Da Vinci’s Demons (Season 1) (Bear McCreary)

Le bon génie de Bear McCreary

Disques • Publié le 21/04/2016 par

Da Vinci's Demons (Season 1)DA VINCI’S DEMONS (SEASON 1) (2013)
DA VINCI’S DEMONS
Compositeur :
Bear McCreary
Durée : 127:13 | 38 pistes | 2CD
Éditeur : Sparks & Shadows

 

4.5 out of 5 stars

« History is a lie. » L’Histoire est un mensonge. C’est par ce quasi-oxymore qu’un personnage récurrent de la série Da Vinci’s Demons, identifié seulement comme « le Turc », nous prépare aux petits arrangements entre amis avec la vérité historique. David S. Goyer, scénariste, réalisateur du premier épisode et producteur de cette série, nous fait ainsi avaler quelques couleuvres qui valent leur pesant d’or. Pour commencer, il nous narre les aventures d’un Leonardo da Vinci dans la fleur de l’âge. Exit donc, l’image d’un Leonardo à la barbe prophétique et au front couvert de rides trahissant un âge avancé. Rien de tout cela. Nous avons ici à faire à un Da Vinci jeune et hétéro (l’Histoire retiendra, en filigrane, qu’il était, à tout le moins, bisexuel, mais qu’importe). Un Da Vinci ayant déjà concrétisé plusieurs prototypes de ses machines volantes ou instruments de défense (en réalité, peu d’entre eux auront passé le cap de l’esquisse). Un Da Vinci torturé par des visions oniriques des premières semaines de son enfance (on est un génie précoce ou on ne l’est pas !). Un Da Vinci non seulement en quête de perfection, mais également à la recherche de sa mère qui l’a abandonné, nourrisson. Les anciens diront que cela fera office de fil rouge durant les deux premières saisons de la série, et ils n’auront pas tort. Mais David S. Goyer n’est pas le coscénariste de Dark City ou de la trilogie du Batman de Christopher Nolan pour rien. L’ambiance de la série est en effet sombre et se vautre presque dans un ultra-réalisme assez gothique. Un comble pour une histoire censée se dérouler pendant la Renaissance… Mais qu’à cela ne tienne, la série ne sera pas sans cultiver l’art du paradoxe à plus d’une reprise.

 

Goyer est allé chercher Bear McCreary pour mettre en musique les aventures méta-historiques de son Da Vinci, lui donnant quelques directives (que l’ami Bear ne suivra pas vraiment à la lettre par ailleurs) en lui demandant de limiter l’utilisation des musiques d’époque. McCreary prendra tout de même le risque de jouer la mélodie principale du générique à la viole de gambe, instrument démocratisé en Europe par Jordi Savall. Pari risqué, mais pari réussi : le producteur est tellement ravi du thème principal qu’il décide de rallonger le générique de la série, passant d’une durée initiale de 45 secondes à celle, plus confortable, de 67 secondes, ce qui permet au compositeur de faire un rappel bienvenu de la mélodie (phrase A) dans la conclusion triomphale (figure 1).

 

Leonardo da Vinci (Tom Riley)

 

Attardons-nous un peu sur le thème principal : McCreary y utilise le système du palindrome littéraire (un mot ou groupe de mots qui, lu de la fin vers le début, donne le même résultat, comme par exemple le mot « radar ») en l’appliquant à la musique. Un procédé qui ne serait qu’une astuce comme une autre si le compositeur ne s’était pas documenté sur son travail. Car Da Vinci avait pour particularité calligraphique de savoir écrire dans les deux sens. Certains de ses travaux ne peuvent d’ailleurs être lus et compris que lorsque le texte est apposé près d’un miroir. C’est le cas du thème de Da Vinci écrit en deux phrases, A et B. La phrase A permet une approche quasi-héroïque tandis que la phrase B, aux accords plus ouvertement mineurs, permet une lecture plus mystérieuse du thème. La première note de la phrase B est la dernière note de la A, la deuxième note de la phrase B est l’avant-dernière note de la A et ainsi de suite (voir figure 1).

