Black Emanuelle (Nico Fidenco)

Black (Emanuelle) is beautiful

Disques • Publié le 08/11/2014 par

Et Roger Vadim créa Brigitte Bardot… Par quelque bout qu’on prenne les choses, on ne voit guère que le mythe BB pour expliquer l’aura toujours vaillante de son pygmalion, à la tête d’une filmographie pourtant singulièrement médiocre. Ceci posé, les fins gourmets du cinéma bis réfréneraient presque l’envie de faire le pied de grue devant le quartier général de l’intelligentsia critique afin qu’Aristide Massaccesi, nettement plus connu sous son nom de guerre, Joe D’Amato, soit pareillement canonisé pour avoir façonné la légende (non, le mot n’est pas trop fort !) de Laura Gemser.

 

Eternelle interprète d’Emanuelle Nera, souvent rebaptisée Black Emanuelle hors des frontières transalpines, la longiligne indonésienne s’est vue propulsée du jour au lendemain icône de l’érotisme seventies grâce à l’opportunisme mercantile de Cinecittà qui, en ce temps-là, ne connaissait aucun rival. Il n’aura suffi que de lorgner d’un air gourmand le succès inattendu d’Emmanuelle, en France puis au-delà, d’amputer d’un « m » le nom de la belle croqueuse d’hommes (et de femmes !) pour s’épargner d’épineux problèmes de droits, puis de foncer sa peau d’une séduisante couleur d’ébène et le tour était joué ! Avec cette différence majeure, toutefois, que l’exotisme de carte postale de la version originelle allait peu à peu devenir une véritable vitrine pour les vices et sévices du cinéma italien alternatif. Muni de sa caméra baladeuse, ce gredin de D’Amato ne pouvait qu’être à son avantage. Pour Nico Fidenco, l’un de ses plus fidèles et précieux lieutenants, l’expérience prendrait parfois l’apparence d’un violent bizutage, dont il s’accommoderait néanmoins la tête haute à chaque fois.

 

Black Emannuelle

 

En attribuant l’entière paternité de la saga Black Emanuelle à D’Amato, ce préambule n’est pas tout à fait honnête. A dire vrai, le premier épisode (titré Black Emanuelle en Afrique chez nous) est l’oeuvre de Bitto (allons bon) Albertini, faiseur parfaitement transparent qui n’a pas vu plus loin que le le bout de son nez alors qu’on lui intimait de jeter l’impératrice du stupre dans l’enfer de la sexploitation transalpine. Le résultat, aseptisé de bout en bout, se révèle aussi inoffensif que son modèle français. Etonnamment, la musique y est d’une tout autre envergure. De la part de Fidenco, chanteur de variété très populaire qui avait inauguré, dix ans auparavant, de sporadiques incursions via quelques westerns et films d’espionnage dans le monde étrange de la musique de film, il y avait tout lieu de s’attendre à de plus conventionnels accents simili-exotiques, qu’il aurait saupoudrés ça et là de vocalises gnangnan. Mais Nico le chanteur tiré à quatre épingles et Fidenco le compositeur, qui se reconnaît pour mentor un certain Luis Bacalov, sont deux entités dépareillées. Tout en percussion roulantes et en arpèges fiévreux, le thème principal est autant une ode à la volupté d’Emanuelle, dont le nom est scandé telle une litanie brûlante, qu’aux mille et un mystères de l’Afrique. Non pas l’Afrique stéréotypée, que le peu inspiré Bitto Albertini résume à quelques proprettes images d’Epinal, mais celle, bien plus stimulante pour les imaginations fertiles, de la littérature pulp du début du XXème siècle.

 

