Armando Trovajoli (1917-2013)

La voix de Rome s'est éteinte

Portraits • Publié le 06/03/2013 par

«La voix de Rome s’est éteinte.» C’est par ces mots que Gianni Alemanno a salué la disparition d’Armando Trovajoli, survenue le 28 février dernier, à l’âge vénérable de 95 ans. Bien sûr, le maire de la capitale italienne rend ici avant tout hommage à l’homme qui, en 1962, au détour d’une comédie musicale (Rugantino), a doté sa ville de l’un de ses plus beaux hymnes, la célèbre chanson Roma nun fa’ la Stupida Stasera. Mais cette jolie formule à elle seule suffit également à souligner la place qu’occupait dans le cœur des italiens un compositeur dont le nom n’est pas excessivement connu ailleurs, ni des cinéphiles ni même – il faut bien l’avouer – des passionnés de musique de film dans leur ensemble.

 

Né le 2 septembre 1917, Trovajoli est pourtant l’un des musiciens italiens les plus réputés et les plus importants qui, pendant près de 60 ans, a fidèlement accompagné le cinéma de son pays. Diplômé de la fameuse Académie Nationale Sainte-Cécile, il se fait d’abord connaître comme pianiste de jazz à la fin des années 40, accompagnant à Rome comme à Paris des artistes aussi prestigieux que Duke Ellington, Miles Davis, Djando Reinhardt ou Louis Armstrong, avant d’être embauché comme chef d’orchestre par la RAI où il côtoiera notamment Piero Piccioni. En 1949, il débute à l’écran dans l’ombre de Goffredo Petrassi pour la musique du classique Riso Amaro (Riz Amer), produit par l’inévitable Dino de Laurentiis. Et c’est à ce dernier que le compositeur doit de travailler en 1952 pour Anna, un film mis en scène par Alberto Lattuada (la partition originale a été confiée à Nino Rota) qui apporte à Trovajoli une notoriété instantanée en tant qu’auteur de la chanson El Negro Zumbon qui deviendra un énorme succès populaire. On s’empressera d’ailleurs d’y joindre Che m‘è ‘mparato ‘a fa, autre tube interprété cette fois en 1957 par Sophia Loren, sans doute l’actrice dont la présence jalonne le plus la filmographie du musicien.

 

Sa carrière ainsi lancée, Trovajoli enchaîne les projets cinématographiques pour les genres les plus divers, y compris l’animation avec par exemple Le Avventure di Topo Gigio en 1961 ainsi que différents registres (péplum, science-fiction) du cinéma bis italien, typiques de leur époque : La Schiava di Roma (L’Esclave de Rome), Ercole alla Conquista di Atlantide (Hercule à la conquête de l’Atlantide), Tempi Duri per i Vampiri (Les Temps sont durs pour les Vampires), Maciste, l’Uomo più Forte del Mondo (Maciste, l’Homme le plus Fort du Monde), Il Gigante di Metropolis (Le Géant de Metropolis), Seddok, l’Erede di Satana (Le Monstre au Masque), Lycanthropus (Le Monstre aux Filles), Ercole al Centro della Terra (Hercule contre les Vampires)…

 

Mais son style volontiers tourné vers un jazz raffiné et des arabesques légères et lumineuses fera avant tout du compositeur le spécialiste incontesté des comédies dites «à l’italienne» aux côtés de partitions plus dramatiques tout aussi envoûtantes. Il travaillera ainsi avec certains des plus grands cinéastes italiens dont Sergio Corbucci, Mario Monicelli, Tinto Brass, Mauro Bolognini, Vittorio De Sica et Luigi Magni, entretenant souvent de longues collaborations en particulier avec Dino Risi ou Ettore Scola qu’il accompagnera de Se Permettete Parliamo di Donne (Parlons Femmes) en 1964 à Gente di Roma en 2003.

 

Parmi les quelques trois cents longs métrages à son actif, citons simplement La Ciociara (Paysanne aux Pieds Nus), I Mostri (Les Monstres), Ieri, Oggi, Domani (Hier, Aujourd’hui et Demain), Matrimonio all’Italiana (Mariage à l’Italienne), Le Bambole (Les Poupées), Casanova ’70, L’Arcidiavolo (Belfagor le Magnifique), Riusciranno i nostri Rroi a Ritrovare l’Amico Misteriosamente Scomparso in Africa? (Nos Héros retrouveront-ils leurs Amis mystérieusement Disparus en Afrique?), Noi Donne Siamo fatte Così (Moi, la Femme), Sessomatto (Sexe Fou), Profumo di Donna (Parfum de Femme), C’eravamo Tanto Amati (Nous nous sommes tant aimés), Brutti, Sporchi e Cattivi (Affreux, Sales et Méchants), I Nuovi Mostri (Les Nouveaux Monstres), Una Giornata Particolare (Une Journée Particulière), Una Spina nel Cuore (Une Epine dans le Coeur), La Cena (Le Dîner)… Hormis à l’occasion de co-productions (La Nuit de Varennes d’Ettore Scola en 1982), ses incursions en France sont anecdotiques (Plus beau que moi tu meurs pour Philippe Clair, Frankenstein 90 pour Alain Jessua).

 

Le compositeur disparaît aujourd’hui alors qu’il travaillait à une adaptation satirique de Tosca, l’opéra de Puccini En 2010, à l’âge de 92 ans, il signait son ultime partition pour le cinéma, la musique de La Vita é una Cosa Meravigliosa : au vu d’une carrière aussi riche et fructueuse, gageons que la vie fut en effet pour Armando Trovajoli une chose merveilleuse… Adieu Maestro.

 

Florent Groult
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