur ces projets ?

 

 

En réalité, je ne suis pas revenue en Espagne. J’ai composé ces deux partitions à Boston. Je ne suis retournée en Espagne que pour les vacances, et c’est là que j’ai été interviewée pour ces projets. Dans les deux cas, il s’agissait d’un proche qui était au courant de mes études en musique de film et avait travaillé avec les réalisateurs de ces deux projets. J’ai rencontré les réalisateurs avant de retourner à Boston, et je leur ai ensuite envoyé des démos. Il ont chacun décidé de me donner ma chance et m’ont engagée. Et je dois dire que j’ai été très satisfaite des résultats.

 

El Camino del Cid : Main Title

 

Pradolongo est votre premier long-métrage. Quels enseignements avez-vous tirés de cette expérience ?

 

 

Je pense que les enseignements les plus importants que j’ai retirés de ce travail ont été de communiquer le plus possible avec le réalisateur, d’être mentalement et physiquement prête à ne quasiment pas dormir, de pouvoir rester créative au maximum de mon potentiel pour une période aussi longue, d’être très en prise avec le film et de composer la musique dont le film a besoin et non celle que vous pensez qu’il nécessite, de parler des scènes et des intentions musicales aux musiciens, et tout cela en essayant d’apprécier autant que possible le processus.

 

Pradolongo : Main Title

 

Vous avez composé plutôt en fonction des sentiments intérieurs propres au film qu’en fonction de ceux des personnages. Etait-ce une approche naturelle ?

 

 

J’en ai parlé avec Ignacio Vilar, le réalisateur, et il nous a semblé évident que c’était cela que la musique devait développer. Il a été difficile de déterminer exactement quels étaient ces sentiments, avec toute leur subtilité, de les ressentir afin de pouvoir les transcrire musicalement.

 

Pradolongo : Trevinca Mountain

 

 

Vous avez dit qu’Ignacio Vilar vous avait laissée libre de créer pour le film. Mais vous rencontrerez probablement un jour ou l’autre un réalisateur bien plus directif…Qu’attendez-vous exactement de la collaboration avec un réalisateur ?

 

 

Je n’ai rien contre un réalisateur directif, à partir du moment où son point de vue est clair sur l’objectif à atteindre, et dans sa façon de me l’expliquer. Un des éléments qui comptent le plus pour moi dans la composition pour l’image est qu’il s’agit d’un art collaboratif, et que nous travaillons tous à créer quelque chose qui dépasse notre simple contribution. Plus je comprends les intentions du réalisateur, plus je serai apte à évoluer dans la même direction et à échanger des idées permettant d’atteindre ce qui est attendu, dans un environnement propice à la créativité.

 

 

En tant que jeune compositrice, comment ressentez-vous votre consécration par deux Jerry Goldsmith Awards, pendant le festival d’Ubeda ?

 

 

J’ai été très honorée et fière de recevoir les Jerry Goldsmith Awards 2008 pour le Meilleur Compositeur et le Meilleur Score de Long-Métrage. C’était vraiment pour moi un moment très spécial, pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, parce que cette récompense porte le nom d’un compositeur que j’ai toujours admiré et que je considère comme l’un des plus grands de l’histoire de la musique de film. Ensuite, parce que ces deux prix m’ont été remis par Bruce Broughton, un autre compositeur que j’admire beaucoup. De plus, parce que Pradolongo était un film à petit budget qui évoquait des sentiments à la fois simples et subtils, mon score n’était en aucune façon une partition typique, et j’ai été ravie de découvrir que tant de gens l’avaient appréciée. C’était également très émouvant, parce que lorsque j’ai reçu ces récompenses, je venais d’emménager à Los Angeles, et j’avais des difficultés à m’adapter à la ville et à son mode vie, et cela m’a encouragée à persévérer. J’estime que c’est aussi une reconnaissance de tous les efforts que ma mère à déployés en travaillant très dur pour me permettre une éducation qui m’a donné la possibilité d’étudier aux USA et de poursuivre mon rêve de composer pour le cinéma.

 

 

Vous avez usé d’influences celtiques dans Pradolongo pour symboliser la terre de Galicie, et vous avez déclaré dans une interview que vos influences musicales émanaient de nombreux genres : classique, jazz, musique du monde, musique de film…Préférez-vous les mélanges de genres ? Est-ce ainsi que vous souhaitez composer ?

 

 

Ce n’est pas tant les mélanges de différents types de musique que je recherche, mais plutôt que la partition composée soit déterminée par l’histoire, le visuel, la lumière, les sentiments… J’ai un faible pour la fusion musicale, mais seulement lorsqu’elle peut être utilisée dans le film. Mon objectif principal lorsque je compose pour l’image est d’écrire une partition qui se fond parfaitement dans le film et l’élève en y ajoutant une dimension supplémentaire.