Dans le monde des lettres également, tout était affaire de clichés, souvent racistes, maintes et maintes fois ressassés par des écrivaillons sans scrupules (et même par des auteurs d’une carrure cent fois supérieure). Il n’empêche, à travers une batterie de mélodies caressantes, moelleuses et encore un peu plus que cela, c’est bel et bien le Continent noir fantasmé jadis par l’Occident dont Fidenco nous invite à sonder les sulfureux secrets. Pour peu que l’on parvienne à faire fi des innocentes baguenaudes en tenue d’Eve dans la savane, il n’y aurait rien d’ardu à se laisser pénétrer par le battement régulier des tambours et par les insidieux glissements d’autres percussions plus insolites, puis à les accoler à une cérémonie païenne où un sorcier triturerait à grand bruit de sinistres colliers d’os humains. Oh, bien sur, la partition n’en néglige pas pour autant de dévider des interludes pop comme Hawaian Sand et Samba Safari, qu’on croirait volontiers rescapés des sixties et qui s’avèrent, au surplus, fort joliment troussés par l’expérimenté Fidenco. Las ! Ce sont manifestement les seules éminences musicales ayant accroché l’oreille des (a)mateurs d’Emanuelle, qui ont tendance à ramener les divers scores de la série à un agrégat de chouette loungeries. Le compliment est sincère, mais un tantinet réducteur. Evidemment, si l’on s’arrête au générique… Celui de Black Emanuelle Goes East (Black Emanuelle en Orient), second épisode arborant Laura Gemser en figure de proue, est des plus gratinés, qui croule sous des borborygmes cartoonesques ressemblant à s’y méprendre aux exactions vocales des frères De Angelis pour le tandem Terence Hill-Bud Spencer !

 

Black Emanuelle Goes East

 

Dieu merci, le thème d’Emanuelle ne tarde pas à remiser ce Like A Sailing Ship bouffon au rang de mauvais souvenir. Dans l’ensemble inchangé par rapport au précédent opus, ledit leitmotiv s’enrichit notablement des intonations ô combien évocatrices du sitar… ou plutôt, dixit Nico Fidenco, d’une guitare bricolée en matière de pis-aller. Reporter émérite et globe-trotteuse inépuisable, à la manière d’un Tintin qui ne rechignerait pas à s’encanailler, armée en tout et pour tout d’un appareil photo et de son sourire ingénu, notre héroïne met cette fois le cap sur l’Asie et en particulier la Thaïlande. Là, elle n’hésitera pas à donner de sa personne (vaste programme) pour déjouer un complot fomenté contre le Roi. Sans conteste, voici les premiers soubresauts d’une série sur le point de sauter des rails trop rectilignes du dépliant touristique fripon, bien que les instincts crapoteux de Joe D’Amato, fraichement arrivé derrière la caméra, soient encore bridés. Fidenco, pour sa part, ne se fait l’écho de cette nouvelle tendance qu’avec Orient Riders, déclinaison galopante du thème orientalisant qui phagocyte toute la dernière partie de l’album (nous valant, au passage, le bien nommé Bellies Orient Dance, parfait accompagnement pour une danse du ventre énergique et dénudée). Quant à l’autre mélodie majeure du score, introduite par l’éclectisme instrumental très coloré de Thailand Sweet Sound, elle dévoile au fil de ses multiples variations une parenté certaine avec l’immortel classique Breakfast At Tiffany’s. On n’y verra nullement le fruit du hasard : Fidenco n’a jamais caché envers Henry Mancini une intense admiration, laquelle, d’ailleurs, l’avait autrefois poussé à faire des pieds et des mains pour habiller de sa voix la translation italienne de Moon River.

 

Vous l’aurez deviné, dans Black Emanuelle Goes East, les doux effluves romantiques qui parfument les pérégrinations de Laura Gemser font la part belle au romantisme. Un constat se vérifiant à nouveau avec le pourtant crapuleux Emanuelle In America (Black Emanuelle en Amérique), qui ne recule cette fois devant aucune ignominie pour flatter les bas instincts du spectateur. Au gré de l’habituel scénario prétexte, Emanuelle est ainsi ballottée entre le harem d’un milliardaire pervers, des écuries très spéciales où les canassons goûtent aux soins prodigués par une intrépide houri (un zeste de zoophilie qui a plongé dans un vif embarras Giacomo Dell’Orso, orchestrateur de grand talent, ami fidèle de Fidenco et, accessoirement, époux de l’incontournable Edda, la Voix reconnaissable entre mille du cinéma italien) et, summum du raffinement, des salles de projection underground où une clientèle en manque de violents stimuli se repait des images granuleuses d’un faux snuff movie. Si le regard moyennement expressif d’Emanuelle ne reflète pas grand émoi face à cette excroissance dégénérée, hybride inattendu entre le pseudo-réalisme du mondo et les couvertures peintes des Men’s Adventure Magazines, Fidenco met un peu plus d’ardeur, lui, à discuter la fameuse moralité des images. Something Strong, de loin le morceau le plus atypique, mêle riffs de guitare revêches, lancinantes percussions au timbre métallique, flûte opiacée, pour un résultat quasi expérimental qui annihile tout ce que certains cerveaux malades auraient pu trouver d’émoustillant à cet amas de sévices ultra-graphiques.

