L’Âge d’Or de la comédie musicale égyptienne

#2 : Les chanteuses à la voix d'or

Dossiers • Publié le 09/07/2018 par

LEILA MOURAD : le Rossignol (1918-1995)


Fille d’un chantre juif marocain et d’une juive polonaise, Leila Mourad est la plus grande star arabe du cinéma des années 40. Enfant de la balle, son grand-père paternel était doué pour l’oud et son père, Zaki Mourad, possédait l’une des plus belles voix de son époque. Ses frères aussi étaient des artistes, l’un deux, Mounir Mourad, deviendra même célèbre comme compositeur. En 1932, la jeune Leila est engagée pour prêter sa voix aux chansons du film Les Victimes (Al Dahaya) d’Ibrahim Lama, l’une des premières productions parlantes du cinéma égyptien où elle interprète la chanson Voyage de Jour, composée par le grand Zakaria Ahmed.

 

C’est Mohamed Abdelwahab, le grand réformateur de la chanson arabe, qui lui propose en 1938 son premier rôle à l’écran dans Vive l’Amour (Yahya Elhob – 1938) de Mohamed Karim. Elle interprète avec lui sur un balcon le beau duo musical au doux refrain, Ya di Ennaim (Je t’aime Ô mon Cœur). Dès qu’elle ouvrit la bouche pour entonner cette chanson écrite par le poète Ahmed Rami, sa voix fut immédiatement surnommée « le Carillon de l’Orient. » « Enfin le calme, mon esprit est apaisé. Mon cœur s’est tranquillisé. Mon âme connaît enfin la joie. Toi près de moi après la séparation. Nous vivons un tel bonheur, ô mon cœur, après avoir souffert. » La jeune actrice finira même par avouer au concerné cet amour, qui s’avéra non réciproque !

 

L’affiche du film L’Amour Éternel (1951) avec Anwar Wagdi et Leila Mourad

 

Une vingtaine de films vont suivre, en vingt ans de carrière. En 1949, on retrouve Leila dans l’un des plus célèbres musical égyptien, mis en musique par Abdelwahab : Flirt de Jeunes Filles (Ghazal al Banat), d’Anwar Wagdi. Sur le superbe Aahd el Hawa, grâce à la diversité de style du compositeur, on peut notamment admirer la chanteuse passer avec le même brio, d’un tango enlevé à une romance musicale plus classique. Le film raconte l’histoire d’un vieux professeur qui tombe amoureux de sa jeune élève, jouée par Leila Mourad. C’est le vétéran Naguib al Rihani, à la voix rauque et cassée, qui interprète les duettos avec Leila (Abgad Hiwaz et Ini Bitrif), confirmant par là même, ses qualités de comédien burlesque achevé. La cruelle réalité s’impose à lui. Pauvre et vieillissant, il n’a aucune chance de s’attirer l’estime de la belle mais sa vie aura été illuminée par un amour imaginaire.

 

Les talents d’actrice de Leila, sa voix douce et délicate sortant du cœur, sont fréquemment mis à l’honneur dans les productions ambitieuses de son mari Anwar Wagdi (l’Errol Flyn égyptien), qui joue régulièrement à ses côtés. Parmi ses réussites les plus notables, on peut citer Ambre (Anbar – 1948), qui comprend de superbes numéros musicaux composés par Mohamed Abdelwahab, et L’Amour Éternel (Habib al Ruh – 1951), mis en musique par Riad al Sombati et Ahmed Sedki. Sur ce dernier film, on peut d’ailleurs relever un passage musical exquis, pour guitare et banjo, interprété lors d’une soirée par Leila et ses amis musiciens.

 

Leila Mourad et Mohamed Abdelwahab dans Vive l’Amour (1938)

 

Mais c’est aussi la série des Leila, réalisé par Togo Misrahi qui feront la réputation de la chanteuse. On peut l’admirer dans Leila, la Dame aux Camélias (Layla, Ghadet el Camelia – 1942), interprétant la très belle chanson, Qui veut Acheter mes Roses ?, composée en 1935 par Riad al Sombati et écrite par Ahmed Rami. Leila, Fille de la Campagne (Layla Bint al Rif – 1941) vaut également le détour, ne serait-ce que pour la chorégraphie envoûtante de la légendaire Tahia Carioca et les chansons profondes, d’une belle sensualité composées par Zakaria Ahmed.

 

Zakaria Ahmed (1896-1961) est une forte personnalité de la musique arabe. Influencé par les mélodies bédouines, il est né dans le vieux quartier du Caire, d’une mère turque et d’un père originaire d’une tribu de bédouins de l’oasis du Fayoum. Il a écrit de nombreuses mélodies pour Oum Kalthoum et participe au premier film sonore égyptien, La Chanson du Cœur (Onshoudat al Fouad – 1932), de Mario Volpi, avec la grande chanteuse Nadra. Surnommé « le Sheik des compositeurs », il compose un très grand nombre de chansons (plus de 1000) dont plusieurs pour des films musicaux. On lui doit aussi une bonne cinquantaine d’opérettes. Dans Leila, Fille de Pauvre (Layla Bint al Foukara – 1945) d’Anwar Wagdi, il signe le remarquable Ya Nabeyya, qui ouvre le film. Une chanson au rythme frénétique, superbement interprété par Leila Mourad et un vaste chœur masculin munis de tambourins.

 

Le compositeur Zakaria Ahmed entouré de ses filles / Leila Mourad dans Leila, Fille de Pauvre (1945)

 

L’actrice a pris sa retraite au sommet de sa gloire en 1955 après le film L’Amoureux Inconnu (Al Habib al Majhoul) d’Hassan al Seifi, qui n’a pas tellement bien marché, mais où figure la célèbre chanson folklorique Salam Alay. On peut admirer sur cette séquence musicale la performance de la chanteuse, au côté de l’acteur Ahmed Salem et de la danseuse Nabaweya Mostafa. C’est aussi sur ce film que Leila interprète l’émouvante chanson Al Fann (L’Art), composé par Mohamed Abdelwahab et écrite par Saleh Jawdat. Ce morceau fut censuré, suite au coup d’état du régime militaire de juillet 1952, qui renversa le pouvoir monarchique en place, car elle mentionnait le Roi Farouk comme étant « le Patron des Arts »… Plus récemment, lors d’une soirée en hommage à Abdelwahab, cette chanson fut reprise par la chanteuse syrienne Asala Nasri dans une magnifique version pour ensemble de cordes et percussions. C’est d’ailleurs un véritable plaisir de pouvoir écouter les musiques de Leila Mourad dans une bonne qualité sonore, car la vétusté des films de l’époque permet mal de restituer la pleine qualité des arrangements musicaux.

 

Leila Mourad décède au Caire en 1995. Malgré les pressions incessantes d’Israël pour qu’elle aille s’y installer, elle refusera toujours de quitter l’Égypte par patriotisme.

 

Julien Mazaudier
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