L’Âge d’Or de la comédie musicale égyptienne

#2 : Les chanteuses à la voix d'or

Dossiers • Publié le 09/07/2018 par

SABAH : l’Étoile Libanaise (1927-2014)


Sabah reste l’une des artistes arabes les plus renommées et célèbres au monde. Sa carrière au cinéma, commencée au milieu des années 40, se poursuit jusque dans les années 80, et même à plus de 70 ans, elle interprète encore quelques chansons populaires pour des émissions de variétés comme la version libanaise de la Star Academy. C’est surtout à la fin des années soixante, durant les fêtes de Noël, que l’on pouvait l’admirer dans des émissions de prestiges, à la mise en scène soignée et dédiées uniquement à son répertoire musical. Un peu l’équivalent de ce que l’on pouvait voir en France dans les shows de Maritie et Gilbert Carpentier.

 

Elle interprétera plus de 3500 mélodies, dont une bonne partie chantées dans des films souvent écrits pour elle, où elle se montre tour à tour, séduisante et provocante. À titre d’exemple, sa chanson Min Sihr Oyounak (La Magie de vos Yeux), composée par Mohamed Abdelwahab pour le film Tentations (Eghraa – 1957) d’Hassan al Imam, avait à l’époque quelque peu heurté la sensibilité des âmes prudes. Les fameux « yaaaaah » langoureux qu’elle adressait à l’acteur Shoukry Sarhan furent notamment jugés quelques peu lascifs, à tel point que Sabah dû les réenregistrer.

 

Sous le sobriquet de Sabah, qui signifie « matin » en arabe, elle interprète d’abord des airs traditionnels avant de quitter sa montagne libanaise et tourner son premier film sous la direction d’Henri Barakat, Le Cœur n’a qu’un Seul Amour (Al Qualb Louh Wahid – 1945), porté par les compositions du grand Zakaria Ahmed.

 

Sabah

 

Dans la plupart de ses chansons, on trouve des musiciens très renommés, comme Farid al Atrache dans Monsieur Rossignol (Boulboul Effendi – 1948) et La Chanson de mon Amour (Lahn Hobbi -1953), où figure l’énergique Ya Ali. L’une de ses chansons les plus célèbres est probablement la festive Zanouba, composée par Farid al Atrache pour le film Comment t’Oublier (Izhay Ansak – 1956) d’Ahmed Badrakhan. Pour Nuits Chaudes (Al Layali al Dafi Ah – 1961) d’Hassan Ramzi, Al Atrache et le poète Hussein el Sayed lui écrivent la ritournelle L’Amour de sa Mère, un hymne à la maternité léger et insouciant, aujourd’hui encore interprété par les jeunes mères arabes.

 

Parmi les compositeurs les plus fameux qui ont écrit pour elle, on peut aussi citer Mounir Mourad avec le très jazzy Ah Min Eynou, pour Le Deuxième Homme (Al Raghol al Thani – 1959) ; Baligh Hamdi, compositeur du charmant Yana Yana dans C’était le Beau Temps (Kannay Ayyam – 1970) ou encore le mélancolique Laah de Mohamed al Mougui pour La Rue de l’Amour (Chari al Houb -1958), avec le crooner Abdel Halim Hafez.

 

45 tours de Comment t’oublier (1956) / Sabah au piano avec Mohamed Fawzi dans Le Bienfaiteur (1953)

 

Pour Le Mari de ma Femme (Gouz Merati – 1961), c’est aussi Al Mougui qui compose El Gawi, un titre enjoué qui débute sur une superbe introduction musicale à l’harmonium. On note également le très orientalisant Bostani, pour cordes, flûte et chœur féminin, dans Que la Paix soit sur Vous (Salam al Habayeb – 1958). Et pui, toujours du même compositeur, il y a le rumbesque et envoûtant Bonsoir Amour dans L’Homme que J’aime (Haza Al Ragol Oheboh -1958), une belle adaptation à l’égyptienne du roman Jane Eyre, interprété par la superbe comédienne Magda. Sabah y fait une brève apparition dans un rôle de chanteuse aguicheuse qui vient jouer les troubles fêtes le temps d’une soirée.