 

Black Emanuelle In America

 

Hors l’étonnant pétage de fusibles de D’Amato, Emanuelle In America est sans discussion l’un des scores les plus langoureux de la série. Le thème originel de notre reporter de charme, déjà réduit à la portion congrue lors du précédent volet, cède sa place à un leitmotiv flambant neuf dont le compositeur va épuiser toutes les possibilités mélodiques en d’innombrables variations. Ce pourrait sonner comme une mise en garde auprès des exégètes de la musique de film italienne, rendus méfiants par des kyrielles de rééditions où les « inédits » pèsent aussi lourd que du plomb. Mais le sentiment redouté de déjà-entendu, s’il ne nous est pas entièrement épargné, demeure à bonne distance grâce au savoir-faire du compositeur. A ses instruments de prédilection, celui-ci adjoint quelques touches judicieusement pesées de sonorités électroniques qu’on qualifiera de planantes, moins pour sacrifier aux derniers reliefs du psychédélisme triomphant des sixties que pour se fondre dans un film sous l’emprise du LSD. Le récit, en effet, pullule de bien sinistres personnages droguant leurs victimes afin de dissoudre la barrière de leurs inhibitions. Tss, tss, comme si la Black Queen en personne avait besoin de se noyer dans des paradis artificiels pour connaître le suprême abandon des sens…

 

Enfin soulagé de l’alibi pauvret du cinéma rose (qu’il n’en continuera pas moins de scrupuleusement honorer), Joe D’Amato avait toute latitude pour se vautrer dans le caniveau de la série B avec une volupté d’autant plus grande que le cossu Emanuelle Around The World (Black Emanuelle Autour du Monde) lui permet de planter sa caméra dans cent décors interlopes, à Rome, à New York, à Hong Kong. Nico Fidenco, toujours un peu embarrassé par cet impudique déballage du bis, préfère agir comme si de rien n’était en bichonnant le naïf A Picture Of Love, sa nouvelle pièce centrale, dont les bois guillerets et les chabada-badas soupirés par Edda Dell’Orso auraient pu tenir lieu d’élégie au Flower Power. Ses variantes, prodiguées comme à l’accoutumée sans la moindre retenue, finissent par constituer pour le compositeur un vaste champ de balises, lesquelles lui permettent de mieux se situer sur le territoire hostile, et encore assez largement inexploré par lui, d’une Cinecittà mal famée. Deux précautions valant mieux qu’une, un second thème, pas moins délicieux que le premier grâce à ses chœurs capiteux, surgit très vite dans Concentrate On Your Mantra pour achever d’alanguir l’atmosphère. De passage en Inde, Emanuelle se trouve confrontée à un gourou pernicieux qui prétend avec emphase détenir les clés de l’éternelle vigueur sexuelle. Les cordes sinistres accompagnant son apparition, trop imprégnées d’un certain folklore de l’épouvante (on penserait presque à James Bernard) pour être prises au pied de la lettre, éventent à elles seules la supercherie. Et si ce n’était pas encore assez, le bien nommé I Am Love et ses percussions pleines de bulles se chargeraient dans la foulée d’enfoncer le clou. Il fallait plus que cette poudre de perlimpinpin pour mystifier notre héroïne, femme de chair et de sang et divinité de l’amour dans le même temps, offerte à tous mais paradoxalement inaccessible, traversant chacune de ses aventures sans paraitre le moins du monde affectée par les turpitudes terrestres.