 

Vous utilisez de nombreux instrument folkloriques. Avez-vous une attirance particulière pour ces instruments, plutôt que d’utiliser un orchestre conventionnel ?

 

 

J’aime vraiment les instruments de tous les coins du monde, mais j’apprécie aussi les possibilités d’un orchestre symphonique. Encore une fois, cela dépend des besoins de chaque projet. Il est parfois plus sûr et plus rapide d’enregistrer avec un orchestre symphonique, les musiciens y étant en général excellents pour déchiffrer rapidement une partition et capables de la jouer impeccablement du premier coup. Les instrumentistes folk sont aussi d’excellents musiciens, mais ils sont moins entraînés à lire aussi rapidement la musique, et ils jouent de façon plus libre et intuitive, ce qui peut parfois entraîner les compositeurs à éviter de les utiliser. J’essaie juste de n’avoir peur de rien, si je ressens le besoin de faire appel à un instrument particulier, je le fais, je me familiarise avec, je trouve un instrumentaliste, et je convainc le réalisateur que cela vaut la peine de passer plus de temps lors de l’enregistrement parce que le résultat final sera bien meilleur.

 

 

Y a-t-il un genre de cinéma vers lequel vous êtes particulièrement attirée, musicalement parlant ?

 

 

Je ne crois pas. Je tends à favoriser les films dramatiques, mais pas nécessairement d’un point de vue musical. Je ne compose pas en pensant au genre du film ou au type de musique qui va avec. J’aborde chaque film de façon unique, et je conçois mon score sur des caractéristiques spécifiques indépendantes du genre du film. Si l’histoire est bonne, elle peut offrir un mélange complexe d’émotions qui ne peuvent pas être simplifiées.

 

 

Vous vivez maintenant à Los Angeles. La musicienne britannique Jane Antonia Cornish a dit que lorsqu’elle s’est installée en Californie, c’était pour elle, en tant que jeune artiste européenne, un acte de foi. Et pour vous ?

 

 

C’est bien de la citer, parce que je la trouve excellente, et j’espère vraiment voir plus de femmes compositrices. Les femmes sont une minorité dans l’industrie cinématographique, et en particulier dans la musique de film, et je ne comprends pas pourquoi. Ma décision de partir pour Los Angeles était aussi un acte de foi, et j’ai vraiment dû me convaincre, et convaincre mes proches que c’était le bon choix et qu’un tel effort serait bénéfique. Je n’y suis que depuis cinq mois, et la composition pour le cinéma est un travail de longue haleine, difficile donc de dire ce que ça va donner. Mais j’espère toujours, et je sens aussi qu’il devient moins indispensable de vivre à Los Angeles, ou n’importe où ailleurs, parce que la communication s’est énormément développée et est devenue beaucoup plus abordable. La plupart des compositeurs envoient maintenant des pistes complètes par internet pour validation et les enregistrent dans une autre ville. Il n’est plus nécessaire de se trouver dans la même ville que le réalisateur ou le producteur. C’est plus une peur psychologique que de nombreux réalisateurs développent encore, mais les choses changent rapidement.

 

 

Quels sont vos projets à venir aux USA, en Espagne, ou qui sait, en France ?

 

 

J’ai récemment composé la musique pour un court-métrage que j’aime beaucoup, du réalisateur New-Yorkais Craig Macneill. J’ai aussi deux autres courts en préparation, et un long-métrage, mais comme rien n’est signé et qu’on ne peut jamais être sûr jusqu’au dernier moment, je ne veux pas anticiper. Tous ces projets sont américains, mais j’espère également pouvoir travailler sur des films européens. J’apprécie particulièrement le cinéma français, ce serait pour moi un rêve de d’apporter mon point de vue musical à des films français. J’espère aussi pouvoir continuer à travailler en Espagne et collaborer avec des réalisateurs que j’admire depuis l’enfance, ainsi que certains nouveaux venus talentueux.


 

Au-delà d’une carrière fructueuse dans la musique de film, avez vous un rêve musical particulier ?

 

 

Mon rêve est de conserver la passion, l’enthousiasme et la volonté de continuer à composer et à apprendre, quels que soient mes succès et mes échecs. Je souhaite composer de la musique de chambre, des pièces orchestrales, des ballets, des chansons, de la musique pour les nouveaux médias, audiovisuels mais aussi tout autre forme d’art que je trouverais intéressante, originale ou offrant un défi. Et j’aimerai faire jouer autant de mes compositions que possible, parce que rien n’est comparable à la joie que l’on éprouve à entendre sa musique interprétée par d’excellents musiciens.

 


Entretien réalisé par Olivier Desbrosses & Florent Groult.

Traduction : Olivier Desbrosses.

Photographies : © Zeltia Montes / Julio Rodriguez.

Musique : © Zeltia Montes.

www.zeltiamontes.com

Olivier Desbrosses
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