Shining Through (Michael Kamen)

Kamen illumine la nuit

Disques • Publié le 25/11/2013 par

Shining ThroughSHINING THROUGH (1992)
UNE LUMIÈRE DANS LA NUIT
Compositeur :
Michael Kamen
Durée : 43:53 | 12 pistes
Éditeur : Milan

 

3.5 out of 5 stars

Auteur protéiforme par excellence de la période 1985-1995, Michael Kamen n’a jamais eu le rayonnement de Jerry Goldsmith ou John Williams. Comme eux, il a pourtant participé à quelques grands succès de l’époque, encore populaires aujourd’hui. Williams a Star Wars et Indiana Jones, Goldsmith Star Trek ou Rambo, mais c’est Kamen qui régna sans partage sur l’actioner grand public, en mettant en musique Die Hard (Piège de cristal) et Lethal Weapon (L’Arme Fatale). Son relatif oubli, jusque dans la niche des béophiles, est sans aucun doute du à son refus de donner à ses titres emblématiques des leitmotivs musicaux aussi faciles à siffloter que ceux de ses confrères. Sa postérité en souffrira injustement : il aura fallu attendre le début des années 2010 pour que les labels s’attaquent enfin à la réédition de la filmographie foisonnante du grand Michael.

 

Parmi ses nombreuses compositions trop méconnues, retenons ce Shining Through (Une Lueur dans la Nuit), première illustration musicale par Kamen d’une fiction située pendant la seconde guerre mondiale. Difficile de ne pas l’écouter, aujourd’hui, à la lumière de son chef d’œuvre Band Of Brothers (Frères d’Armes), qui adopte cette fois le point de vue des militaires américains. S’il partage avec la musique de la fresque HBO un sentimentalisme limpide, inutile d’attendre dans Shining Through de marches martiales ni de roulements de tambours. C’est loin du front que se joue le destin des personnages du film de David Seltzer. Et c’est la tradition du thriller d’espionnage mâtiné de love story que Kamen vient revisiter.

 

Shining Through

 

On l’aura connu plus iconoclaste mais l’homme, sensible, aime à s’abandonner à une certaine gravité musicale, qui s’exprime ici, tantôt avec une sensibilité à la limite du kitsch (Main Titles) lorsqu’un piano très coulant déroule la mélodie facile qui ouvre le disque, tantôt avec une hargne angoissée malmenant la mélodie et jouant avec virtuosité des ruptures de rythme et d’harmonie. Un domaine dans lequel le véloce Michael excellait. Comme pour Gestapo Search où il fait haleter successivement tous les pupitres, recourant à tous les instruments et tous les tempos, sans jamais s’accorder de véritable assise mélodique développée. On entendra là l’adresse orchestrale de Kamen dont le goût connu pour les apports rock ne doivent pas faire oublier à quel point son écriture orchestrale était riche. On se souviendra aussi, aux sons de ces ruptures, de l’écriture empathique d’un vrai musicien pour l’image qui sait faire du montage et de l’action sur l’écran la base rythmique de tout son édifice musical. Difficile de l’imaginer à sa place dans ces salles de mixages contemporaines où le compositeur doit livrer des kilomètres de musique où il devra être possible de couper au petit bonheur jusqu’à la dernière minute, le montage se terminant maintenant quasiment la veille de la sortie.

 

L’ami Michael avait sans doute bien trop de personnalité pour accepter de défigurer son art de la sorte. Et si un morceau de Shining Through porte son sceau, c’est sans doute The Swiss Border, qui déroule presque toutes les signatures du scoring kamenien : ponctuation par de très brèves notes de violons répétées quatre ou cinq fois, dégringolades de cordes, klaxons de cuivres inattendus, ruptures par des motifs circulaires aux violons, le tout mené suivant le crescendo infernal qu’adoptera souvent le compositeur pour accompagner les climax des films lus plus tendus qu’il illustre. La coda des End Titles ramène le piano du début sur le mode le plus romantique, et le plus glissant – nous sommes à la limite sinon de la parodie, du moins du cliché musical – et n’hésite pas à l’assaisonner de cordes. Par moment excessivement sentimental, faussement versatile mais souvent authentiquement torturé, ce beau disque est, comme tous les autres, le touchant autoportrait musical d’un artiste qui semble n’avoir pas toujours fait que ce qu’il avait envie de faire. Cette formidable liberté qui imprègne tous les scores du compositeur est leur saveur la plus unique. Que nous puissions plus qu’en éveiller le souvenir est à la fois triste et précieux.

 

Shining Through

Pierre Braillon
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