 

Black Emanuelle Around The World

 

Ce n’est pourtant pas faute de lui avoir fait subir tous les outrages, en particulier durant cet épisode qui, dans sa version originale, ne s’intitule pas Perché Violenza alle Donne ? pour rien. La dernière partie du film, justement, la voit tomber entre les griffes d’une bande de blousons noirs, tout droit téléportés du chaos urbain du poliziottesco qui faisait alors fureur dans les salles italiennes. Les musiques de Stelvio Cipriani et Franco Micalizzi, pour ne citer que deux des petits maîtres ayant jeté leur OPA sur le polar latin, ont probablement servi de modèles à un Fidenco pas très à son aise dans l’expression d’un feeling urbain violent. A défaut d’engendrer un suspense électrisant, les ostinati synthétiques du motif associé aux bad guys, que des titres aussi explicites que White Slaves ou Bastards At Work font déferler sur un tempo chaloupé, peuvent toujours se targuer d’accomplir honnêtement le job. D’une nature radicalement différente, les silhouettes menaçantes peuplant l’opus suivant des tribulations d’Emanuelle raviveront néanmoins la muse bégayante du compositeur. Deux ans après les touffeurs africaines du film originel, le chant tribal des tambours s’élevait à nouveau des obscures profondeurs de la jungle (en réalité, un petit coin herbeux de l’Italie provinciale, qu’autorisait tout juste un budget bien plus modeste que précédemment), là où règnent encore des mœurs culinaires qu’on serait bien en peine de qualifier de raffinées.

 

L’inclination des réalisateurs transalpins à la photocopie instantanée n’est plus à prouver. Elle constitue même, de l’avis des aficionados les plus pathologiques, une part déterminante du charme qu’exhalait autrefois cette industrie d’exploitation dissolue. Deux sous-genres, toutefois, ne sont pas nés d’une volonté forcenée de dupliquer, souvent à moindre coût, les coups gagnants de la concurrence : le giallo, dont le fétichisme des gants de cuir noirs et des couteaux phalliques appartient en propre aux marchands de violence italiens, et le film de cannibales. Ceci posé, concernant celui-ci, il n’y a peut-être pas de quoi se vanter d’en détenir l’apanage. Pour un Cannibal Holocaust ayant retourné plus d’un estomac par son nihilisme primitif, combien d’ersatz opportunistes et grossiers ? Emanuelle e Gli Ultimi Cannibali (Emanuelle et les Derniers Cannibales, aussi connu sous le titre prometteur de Viol sous les Tropiques) est de cette espèce sans foi ni loi. Le thème principal ouvragé par Fidenco a beau être présenté dans une tonitruante version chantée, qui augure (jusqu’à son titre, Make Love On The Wing) une ribambelle de galipettes entre hédonistes de joyeuse compagnie, personne n’est dupe. Après bien des mutations s’étant succédé à une vitesse foudroyante, l’érotisme inoffensif des débuts s’est coulé dans les excès terminaux d’un cinéma populaire bientôt exsangue. Emanuelle elle-même fait ici les frais de ce traitement de choc. Alors que sa virtuosité buccale ramenait sans peine à de plus aimables dispositions le voyou qui la menaçait dans une séquence surréaliste d’Emanuelle In America, la grande prêtresse de la luxure se retrouve à décaniller au fusil de chasse les sauvages plus empressés que n’importe lequel de ses anciens amants à goûter son corps. La musique arbore en ces instants une nudité rudimentaire, tout juste ceinte en guise de pagne d’un petit ensemble de tambours et de maracas, de voix psalmodiant quelque chant fruste et, lors du surprenant Technocannibal, d’une ligne électronique ultra-simple qui fonce bille en tête.

 

Black Emanuelle And The Last Cannibals

 

Toutes proportions gardées, il existerait comme un petit quelque chose entre ce score et certaines oeuvres expérimentales d’Ennio Morricone telles que les litanies lugubres du giallo. Dans ces dernières, les voix, souvent féminines, donnent naissance à d’indéfinissables climats où les frontières se font poreuses entre le gémissement terrifié, le râle du moribond et les soupirs précédant l’orgasme. Mêmes interrogations chez Fidenco : ces chœurs aux résonances graves, qu’il soumet à de lancinants étirements, sont-ce les plaintes qu’arrache le paroxysme du désir ou d’étranges cantiques entonnés par les anthropophages en l’honneur d’une divinité impie ? Peu importe, leur omniprésence garantit un délicieux plaisir d’écoute, forcément très proche de celui procuré par les anciennes aventures de la Black Queen, mais répandant à satiété des effluves plus lourds et mystérieux. Cette expérience viscérale aura en tout cas tempéré les ardeurs d’Emanuelle d’explorer plus avant l’enfer vert. Dans La Via Della Prostituzione (Emanuelle et les Filles de Madame Claude), sixième volet de ses investigations brûlantes, le retour à la civilisation sera autant symbolisé par les étendues modernes de béton et d’acier où elle a maintes fois débusqué l’injustice (l’escale du jour a lieu de nouveau à New York) que par la boule à facettes du disco, secouée avec enthousiasme entre les mains d’un Fidenco revenu lui aussi en terrain connu.

