Hommage à James Horner (3)

Troisième volet de notre hommage à James Horner

Portraits • Publié le 09/07/2015 par et

 Troisième volet de l’hommage d’UnderScores à James Horner (si ce n’est déjà fait, vous pouvez également consulter les deux précédents volets ici et ici) : deux nouvelles listes proposées par Florent Groult et Pierre Braillon, qui vous invitent à redécouvrir quelques titres de plus dans la filmographie pléthorique du compositeur.

O.D.

 

FLORENT GROULT – Rédacteur en chef adjoint d’UnderScores depuis 2008


Pour chacun d’entre nous, il est forcément des disparitions de personnalités qui résonnent plus que d’autres. James Horner est tout simplement l’un des premiers compositeurs dont j’ai découvert la carrière alors même que le virus de la musique de film venait à peine de m’emporter irrémédiablement. C’est sans grande surprise avec Willow que j’entrais dans son monde, le film restant encore à l’époque, quelques années après sa sortie en salles, le seul palliatif cinématographique pour tout lecteur assidu des écrits de J.R.R. Tolkien. Cette découverte fut alors, je l’avoue bien volontiers, l’une de celles qui gravent l’esprit à jamais.

 

De Wolfen à A Beautiful Mind (Un Homme d’Exception), de Star Trek II: The Wrath Of Khan (Star Trek II : la Colère de Khan) à All The King’s Men (Les Fous du Roi), de Something Wicked This Way Comes (La Foire des Ténèbres) à tout récemment Wolf Totem (Le Dernier Loup), j’ai appris avec le temps à connaître et apprécier la musique d’Horner, à en mesurer les forces et les faiblesses selon mon propre goût et mes attentes toutes personnelles. Car malgré l’admiration authentique que je porte au compositeur, je ne voue pas pour autant à sa musique une indéfectible passion en toutes occasions. Si je n’ai jamais trouvé à redire aux choix de ses influences (qui n’en a pas ?) ou à sa manière de tirer parfois des éléments des répertoires classique ou folklorique pour les tourner à son avantage (après tout, des compositeurs parmi les plus grands de l’histoire de la musique l’ont fait), je suis encore et toujours perplexe quant à son habitude de systématiser certains de ses schémas narratifs et figures musicales, en usant et abusant au point de rendre plus d’une fois ses partitions terriblement prévisibles. On objectera bien sûr que tout cela est d’une indiscutable cohérence dans ce qu’il convient d’appeler une œuvre au sens noble du terme. Mais s’il est acquis que l’impact de la musique d’Horner à l’image soit bel et bien réel pour un large public, il est tout aussi probable qu’il puisse s’en trouver parfois considérablement amoindri aux yeux et aux oreilles du mélomane (et cinéphile) averti.

 

Passée cette réserve, même si elle est de taille, Horner avait de sacrés atouts à faire valoir, au premier rang desquels un bagage musical savant et fourni dont il savait admirablement tirer parti, un don inné pour la mélodie, un son d’une belle et constante sophistication, qu’il s’agisse de manier les forces orchestrales ou l’outil synthétique. Mais plus que tout peut-être, il avait notoirement un sens aigu des besoins émotionnels de l’image et du récit. Joie, tristesse, peur, colère, anxiété, triomphe… Ainsi qu’on peut le dire d’un peintre, il savait indéniablement selon moi saisir l’émotion humaine et la manier d’une façon qui n’appartenait qu’à lui, pour la diriger ensuite droit au cœur et effleurer celui-ci en surface ou au contraire le bouleverser en profondeur et durablement. Là sans doute réside le secret des plus beaux succès du compositeur.

 

De là, réduire sa carrière à seulement dix partitions devient rapidement une gageure tant elle revient immanquablement à laisser sur le carreau des titres renfermant des séquences musicales d’une quasi perfection : la merveilleuse ouverture de The Land Before Time (Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles), le climat de peur et d’urgence de l’acte final d’Aliens (Aliens, le Retour), la brutalité implacable de l’embuscade de Clear And Present Danger (Danger Immédiat), l’envol triomphal et majestueux de ce drôle d’oiseau qu’était la fusée Saturn V d’Apollo 13, ou plus récemment la fragilité sonore du fascinant écosystème bioluminescent d’Avatar, pour ne citer que celles qui me viennent le plus naturellement à l’esprit…

 

 

BRAINSTORM (1983)

Toute de mouvements et de violents contrastes, cette musique saisissante, fascinante même, est un coup d’éclat qui remue le corps et l’âme à chaque nouvelle écoute ! Elle est du reste peut-être la meilleure preuve du savant et précieux bagage musical que le compositeur a apporté avec lui lorsqu’il a abordé le cinéma.