 

Mais c’est surtout avec l’acteur-compositeur Mohamed Fawzi, surnommé « le Casanova du Nil », que Sabah va tourner fréquemment. À ce sujet, le mélodrame Le Bienfaiteur (Fael Khair – 1953) d’Helmi Rafla, mérite le détour. Mis en musique par Mohamed Fawzi et Moustapha Abdel Rahman, on y entend notamment la délicieuse chanson Golouli Min, interprétée par Sabah au piano, qui annonce son idylle avec le chanteur-vedette

 

Parmi ses quelques 85 films tournés entre l’Égypte, le Liban et la Syrie, les plus significatifs demeurent le mélo en couleur Les Mains Douces (Al Ayadi el Naima – 1963) de Mahmoud Zoulfikar, composé par Ali Ismail, La Rue de l’Amour (Chari el Hob) et les trois films en compagnie de Farid al Atrache.

 

 Sabah chante dans les bras de Yehia Chahine sous le regard de Magda al Sabahi - L’Homme que J’aime (1958)

 

On sait aussi que Sabah exigeait de présenter une chanson libanaise dans chacun de ses films, ce qui contribua à internationaliser la musique du Liban. C’est d’ailleurs dans ce répertoire qu’elle donne le meilleur de son talent lyrique, en particulier les films réalisés par le chanteur-réalisateur Mohamed Salman. On peut citer par exemple les splendides chansons d’Afif Radwan et du célèbre chanteur libanais Wadih el Safih pour le film Tu es ma Vie (Inta Omri – 1964), où figure également l’autre star libanaise, la chanteuse Samira Taoufik.

 

Il y a aussi la chanson Jib al Majouz, Aboud, composé par Mansour Rahbani, dans L’Idole des Foules (Fatinat al Jamahir – 1964), Al Basata de Suhail Arafeh, dans Bienvenue à l’Amour (Ahlan bel Hob – 1968), la superbe mélodie festive Marhabtein oua Marahabtein de Philemon Wehbe, pour le film La Joie de Vivre (Afrah al Chabab – 1964), et surtout le célèbre A Nada, (Une chanson qui apporte le bonheur à celui qui n’en a pas), écrit et composé par les frères Rahbani, dans le très rare Liban, la Nuit (Lubnan fi Lail – 1963). Cette chanson dynamique et enjouée s’inspire des rythmes de la debka, une danse traditionnelle guerrière, essentiellement pratiquées par les hommes et qui se caractérise par des pas frappés au sol. Sabah l’a aussi chanté en duo avec Enrico Macias, ce qui n’a pas manqué d’agacer un certain nombre de ses fans, Enrico étant considéré par beaucoup comme l’ennemi des arabes à cause de son soutien indéfectible à l’état d’Israël et à la cause sioniste.

 

Sabah en costume traditionnel pour une danse folklorique libanaise dans L’Idole des Foules (1964)

 

A Nada est également repris dans Le Feu du Désir (Nar Elshouq – 1970) dans une interprétation live enregistrée à l’Olympia de Paris. Sabah l’interprète à la fois en arabe et en français, vêtue du costume de fête traditionnel libanais, en compagnie des danseurs de la troupe de Roméo Lahoud. Dans ce film musical où figure également Howeida, la propre fille de Sabah, on peut aussi entendre de charmantes mélodies composées par Baligh Hamdi, Mohamed Abdelwahab et Afif Radwan.

 

Ce n’est pas la première fois que Sabah chante en français. En 1965, dans Jeune et Belle (Al Siba wa al Jamal), on peut la voir interpréter, en compagnie d’un orchestre de variété-pop, le pétulant Hally Dabki d’Elias Rahbani. Un twist savoureux, écrit totalement en français par Joseph Christo et dansé dans le film par Kegham et la gracieuse Nadia Gamal. On retrouve assez souvent, dans la musique de variété de cette époque, ce genre de cocktail musical franco-américano-arabe. Par exemple, dans les compositions de Mounir Mourad, chez Bob Azzam, l’interprète du célèbre Ya Moustafa, ou même Claude François avec le Nabout Twist. (sa première chanson et aussi son plus fameux bide).

 

Après une vie bien remplie, Sabah s’éteint à l’âge de 87 ans, dans une chambre d’un luxueux hôtel de la région de Beyrouth, le 26 novembre 2014.

 

Julien Mazaudier
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