 

S’il existe bien, comme on a cru s’en apercevoir à de nombreuses occasions, un « son Emanuelle », il est ici drôlement chahuté par une écriture saisie d’hilarité. Run Cheetah Run et ses vocalises burlesques, qui caricaturent les effusions groovy des seventies, font la démonstration d’entrée d’un grain de folie face auquel deux réactions seules semblent possibles : le dédain moqueur ou la jubilation. Pour ceux qui succomberont à ce dernier sentiment, les subtilités d’une partition loin d’avoir été griffonnée à la va-vite se dessineront petit à petit, à commence par le jeu vif et pétillant des cordes qui zèbrent le thème principal. Dee Doom Bee Doom, de prime abord, a tout d’un gag musical qu’on jurerait arraché à un épisode du dessin animé La Linea puis incongrument greffé sur le film de Joe D’Amato. Mais ces onomatopées marrantes ont pour indéniable atout d’être au diapason d’un film très décontracté, flemmard devrions-nous dire, qui se contrefout des rebondissements téléphonés de son intrigue timbre-poste. On s’était pourtant préparés à voir D’Amato franchir un palier supplémentaire dans la surenchère, il n’essaye en réalité même pas de pimenter cette énième histoire de trafic de chair humaine. Tout au plus sa nature de pique-assiette l’incitera-t-elle à profiter du foudroyant essor du cinéma de kung-fu (ou « ciné-karaté », pour reprendre l’expression qui avait les préférences des ô combien avisés critiques occidentaux) en bâclant une scène de combat aux relents d’accidentelle (?) parodie. Tandis qu’un travesti s’ingénie à lever la jambe vaille que vaille, Nico Fidenco tente, avec un brio plus évident, de convoquer l’ardeur martiale de l’Extrême-Orient grâce aux jets de percussions sonores dont Lady Fighting assaisonne son rythme funky.

 

Black Emanuelle And The White Slave Trade

 

Officiellement, il ne restait plus à Emanuelle qu’un double programme carcéral (les fameux et délectables WIP, acronyme de Women In Prison) concocté par les monarques du Z Bruno Mattei et Claudio Fragasso, avant de disparaître des écrans. Mais dans les faits, tout ceci se complique singulièrement. Les retitrages sauvages étaient en ces temps-là monnaie courante à Cinecittà, et les deux tiers au bas mot de la filmographie de Laura Gemser sont ainsi passés à la moulinette, leurs affiches « emanuellisées » sans vergogne au fronton des salles obscures. Et c’est à peine si l’on ose évoquer le marché parallèle des versions hard, tartinées d’inserts grotesques où les doublures de la fragile et délicate Laura lui font prendre douze kilos d’un plan à un autre… Un juste retour de bâton, railleront les gardiens de la morale, pour un cinéma transalpin passé maître dans l’art de la contrefaçon, tant et si bien qu’il était carrément allé chercher sa future Black Emanuelle parmi les figurantes court (voir pas du tout) vêtues d’Emmanuelle 2 : l’Antivierge.

 

Bien lui en a pris ce jour-là. Simple silhouette dénuée de visage pour ses premiers pas dans le cinéma français canaillou, Laura Gemser est vite devenue l’une des plus rayonnantes attractions de l’érotisme italien, où son charme exotique et son sourire candide tranchaient avec l’attitude ouvertement égrillarde d’une pléthore de starlettes. Une chose est certaine, elle a tapé dans l’œil de Nico Fidenco. Il peut se retrancher tant qu’il veut derrière sa fidélité à Joe D’Amato et les impératifs de sa profession, ce qu’il ne manque d’ailleurs pas de faire dans l’intéressant documentaire Music For The Black Queen glissé au sein du coffret Beat Records (en fait, une banale enveloppe de carton souple dans laquelle les jolis digipacks sont plutôt à l’étroit), il ne leurre personne. Ses musiques sont autant d’offrandes déposées avec une amoureuse dévotion aux pieds de l’actrice. Dieu soit loué, rien n’interdit au béophile de savourer lui aussi à belles dents leur chair généreuse.

 

Laura Gemser

Benjamin Josse
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