 

Bear McCreary propose pour DaVinci’s Demons un travail thématique remarquable. Rien que pour la première saison, il accouche de multiples mélodies ou motifs différents, un luxe qu’on ne trouve que trop rarement dans les séries TV produites de nos jours, où le sound design prédomine hélas souvent. Le thème central sera repris tout au long du score et donnera lieu à de très beaux développements comme notamment dans The Glider, Flight Of The Columbina ou bien encore Starlings, avec l’irruption de synthétiseurs et de percussions rapides. Le compositeur de Battlestar Galactica ne se départit pas de ses tics de composition (petits motifs malléables, percussions lourdes…) mais sait aussi se faire original, notamment dans l’instrumentation. En plus de la viole de gambe, mise à l’honneur au générique, apparaissent le violone (instrument à six cordes de la famille des contrebasses), le shawm (ancêtre de la clarinette), la vielle à roue, les luths, entre autres instruments d’époque. McCreary tenait à rendre un « son Renaissance » malgré les consignes du producteur, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le non respect de celles-ci fait tout le charme de la composition. Pour être plus précis, le producteur ne voulait pas entendre de musique de la Renaissance ; il voulait avant tout une approche ample et très contemporaine dans le rendu sonore (et sur ce plan, McCreary réussit parfaitement le job). C’est ainsi que le Calder Quartet (célèbre quartet à cordes) est employé dans l’ostinato qui précède l’entrée en matière du générique de début. La base est confiée au violoncelle qui joue, en arpège, un motif simple et entêtant fait de triolets (figure 2). Cet ostinato est très moderne dans son traitement : peu de notes différentes, jouées en boucle, qui accompagnent souvent le thème de Da Vinci.

 

Le Turc (Alexander Siddig)

 

McCreary n’aura de cesse que de frapper l’auditeur par des motifs récurrents, comme dans le premier épisode, qui fait la part belle à un personnage énigmatique évoqué en début d’article, « le Turc », qui possède son propre thème (figure 3). Il est interprété par un yayli tanbur qui n’est pas, comme son nom peut le laisser penser de prime abord, un instrument de la famille des percussions (c’est en fait une sorte de mini viole de gambe à la caisse de résonnance ronde et plus petite). Le thème est agrémenté de multiples sons composés de cloches et de bols frappés qui donnent un caractère diffus, presque éthéré. C’est l’un des rares thèmes à ne pas avoir de conclusion tonale, et à dessein : l’intervention de ce personnage crée un certain malaise et des interrogations mystérieuses (qui est-il ? pourquoi se manifeste-t-il auprès de Da Vinci ?). Il révèle à Leonardo l’existence d’un livre au savoir immense appelé le Livre des Feuilles. Ce dernier possède un thème qu’il partage avec celui des Fils de Mithras (figure 4), qui est souvent épaulé par un duduk (instrument à vent d’origine arménienne) et le yayli tanbur. Le thème est trouble, presque nonchalant, souvent porté par des accords vaporeux, habile mélange de tonalité et d’atonalité qui rend la quête de ce Livre des Feuilles quasi-sacrée pour Leonardo.

 

McCreary ne se contente pas de collectionner les interventions d’instruments exotiques, il utilise également une petite formation chorale, comme dans la scène d’ouverture de la saison qui voit le duc de Milan poignardé en pleine messe, créant un mouvement de panique parmi les fidèles rassemblés. On aurait pu croire que le compositeur allait déchainer tout l’orchestre pour représenter l’outrage, mais il n’utilise ici qu’un chœur masculin qui entonne des psaumes religieux pour dépeindre l’événement. L’effet produit est saisissant, d’autant plus lorsque l’orchestre de cordes et les pulsations synthétiques apparaissent pour marquer le crime.