 

 

 

KRULL (1983)

Foisonnante, spectaculaire, flamboyante ! Entre romance et cavalcades vigoureuses portées par la brillance des trompettes et la noblesse des cors, menée surtout avec une énergie juvénile qui force le respect et emporte tout sur son passage, Krull est un ballet, un feu d’artifice en Technicolor dont la générosité mêlée de candeur évoque quelque épopée d’antan. Un candidat capable de raviver à sa manière l’esprit des fameux petits « opéras sans paroles » de Korngold.

 

 COCOON (1985)

Un ton fantasque de swing jazzy léger et joyeux, une inspiration mélodique qu’on ne présente plus et des climats frémissants de fantastique : la spontanéité et l’optimisme apparents qui semblent gouverner cette musique chargée d’énergie positive, emblématique du cinéma de son temps, est à l’oreille de l’enfant des années 80 que je suis tout à fait inestimable.

 

 

THE NAME OF THE ROSE (LE NOM DE LA ROSE) (1986)

Horner nimbe d’emblée le monastère d’une brume sonore à la fois glauque et morbide, superbement pernicieuse pourrait-on dire, et d’une saisissante sophistication. Il n’en dévoile que mieux, un à un, les plus ténébreux et vils tourments profondément humains que le lieu renferme, et fait jaillir de cette fange le plus lumineux, pur mais éphémère, des sentiments. Tout simplement parfait.

 

 

WHERE THE RIVER RUNS BLACK (QUAND LA RIVIÈRE DEVIENT NOIRE) (1986)

Une autre atmosphère synthétique aux effluves souvent diffuses et beaucoup plus subtiles qu’il n’y paraît : grâce au compositeur, il flotte dans l’air de ce film un genre de poésie musicale indéfinissable, étrange, intemporelle et magnétique, à laquelle je ne me lasse jamais de succomber. Depuis des années, l’un de mes plus fermes coups de cœur dans sa filmographie.

 

 

 WILLOW (1988)

On ne saurait renier son premier amour, d’autant que s’il affinera bien sûr son écriture par la suite, jamais Horner ne refera entendre une approche aussi viscérale de la plus pure heroic fantasy, des climats de merveilleux aussi authentiquement étincelants et envoûtants, ponctués de petits maelströms de noire et âpre violence et d’élans éminemment valeureux. La pierre est peut-être encore brute, mais Willow est bien le diamant décrit par beaucoup.

 

SNEAKERS (LES EXPERTS) (1992)

Le suspense à la Horner trouve l’une de ses plus belles sources ici, dans cette combinaison assez méconnue et pourtant particulièrement passionnante tant elle est chatoyante : les couleurs de l’orchestre, le timbre suave et moderne du saxophone soliste, les martèlements vigoureux du piano, les interventions ensorcelantes du chœur féminin, absolument tout y est excellemment et savamment dosé.

 

 

THE MAN WITHOUT A FACE (L’HOMME SANS VISAGE) (1993)

Sans doute touché par la grâce, Horner signe là l’une de ses partitions les plus touchantes, au cheminement émotionnel délicat et à la luminosité travaillée sous toutes les coutures, d’un bout à l’autre de l’attachant film de Mel Gibson : une musique feutrée, intime et sincère qui est avant tout un modèle de sensibilité.

 

 


LEGENDS OF THE FALL (LÉGENDES D’AUTOMNE) (1994)

J’ai toujours préféré au pourtant magnifique Braveheart, composé l’année suivante, la plénitude sonore et les développements merveilleusement mélodramatiques de ce Legends Of The Fall. Trônant en majesté, l’orchestre y chante, y pleure et se bat avec dignité, les lignes mélodiques y sont tout bonnement irrésistibles et l’imbrication des différents thèmes exemplaire. Avec Horner aussi, le romanesque pouvait être carrément somptueux.

 

 BEYOND BORDERS (SANS FRONTIÈRE) (2003)

Synthétiseurs, configuration orchestrale allégée, flûtes et voix ethniques, et une manière raffinée de s’appuyer sur les différents folkores. Une étrange et hypnotique mélancolie paraît habiter cette partition hybride, étonnamment épurée au regard des autres contributions du compositeur depuis les années 90 : n’y recherchait-t-il pas justement un genre de pureté ? Avec le tribal et saisissant Apocalypto, c’est en tout cas la dernière de ses musiques qui m’a fait la plus forte impression.

