Pierrebrrr a écrit :Mais qu'importe, ce film, je l'ai d'abord vécu comme une expérience plastique, Nolan prouvant qu'il est définitivement un faux réaliste- à quel milliardaire viendrait-on saisir la voiture 1/2 journée après l'annonce d'une "ruine" ?- mais au contraire, un vrai cinéaste visuel original
Je te soupçonne d'avoir bu comme du petit lait les déclarations carrément ahurissantes de Nolan, qui se targue d'avoir non seulement réalisé l'oeuvre la plus gigantesque de sa carrière (au vu des proportions de la chose, difficile de lui donner tort), mais aussi d'avoir offert à la postérité le film le plus démesuré depuis l'époque du muet. Soit, pour tenir de scrupuleux comptes d'épicier, depuis pas moins de 80 ans. Montrons-nous charitables et jetons un voile pudique sur la douce mégalomanie du monsieur, pour souligner son intention manifeste de raconter une histoire aux airs de fresque par le truchement majeur des images, comme opéraient jadis des cinéastes de la trempe de Griffith. Mais voilà : pour excitantes qu'elles soient, ces références ne sauraient être plus éloignées de l'esprit outrageusement didactique de l'ami Christopher. Un type qui, pour donner chair à ses protagonistes et ses scripts ultra-denses, a toujours moins fait confiance à la caméra qu'aux innombrables dialogues qu'il aime à enfourner dans la bouche de personnages volubiles. Evidemment,
The Dark Knight Rises ne cherche même pas à se soustraire à la tyrannie de ces mots sursignifiants. Au bout d'à peine trois quarts d'heure de métrage, on a déjà l'impression que Bruce Wayne et consort ne s'expriment que par aphorismes sentencieux.
Derrière ce pragmatisme hypertrophié, on devine autant la peur panique d'égarer le public en chemin qu'une suffisance un rien méprisante envers les Bouffeurs de Pop-Corn, dont les efforts consacrés au processus de mastication ne doivent pas leur laisser beaucoup de temps de cerveau disponible. Du coup, notre homme s'est retrouvé à cadenasser tel un coffre-fort hermétique jusqu'au moindre recoin d'
Inception, l'expurgeant de sa matière onirique, et donc de sa part d'imprévu, pour en faire un très cartésien film de casse (et s'il y a un genre qui ne tolère en aucune façon l'a-peu près et les atermoiements narratifs, c'est bien celui-ci). La même sensibilité terre à terre est à l'oeuvre dans la trilogie
Batman, dont presque tous les vilains ont fait les frais d'une "normalisation" à tout crin : le Scarecrow, emblème de nos plus cauchemardesques frayeurs, est devenu un guignol coiffé d'un sac à patates ; là où Harvey Dent prenait formidablement vie, son excroissance défigurée Two-Face buvait le bouillon ; et aujourd'hui, en lieu et place du colosse surhumain capable de tout dévaster sur son passage, Bane n'est plus qu'une demi-portion anorexique que le Caped Crusader affronte dans de molles algarades.
Où se planque-t-il donc, le
"cinéaste visuel original" ? A mes yeux, nolan restera ce paradoxe déroutant, qui se complait film après film dans sa petite routine naturaliste (réalisation fonctionnelle qui ne décolle jamais, bla-bla trop systématique et pompeux pour ne pas très vite lasser) alors qu'il enquille sans discontinuer les projets gavés d'extravagances graphiques et thématiques, de super-héros torturés, de magiciens revanchards et d'écumeurs des rêves. Avec un tel pedigree, comment certains ont-ils pu benoîtement envisager que cette ultime (la bonne blague) aventure du chiroptère de Gotham allait ramener à la vie la dépouille, depuis longtemps momifiée, d'un 7ème art immensément expressif et naguère incarné par
The Birth of a Nation, Metropolis ou
The Crowd de King Vidor ? C'est là un univers cinématographique auquel l'intellect trop hiérarchisé de Nolan lui interdira toujours l'accès.