 

Lorenzo de Medici (Elliot Cowan)

 

L’horrible nouvelle de l’assassinat du duc est rapportée aux oreilles de Lorenzo de Médicis, et McCreary fait intervenir un nouveau thème (figure 5). Enfin… pas tout à fait nouveau, puisqu’il s’agit en réalité d’une mélodie composée par un auteur de la Renaissance nommé Heinrich Isaac et dont les Médicis ont réellement employés les talents.

 

Chacun des personnages de la famille Médicis (Lorenzo, Giuliano ou Clarice) aura sa propre variation de ce thème. McCreary ne fait pas les choses à moitié : non seulement il se creuse les méninges pour dénicher un thème central haut en couleur, mais il prend aussi du plaisir à multiplier les mélodies et les motifs. Si le compositeur a moins les coudées franches que sur Human Target ou Agents Of S.H.I.E.L.D. (les budgets ne sont sans doute pas les mêmes), il compense par un sens mélodique qui éclabousse de toute sa classe l’ensemble de la série et une orchestration plutôt subtile. On peut en trouver la preuve dans le très beau thème composé pour le personnage féminin central du show télévisé, Lucrezia Donati, dont Leonardo tombe amoureux. Le thème (figure 6) est d’abord exposé par une harpe celtique, puis est repris par le Calder Quartet, une flute à bec (oui, souvenez-vous, celle sur laquelle on vous forçait à jouer au collège et dont l’origine remonte à la Renaissance !) et enfin une flute traversière, le tout avec beaucoup de sensibilité.

 

Il s’agit sans doute d’un des plus beaux thèmes que le compositeur américain ait écrit. Il est empreint de finesse tout autant que de majesté, avec un petit côté nostalgique dans le choix des accords, souvent nimbés d’une douce lumière. Il intervient dès que Lucrezia apparait à l’écran et connait de nombreux développements, notamment dans The Lullaby, où les acteurs eux-mêmes chantonnent la mélodie, puis une angélique chorale féminine sublime le morceau qui lorgne par instants vers la beauté éthérée que n’aurait pas reniée un James Horner.

 

Lucrezia Donati (Laura Haddock)

 

The Secret Archives nous dévoile un nouveau thème lugubre et malsain (figure 7) associé à la Papauté, à Rome et aux exactions commandées par le Pape Sixtus. Il sera souvent joué par des cithares, des luths ou même la viole de gambe. Et lorsque les cordes reprennent ledit thème, c’est par leurs tremolos que la menace apparait.

 

Da Vinci, dans sa quête du Livre des Feuilles, croise la route d’un autre personnage sombre et inquiétant : Vlad l’empaleur (oui, en fait, c’est bien de Dracula dont il s’agit !). Comme pour le thème de la Papauté, McCreary compose une mélodie très inquiétante, allant puiser dans le registre le plus grave des instruments à vent (figure 8), un peu comme Bernard Herrmann avait pu le faire sur Citizen Kane. L’effet de malaise est garanti.

 

L’antépénultième morceau de ce très beau double album, intitulé Easter Mass (Messe Pascale), fait la part belle aux choeurs et aux cordes pendant plus de treize minutes. Ces dernières, tantôt empreintes de mystère, tantôt remplies d’une énergie dont McCreary a le secret, louvoient entre plusieurs thèmes déjà entendus auparavant, mais sous une forme différente, pour finir par une citation quasi-triomphale du thème de Leonard. Les chœurs, quant à eux, sont souvent éthérés, même lorsqu’il s’agit de réciter, religieusement, et en latin, des textes de la Renaissance prélevés par le compositeur.

 

Bear McCreary a puisé au plus profond de son inspiration pour nous offrir une musique de grande qualité, à la fois subtile et noble, bouillonnante et échevelée. Tour à tour légère, profonde, lumineuse ou dramatique, cette partition compte parmi les plus belles pages écrites par le compositeur.

 

Da Vinci's Demons

Christophe Maniez
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