 

 

 

PIERRE BRAILLON – Rédacteur pour UnderScores depuis 2012


Etre privé du compagnonnage de quelqu’un ramène souvent brutalement à la surface de notre mémoire les premiers moments partagés. Parmi eux, celui de la première rencontre prend un éclat particulier, puisque s’y ajoute alors par la force des choses le reflet de celle que l’on sait avoir été la dernière. Si les artistes de renommée mondiale sont rarement des compagnons de notre quotidien, leur œuvre l’est, et c’est par elle que nous vivons ces émotions particulières et éprouvantes liées à l’annonce d’un décès célèbre. Et c’est James Horner qui est aujourd’hui, hélas, l’objet de ces remémorations.

 

Pour ma part, je crois qu’il a toujours été là, force vive essentielle de ma vie intérieure et de mon imaginaire. La première fois que j’ai entendu sa musique en salle, c’était dans Willow, à l’âge où l’on commence à choisir les films qu’on ira voir, et la première fois que je l’ai écouée, c’était sur le 33 tours tiré du Nom de la Rose, emprunté, comme toute ma discothèque déjà virtuelle à l’époque, à la bibliothèque municipale de ma ville natale.

 

Mais Horner n’a pas été qu’un compagnon de cinéma. Il a aussi accompagné beaucoup des soirées de jeu avec mon groupe d’amis, et au plus fort du succès du jeu de rôle, mieux que la A-list hollywoodienne, Horner était dans celle des musiques les plus recommandées pour rendre une partie inoubliable, avec deux classiques mis à toutes les sauces: Willow… et Le Nom de la Rose ! Je crois que je n’ai jamais autant écouté ces deux disques qu’en lançant des dés et en improvisant des dialogues sentencieux. Ensuite ce fut Aliens, bande originale idéale, inévitable et unique du jeu de plateau Space Hulk, directement et officieusement inspiré du film de Cameron.

 

Ce n’est que vers le milieu des années 90 qu’Horner redevint pour moi simple compositeur de musique de film, et comme beaucoup, c’est aussi le moment où j’ai cessé de suivre systématiquement son parcours, pour les raisons objectives souvent évoquées: auto-citations, panne d’inspiration et tendance à la lourdeur et au pompiérisme kitsch. Mais c’est sans doute aussi à cette période que les plus beaux épisodes de mon histoire avec Horner se sont écrits. D’abord avec l’éblouissement ressenti à l’écoute, au casque, dans un supermarché de la culture, des premières mesures de Legends Of The Fall, mon Titanic à moi : j’avais été voir le film avec une fille dont j’étais éperdument amoureux. Puis surtout Braveheart, au cœur duquel j’ai trouvé la merveille qui servit d’inspiration et d’illustration musicale à un de mes courts métrages animés réalisé au fil de merveilleuses année étudiantes. Si j’avais réalisé ces rêves qu’Horner accompagnait, nul doute que c’est à lui que j’aurais été demander une partition pour un film animé.

 

Il m’est impossible de penser à Horner et à sa musique sans revivre par le souvenir un moment marquant et regretté de ma vie, et par là, sans me sentir envahit d’une immense mélancolie. C’est sûrement le sentiment qui domine mes partitions préférées, de très loin. Je crois que je ne peux pas écouter trois mesures d’une pièce montée comme Avatar ou Titanic, mais la simple montée de clavier du piano rythmant The Man Without A Face (L’Homme sans Visage) m’arrache immédiatement à moi-même.

 

Je ne sais pas si Horner va me manquer. Il a été sans doute le compositeur le plus intimement proche des émotions que j’ai vécues, peut-être même les a-t-il parfois fait naître. Je ne vois guère que Georges Delerue, Danny Elfman ou John Barry auxquels je puisse le comparer. Si la perte de l’homme rend ses proches inconsolables, pour ma part, j’ai éprouvé une étrange sérénité à réécouter les disques que j’ai choisis ici, avec au bout du compte ce sentiment que l’œuvre, maintenant terminée, est aussi magnifiquement achevée. Où qu’il soit maintenant, je ne crois pas que James Horner puisse rencontrer ou ressentir quoi que ce soit qu’il n’ait déjà évoqué par sa musique.

 

ALIENS (ALIENS, LE RETOUR) (1986)

Composée en une paire de semaine, à coup d’emprunts qu’on lui reprochera longtemps (et pourtant, comme on peut le comprendre, vu les délais imposés par Cameron !), Horner aboutira à la musique séminale du bellicisme space opera. Peut-être, à son corps défendant, le vrai fondement du scoring d’action moderne à coup de percus omniprésentes et de cuivres montant et descendants.

 

 

FIELD OF DREAMS (JUSQU’AU BOUT DU RÊVE) (1989)

Kaléidoscope musical comme James Horner en composa rarement, mélangeant ambiances électroniques et mélodies americana, chaque facette de ce disque délicat ajoute un reflet à ce qui finit par être, comme le film, un beau voyage d’une fausse évidence dans la rêverie d’un homme et d’un pays, dont on ne pourra pas dire si elle aura été triste ou gaie, exaltante ou délirante, touchante ou inquiétante.

 

 

THE MAN WITHOUT A FACE (L’HOMME SANS VISAGE) (1993)

Le compositeur repousse la facilité en refusant d’alterner sombre suspense et épanchement lacrymal salvateur. Au contraire, dès son ouverture, il s’intéresse surtout au voyage que vont accomplir le maître et l’apprenti, de deux douleurs inquiètes et solitaires à une affirmation de soi éclatante et presque solaire. La ritournelle rythmique que le piano vient égrener régulièrement sous la mélodie reste l’une des idées musicales les plus marquantes d’Horner.

 

LEGENDS OF THE FALL (LÉGENDES D’AUTOMNE) (1994)

Un chef d’œuvre, une des plus belles musiques écrite pour un film, mêlant à l’inspiration que j’évoque plus bas à propos de The New World à celle plus belliqueuse et tragique des musiques qu’Horner composa pour des films mettant en scènes de grand conflits humains. Epique, grandiose, jamais grandiloquent ni pompier, un voyage musical sans retour où les tourments de l’âme humaine rencontrent les forces les plus profondes gouvernant la nature.

 

BRAVEHEART (1995)

Autre grand chef d’œuvre épique, et rencontre déterminante avec l’inspiration celtique. Comprenant instinctivement la dynamique du cinéma de Gibson, Horner déploie une musique sans demi-mesure. Mais c’est dans ses moments les plus délicats que Braveheart révèle ses plus beaux trésors, comme le plaidoyer de la princesse pour la vie de Wallace souligné d’une flûte fragile et tremblante, simple comme une de ces ballades traditionnelles, et tout aussi bouleversante.

 

CASPER (1995)

Avec tact, le compositeur nous réconforte avec la berceuse de Casper, dont la délicatesse entêtante mérite qu’on retienne ici le score entier, même s’il a les mêmes défauts que tous ses scores pour films animés : un apport musical parfois surchargé. Mais qu’importe, avec Horner, un score ne vaut parfois que pour un morceau fabuleux de 10 minutes. Ici, il lui en faut moins de 6 pour tutoyer les étoiles, nous crever le coeur et prendre la main de tous ceux qui ont été des enfants.

 

THE MASK OF ZORRO (LE MASQUE DE ZORRO) (1998)

Après avoir régulièrement enfilé en douce la cape et l’épée (Krull, Willow), Horner peut enfin ferrailler au grand jour. Et avec quel panache ! Les cavalcades haletantes, les coups d’éclats, les gants jetés au visage, les bottes secrètes, tout est là avec une conviction digne de Korngold ou Rosza. Jamais Horner ne retrouvera un tel romantisme juvénile, une grâce si spontanée. Un disque de petit garçon, celui dont il rêvait quand, à 8 ou 9 ans, il avait déjà décidé de consacrer sa vie à la musique.

 

THE NEW WORLD (LE NOUVEAU MONDE) (2005)

Lla composition est l’écho musical parfait de la vision panthéiste du cinéaste. Si l’expérience fut si douloureuse pour Horner, c’est que le projet lui tenait profondément à cœur, et que Malick a peut-être su le pousser à mettre à nu sa sensibilité la plus profonde. Jamais Horner n’a exprimé avec autant d’écho et de dénuement musical cette veine traversant toute son œuvre et cherchant à exprimer l’exaltation éprouvée devant le spectacle d’une nature presque intouchée.

 

APOCALYPTO (2006)

Un disque stupéfiant, parfois expérimental, dans lequel le compositeur cherche à exprimer très littéralement la recherche d’authenticité paradoxale de Gibson, puisque la culture au centre du film à disparu et doit être reconstruite de toute pièce. Les incursions de voix masculines presque sépulcrales, entre cris, lamentations et psalmodies, allant parfois jusqu’à abandonner le registre vocal pour tomber dans le grondement, le souffle voire l’onomatopée, qui rendent ce score totalement unique.

 

THE SPIDERWICK CHRONICLES (LES CHRONIQUES DE SPIDERWICK) (2008)

Superbe voyage, à dos de griffon, dans une fantasy automnale dont Horner réussit à célébrer à la fois l’émerveillement magique, mais tout autant la part inquiétante, et la bouffonnerie dont on ne sait s’il faut rire ou trembler. Un disque d’autant plus précieux qu’Horner n’eut que très peu l’occasion de s’essayer au fantastique féérique, et qu’il livre ici un travail superbement abouti. Oubliez le surestimé Willow, la vraie perle, c’est celui-là.

 

 

 

Florent Groult
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